Neavia - 2.4

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Le chemin du retour qu’ils entreprirent dura d'interminables heures. Oscillant à nouveau entre tunnels, ruines et terres désolées. Comme la marche précédente, le silence était de mise et seule résonnait la vie nocturne de Céresse sur le passage des chasseurs.

La colonne que composaient les deux groupes s’étendait toute en longueur à la différence que cette fois Neavia n’était pas en éclaireur. Deux chasseurs s’occupaient de cette tâche en repérant le chemin en aval ainsi que les possibles dangers qui s’y cachaient. Neavia, quand a-t-elle, se déplaçait juste derrière Druïg et Amos.

Elle se mouvait dans un grand silence. Les autres membres du cortège faisaient bien sûr de même à l'exception que leurs raisons différaient de la sienne. Chacun devait avoir peur de tomber sur les prospecteurs tandis que Neavia, elle, ruminait ses sombres pensées. Son esprit conjecturait sur l’état de Kïron, s’il était vraiment sur ce dirigeable et si c’était le cas où l’emmenaient les impériaux ?

Pour seule réponse venaient à elle la nuit et son vent puissant. La brise qui couvrait Céresse pénétrait  les ruines dans lesquelles Neavia avançait en de sinistres complaintes.

Quittant le dernier tunnel qui composait les voies, les chasseurs apparurent aux abords d’une forêt. L’ouverture du sol par laquelle ils sortaient faisait la jonction avec une piste qui semblait cette fois traverser le bois en zigzaguant entre les hauts arbres des lieux. Ces derniers craquaient sous l’effet du vent et Neavia inhala enfin l’air froid de la nuit, ainsi libérée des souterrains et autres conduits irrespirables qu'elle avait dû endurer.

Alors qu’elle continuait à suivre Druïg, son regard se posait sur la nature environnante. L’endroit était bien moins morne que les ruines, mais le danger lui était encore là. Les dirigeables volaient au loin et de nombreuses paires d’yeux scrutaient la troupe à travers l’importante végétation.

Les chasseurs progressèrent donc dans la forêt et la piste qui s’enfonçait toujours plus dans la flore locale céda bientôt à un passage traversant une sorte de partie rocheuse. Les uns après les autres, les camarades de Neavia s’engagèrent sur ce chemin qui serpentait dans un relief naturel pour parcourir ce début de montagnes.

La voie fit évoluer Neavia et les membres du groupe jusqu’à un corridor intérieur, dans un vrai dédale à travers la roche granuleuse, et ils retrouvèrent bien vite leurs éclaireurs. Neavia savait la raison de leur attente. L’endroit lui était familier et c’est cette sensation qui lui permit de ressentir un peu de réconfort.

Un bruit d’oiseaux retentit dans le lieu clos et bientôt, il fut repris par Amos. À son action, des formes qui étaient autrefois invisibles firent leur apparition en se détachant des nombreux coins d’ombres.

S’approchant des chasseurs en tête du groupe, les personnes de la caverne allumèrent des torches et Neavia pouvait alors voir leur accoutrement. Des tenues comparables à la sienne ou aux restes de ses camarades.

L’un des occupants de la grotte, celui qui s’était avancé près de Druïg et Amos, prit la parole.

— On se demandait ce que vous faisiez tous…

— On a été retenus, lui répondit Amos à la surprise de son interlocuteur.

— Contre votre volonté, je suppose, je vois les membres du groupe à Kïron, mais lui où est-il ?

— Pas maintenant Lachioşe, pas maintenant… Fait réveiller la Keşic, il nous faut tenir un Külan*.

— Je crois que ça sera rapide, dit Lachioşe en souriant. La Keşic vous attend depuis un moment. Elle n’a pas arrêté de faire les cent pas dans le village, un spectacle qui m’a fait froid dans le dos…

Alors que ses hommes rigolèrent légèrement face à ses dires, Lachioşe invita Amos et tous les arrivants à le suivre. Progressant à nouveau dans des espaces clos. Neavia marcha avec les chasseurs à travers de longs conduits creusés à la main et au bout de ces passages, elle posa enfin son regard sur le hameau de son clan.

Son village.

