Alek - 5.3

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Ces derniers traînaient un des pensionnaires. La personne, inerte, avait le visage en sang et les habits imbibés de ce même liquide rouge. Face à cette triste vision, Alek espérait juste que leur cible n’était pas déjà dans un état similaire. Les prisonniers n’étaient plus des hommes pour les gardes. Ils n’étaient que de simples animaux à qui on avait enlevé leur humanité en vue de leurs actions, choix ou malchance.

Les gardiens étaient pareils, mais ils se tenaient, eux, du bon côté de la grille. Enfin, s’il y en avait vraiment dans ce sordide lieu.

Observant du regard les deux matons emmener leur détenu, Alek emboîta le pas à Dyther qui le mena bientôt dans une sorte de salle de transit. L’endroit comprenait quelques sièges et surtout un petit bureau où attendait un individu.

Le garde qui avait de minuscules lunettes rondes était assis en train de feuilleter ses registres à la lumière fluctuante de sa lampe à pétrole. Voyant les arrivants se diriger vers lui, il ferma son livre en fixant Dyther avec un savant mélange de fatigue et rudesse.

— Hey, ça va ?

— Hum, que pouvons-nous faire pour ces magisters ?

— Interrogatoire pour le détenu, heu attend, dit Dyther en sortant son calepin. Ha, oui ! Détenue 441’235,

Écoutant le matricule, le gardien, toujours avachi, se saisit d’un gros ouvrage de la bibliothèque derrière lui qu’il plaqua ensuite sur la table. Il parcourut les tableaux qui recouvraient les pages et reprit la parole.

— Oui, oui. Dénommé Yannek affilié à DeWriss.

— C’est ça !

— Salle neuf, finit sèchement le garde.

Et Dyther emmena alors les magisters sans plus de cérémonie. Alek put sentir comme de peau qu’opérait la prison face à lui. Elle n’avait ici plus rien à voir avec son rôle premier.

Le grillage, les barreaux qui avaient accompagné les deux magisters firent peu à peu place à un décor de carrelage, de lisse murs d’acier. Une partie digne des plus grandes usines alimentaires de la ville, et ce, à quelques détails près.

L’endroit n’était pas épargné par le temps, en témoignait les traces de rouille bien présentes. Les métaux étaient corrodés et revêtaient leurs parures orangées tandis que les carrelages, eux, avaient perdu de leur brillance et se fissuraient. Le lieu ressemblait à présent à une vétuste boucherie avec ses empreintes écarlates sur le sol blanc. Au vu de son aspect global, c’était presque comme un de ces commerces des bas niveaux de la cité nation dont on préférait occulter l’existence même.

Alek se trouva arraché à son observation du décorum ambiant lorsque des cris furent audibles.

Ils résonnaient dans le couloir avec force et le magister se posait réellement des questions quant à l’état de son prisonnier au vu de ce chant de douleur qui s’élevait dans l’air.

S’arrêtant face à l’une des pièces d’interrogation qui tapissaient les blafards murs de l’allée, Dyther ouvrit le passage en invitant les deux magisters à le suivre.

La salle n’était pas si différente de celles où Alek avait l’habitude d’officier dans son collège. L’espace assez restreint était seulement occupé par une chaise d’acier, le captif et les deux gardiens qui l’encadraient. Ils avaient dû enlever le haut de leurs uniformes pour ne pas les souiller et c’étaient leurs marcels blancs qui arboraient ainsi de nombreuses taches rouges.

— Dyther, fit l’un d’eux comme salut.

— Arno, lui, répondit le guide d’Alek. Laissons donc nos amis arcanistes interroger ce spécimen.

Par chance, le prisonnier en question semblait vivant…

— Avec plaisir. On l’a un peu préparé pour vous, fit cette fois le garde à l’attention d’Alek.

— On a attendri la viande, dit le second, tout content de son œuvre et Alek ne lui rendit qu’un sourire de façade.

Il ne leur faisait pas confiance, et à raison. Les gardiens étaient arrosés par tout le monde. Les factions, les familles, et même les plus hautes instances de l’Empire. Il fallait bien tout cela pour maintenir les hommes dans le rang, surtout dans ce sombre endroit. Ils avaient dû faire comprendre au prisonnier que certaines choses valaient mieux être oubliés. Certains noms omis.

Alors que la porte derrière les magisters était refermée pour leur accorder quelque « intimité » après le départ du dernier garde, Alek put s’approcher du captif pour le cerner davantage. Il n’était là que depuis une semaine et pourtant, il se trouvait déjà en un bien triste état.

Si les vêtements des matons étaient emplis de rouge, ce n’était rien comparé à la peau de l’homme couverte de blessures et de sang. Mais parmi ce tableau écarlate, Alek pouvait discerner les nombreux tatouages qui constellaient l’épiderme du prisonnier.

Les factions marquaient leur membres comme un propriétaire frappait de son sceau les bêtes de son troupeau. Pour un œil averti, on pouvait lire la vie d’une personne rien qu’en regardant ses tatouages et le détenu face à Alek ne faisait pas exception. Il portait les signes de DeWriss en bonne place sur son torse. Ses flancs comprenaient, des décorations manifestant ses plus grands "accomplissements" et ses épaules revêtaient comme des distinctions d’officier montrant son rôle de gradé dans les troupes de sa faction.

— Qu’avons-nous là ? commença Alek maintenant en face du prisonnier.

— Un homme qui se trouve dans une situation des plus précaire, dit Amicia en s’approchant à son tour.