L’endroit, qui devait être presque invisible vue de l’extérieur, était vaste. Le village était niché dans une construction de l’Ancien Monde. Une sorte de gigantesque dôme qui était composée de nombreuses pièces triangulaires. Elles s’emboîtaient les unes aux autres pour former cet édifice qui couvrait l’important espace que constituait le hameau sous-jacent d’une ombre protectrice. Cette structure, qui devait être jadis complète, était dans un triste état, ces pièces triangulaires qui se succédaient en montant jusqu’au sommet s’étaient en partie décrochées. Ainsi, il y en avait presque autant encore attaché qu’échoué sur le sol. De nombreuses lianes et verdures venaient se déverser par le grand trou créée par l’éboulement et l’érosion de l’antique construction.

En dévalant les escaliers de la caverne, Neavia fut bientôt au centre de son village. Les maisons des membres du clan s'inscrivaient dans le relief sous-jacent au dôme en occupant tout l’espace entourant le cœur de la structure. Ces différents niveaux d’habitations couraient ainsi presque jusqu’au milieu de l’endroit où prenait place une statue. Œuvre qui devait dater des siècles précédant la chute et qui était dans un tout aussi triste état que la coupole. Les locaux  l’avaient raccommodé à leur manière et elle représentait à présent la mère Nature. La divinité protectrice des clans, à des lieues de sa première fonction

Le village autrefois calme se réveillait à la venue des chasseurs. Les habitations qui avaient été sombres et silencieuses étaient maintenant grandes ouvertes et de nombreuses personnes, des torches à la main, descendaient jusqu’au centre du lieu pour accueillir les nouveaux venus.

Et le sentiment de sécurité qui avait pris Neavia se mua alors en joie. Un plaisir d’être à nouveau dans son chez-soi après tout ce qu’elle avait vécu. Mais son bonheur et le sourire qu’elle affichait enfin disparurent aussi rapidement l’un que l’autre quand la jeune chasseresse croisa le regard de la Keşic Moïra.

Elle était la plus respectée des Magïuş du clan, celle qui parlait aux morts et esprits de Céresse. Leur guide spirituel en soi. Cette éminente personne se différenciait des habitants par son accoutrement spécial et son long bâton. Il était taillé, décoré d’une main de maître et était surmonté par une ribambelle de colifichets audibles à chaque mouvement de ce dernier. Balayant du regard les chasseurs, la Keşic prit alors la parole après avoir frappé le sol de son bâton pour attirer l’attention de la foule qui se formait autour de la statue du village.

— Votre retour est un soulagement, mes enfants, mais je crois que nous devons parler de ce que vous avez vécu aujourd’hui… Je déclare la tenue d’un Külan, finit-elle en tapant à nouveau le sol.

Il n’y avait pas eu besoin de mots, la Keşic semblait avoir compris et perçu la gravité de la situation.

S’échangeant des regards, Druïg et Neavia emboîtèrent alors le pas à la Keşic Moïra qui s’en allait. Bientôt suivie par l’ensemble du clan.

Le Külan siégeait dans une grande salle taillée dans la roche qui composait les murs mêmes du village. Cet endroit important de prime abord fut vite rempli par les habitants qui prenaient place sur les gradins répartis en cercle autour d’un feu central. Source de lumière qui éclairait faiblement les alentours de ses teintes orangées.

Le site semblait à présent bien petit et un brouhaha résonna dans les lieux tandis que les familles qui avaient retrouvé leur proche se réjouissaient ou que les autres se questionnaient avec des voix toujours plus fortes.

La Keşic Moïra se tenait droite comme un i devant les anciens et frappa son bâton sur le sol dur de la salle pour appeler les occupants à plus de calme. Au son des colifichets, les habitants du village observèrent un silence relatif alors que Neavia sentit une main se poser sur son épaule, celle de son père.

— Un peu de calme, UN PEU DE CALME, fit Moïra en heurtant toujours plus fort le sol. Et quand elle fut satisfaite, elle laissa la parole aux aînés.

Un homme se leva alors de son siège d’osier et étudiant la foule, il s'exprima.

— Amos, je te vois là avec ton groupe et celui de Kïron, mais où est notre second maître de chasse ?

— Disparue, fit Amos.

Et les chuchotements balayèrent l’auditoire avant de s’évanouir au bruit du bâton de la Keşic.

— Disparue ?! répéta un autre ancien en se dressant à son tour.

— En quelque sorte, je vais laisser un de ses hommes vous raconter les événements de cette sinistre journée.

À cela, Amos regarda Druïg et ce dernier, se levant, prit la parole. Les villageois écoutèrent avec attention son récit. Ne perdant pas une miette, un seul détail. Les réactions étaient diverses. Colère, tristesse… et les pleurs commencèrent à éclore au fil de sa narration. Neavia, qui observait la Keşic Moïra, pouvait voir des larmes couler sur ses joues, elle était la mère d’Amiş après tout et il était parmi les disparus ou les morts.

Finissant de parler, Druïg resta là debout, immobile alors que les voix s’élevèrent en tous sens.

— Meurtriers ! Assassins ! firent certains membres du clan.

— Il faut faire quelque chose ! Ils ont dû prendre des prisonniers ! répétèrent d’autres avec un infime espoir pour leurs proches disparus.

Et une fois encore la Keşic rappela les gens à l’ordre malgré la douleur qu’elle devait avoir au fond d’elle.

Échangeant longuement, les anciens envoyèrent alors l'un d'eux vers le feu central. L’homme s’éclaircissant la gorge s’exprima.

— Aussi triste que soit la situation, nous ne pouvons nous permettre d’attaquer les impériaux. Cela mènera à plus de dangers, plus de morts, et mettrait surtout notre village même en péril.

Les réactions étaient multiples, certains qui avaient retrouvé leurs proches acquiesçaient, tandis que les autres s’insurgeaient avec véhémence. Neavia était l’une d’elles.

Nombreuses étaient les personnes à prendre la parole, mais leurs voix étaient ignorées. Neavia, qui ne tenait plus face à tant d’injustice, devant tant de lâcheté, trouva le courage pour se dresser et s'exprimer à son tour.

— LÂCHES ! s’écria-t-elle bientôt saluée par une partie de la foule. Vous abandonnez les nôtres par peur.

Les regards des anciens étaient un mélange d’étonnement et de colère face aux mots lancés par cette naïve chasseresse.

— Tu n’as que dix-sept hivers et tu crois tout savoir du monde jeune fille, fit l’un des aînés.

— Tu oses nous parler sur ce ton repris un deuxième.

— Tu devrais être châtié, dit enfin un troisième.

— C’est votre lâcheté qui devrait être châtiée.

— Toi, ton manque de jugeote jeune impertinente !

Les anciens tout aussi énervés qu’ils étaient se retenaient. Neavia le sentait, le reste du public le percevait. La raison pour laquelle les aînés ne l’avaient pas rabroué plus sèchement était son père. Dalbör était estimé et il était l’un des chasseurs les plus émérites du clan. Enfin à l'époque où il traquait, ses obligations au village l’en empêchaient depuis voilà bien longtemps. Bien peu était les hommes à se dresser face à une telle personne.

Et ce dernier se gardait bien de parler, c'était compréhensible. Il avait recueilli Kïron après la mort de ses parents, c'était comme un fils pour lui et un frère pour Neavia. Il devait être tiraillé entre ses sentiments et devoirs…

Mais ce n’était pas le cas de Neavia ou de nombreux autres membres du clan.

Ne pouvant rester face à l’abandon pur et simple de Kïron, de membres des Ehnşceïd aux mains des Impériaux, Neavia s’insurgeait toujours plus, mais les anciens restèrent sur leur position. Dalbör et La Keşic ne s’immiscèrent pas dans la discussion.

— Que cherches-tu vraiment ? fit alors l’un des anciens. Tu voudrais mettre notre village, notre clan entier en danger pour un seul homme ?

— Oui, répondit simplement Neavia avec assurance et détermination.

Pour Neavia, il était impensable de renoncer. Impossible et pourtant tous semblaient aller dans ce sens. Ne pouvant rester plus longtemps face aux personnes qu’elle avait toujours estimées, devant les hommes qui délaissaient si facilement son ami. Neavia, qui était maintenant debout en fixant les anciens, quitta la salle du Külan en étant suivie par tous les regards de l’assemblée.

Assemblée qui se remplit à nouveau de voix après son départ. De voix, de colère. D’acclamations pour la jeune Neavia qui avait parlé, mais aussi d’agressivité face à tant d’impertinences envers les anciens. Face aux figures les plus respectées du clan.

*

Le Külan : Le Külan est une sorte de rassemblement. Un grand conseil tenu entre les membres du clan, dans un lieu sacré, lorsque les temps l’exigent. Il est supervisé par la Keşic et prend donc un rôle autant religieux qu’officiel.

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