À voir l’état du sous-fifre de DeWriss, les gardes n’avaient pas dû être payées récemment…

— Il semble que tu aies été abandonné à ton triste sort, tu as fâché ton employeur ?

— La chance tourne, articula difficilement l’individu comme réveillé d’un sommeil compliqué.

— Si je devais deviner, je dirais que tu as fait quelque chose qui ne lui a pas plu et maintenant, il te laisse ici. Pour disparaître seul, oublié de tous dans le noir.

— Car c’est la mort qui t’attend, reprit Amicia. Si les gardes te relâchent dans les cages, tu ne feras pas long feu. Surtout si on leur dit de t’isoler de tes hommes.

— Des menaces… en conclut le prisonnier un brin ironique en vue du lieu. C’est un peu inutile envers une personne qui a peu de chances de voir un autre jour. Pourquoi ne pas venir au fait ? Que me voulez-vous ? dit le détenu en crachant au sol du sang.

— Parlez.

— Avec moi !?

— Non, avec le grand chef.

— Vous savez que si je vous le donne, je suis dans l’heure un homme mort.

— Ce que je sais, dit Amicia. C'est que dans tous les cas tu le seras dans ces murs si tu ne nous aides pas.

Cette certitude semblait être reconnue par tous dans la pièce.

— Maudite ville, maudites factions et maudits nobles, déglutit le prisonnier avec une amère haine. Je savais que tout ça allait mal finir.

— Maudits nobles ?

— Quand les sangs bleus se mêlent aux affaires, ça ne peut qu'être mauvais  pour les gens comme nous. Si je vous parle, promettez-moi une chose. Faites-moi transférer dans les cellules supérieures ou je ne passerais pas la semaine.

— Cela m’a presque ému figure toi… On va faire en sorte que l’on ne te retrouve pas demain la gorge tranchée. Mais d’abord, dis voir, les niveaux plus élevés ne sont pas contrôlés par DeWriss. C’est Lazique qui les a non ? Amicia confirma les dires d’Alek en hochant la tête. C’est étrange, alors parle ! On avisera pour la suite.

Alek n’avait aucune pitié pour l’homme qui se tenait en face de lui, après tous les « galons » du prisonnier avaient été gagnés sur les sangs d’autrui. La vie n’était qu’une ressource consommée sans modération à Aldius. Pourquoi la sienne se devait d'être plus précieuse !?

— De Wriss veut me voir disparaître. C'est simple, j’ai assez côtoyé la mort pour reconnaître sa détestable odeur et là, elle essaye de me la mettre, remuant sur sa chaise, le prisonnier tira sur ses entraves pour se rapprocher des deux magisters et parler à voix basse. Je sais ce que je dois dire ou non, vos chers camarades de l’autre côté du mur s’en sont bien assurés. Vous voulez trouver Taille-pierre, et moi, je veux vivre, lui échapper. À ce stade de la négociation, vous devriez déjà comprendre que je ne roule plus pour lui… Il a payé les gardes pour me tuer à la première occasion et ses hommes. Mes anciens soldats ont ordre de me faire disparaître. J’ai "quelques" connaissances dans le camp adverse. Faites-moi monter à leur niveau et vous discuterez avec DeWriss avant la fin de la journée.

— Un traître alors… Très bien. On va te déménager avec tes nouveaux petits amis… Mais avant, on veut son adresse.

— Son adresse, la garde l’a depuis longtemps, mais il semblerait que DeWriss l’ait aussi arrosé, répondit le prisonnier en rigolant légèrement. Vous êtes vraiment à la ramasse… Bon, il se terre simplement au quartier des pavés rouges. L’ancienne usine Paoli.

— Merci ! s’exclama Alek avec un air de victoire. Et je te souhaite du plaisir dans ta nouvelle chambre.

S’éloignant du prisonnier, Alek vit Amicia se rapprocher de lui.

— Je savais que les hommes des factions manquaient d’honneur, mais je trouve que celui-ci change d’uniforme bien vite… Tu penses qu’il dit la vérité ? lui chuchota-t-elle.

— Il n’a rien à perdre, lui fit Alek. Mais comme il l’a dit, si la garde est grillée dans cette affaire, il va falloir faire appel à d’autres gros bras si on veut parler avec Taille-pierre.

— Tu songes à qui ?

— Je connais une milice figure toi…

— Cela va devenir très intéressant, mais ce cher "papa" sera d’accord de te prêter sa collection de ses soldats de plomb.

— J’en fais mon affaire.

— Toute cette enquête n’était pas très nette, mais là ça prend une tournure vraiment bizarre. Si la noblesse est impliquée…

— Et je n’en doute pas.

— Ça ne peut que mal se finir. Tu ne penses pas que ça remonte jusqu’au lèche-bottes de notre bon Empereur.

— Je ne sais pas, on semble naviguer en eau bien trouble. Tentons juste de trouver la vérité et de rester en vie dans tout ce panier de crabes.

Mais la vérité avait elle encore un poids dans cette cité des mensonges et de la traîtrise ?

Il n’eut pas le temps de plus converser que l’entrée s’ouvrit pour faire place aux gardiens. Ils semblaient pressés de faire taire le prisonnier et de voir les magisters partir, la discussion avait dû être religieusement suivie de l’autre côté du mur. Monnayant le nouveau logis du parjure avec ses bourreaux, Alek se mit à quitter le lieu succédé d’Amicia. La journée était loin d’être terminée. Il devait trouver son père et prévoir une petite visite à l’un des six grands « Baron du crime » d'Aldius.

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