Alek - 8.1

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— Pardon

Alek venait à nouveau d'être bousculé par un parfait inconnu.

La voie de passage qu’empruntait le magister Devràn était noire de monde. Avancer dans un tel espace n’était pas chose aisée. Voir un vrai défi pour ainsi dire. Alek se retrouvait pressé, comprimé par les locaux. Emporter par cette rivière humaine aux remous importants.

On déséquilibrait Alek et lui-même faisait de même pour continuer à marcher et atteindre sa destination. Malgré la soirée plus qu’entamée, la rue ne désemplissait pas et un bruit considérable composait l’univers d’Alek. Les discussions étaient nombreuses ainsi que les rires.

Tous tentaient d’oublier la dure journée de labeur. Tous se préparaient pour les défis du lendemain encore loin des esprits enfiévrés par l’alcool.

Les sons n'étaient pas la seule chose qui interpellait Alek. Les odeurs diverses agressaient son flair. Outre l’effluve de transpiration des travailleurs ainsi que le charbon et pétrole qui collait aux habits. La nourriture planait de son fumet aguicheur dans les rues. On pouvait retrouver dans quelques gargotes des fritures trempant dans des bains d’huile bien troubles et suspects. Des liquides tournant sûrement depuis ce qui devait être quelques jours déjà.

Le quartier de Malepierre était un lieu où la vie prenait tout son sens à la nuit tombée. Hors des niveaux intermédiaires et supérieurs, c’était là l'un des seuls endroits où le couvre-feu nocturne et non officiel de la garde ne se voyait pas appliqué. Ainsi, les travailleurs affluaient de tout Aldius.

Telle une excroissance, Malepierre avait été bâtie tout en hauteur. Cette longue termitière d’aciers bourdonnait d’activité. Parmi les nombreux établissements pris d'assaut, le magister Devràn se dirigeait vers l’un des plus sombres si ce n’est pour ne pas dire des plus débauchés.

La porte rouge éclairée par une unique lampe ne se trouvait pas gardée par d’éméchés clients, mais bien par deux gros bras au regard appliqué. À la vue atypique d’Alek en ses atours de travail, ils le laissèrent entrer sans broncher alors que derrière lui des groupes étaient refoulés sèchement.

Un petit couloir obscur suivait. Un bruit de musique, un piano accompagnait Alek qu’il descendait les quelques marches qui constituaient le passage. Les notes étaient précises, entraînantes dans leurs compositions. Le magister fit alors son apparition dans une large pièce où la mélodie se trouva vite secondée de discrètes discussions en tout genre.

De nombreuses tables rondes recouvraient la salle où l’espace était savamment organisé pour contenir le plus de personnes possible. Le haut plafond distant ne comprenait aucun éclairage comme pour garder les activités de l’établissement dans l’ombre et l'anonymat. Sur les tables, des lampes à pétrole réglées sur le plus bas débit créaient de havres de lumière comparables à des bougies. La clientèle, des hommes pour la quasi-totalité, se répartissait entre les différentes tables, tous regardaient la scène qui finissait la pièce.

Plusieurs femmes parées de robes travaillées et colorées dansaient au son entraînant du piano et des violons. Ce n’était pas là un air calme comme dans les dîners mondains dont Alek avait déjà fait l'expérience, mais un détournement de ces riches instruments de musique pour offrir des rythmes énergiques.

L’assemblée et ses nombreux regards se voyaient donc river sur le spectacle des plus aguicheurs de la scène. Sur les danseuses aux longues robes qui virevoltaient entre deux sourires lancés aux clients. Alek aurait pu rester observer la représentation qui prenait place, mais il avait une affaire précise en tête. Le magister quitta la petite entrée et les escaliers pour s’aventurer entre les tables et les occupants de l'établissement. L’espace pour se mouvoir était restreint, quelques regards de gêne étaient adressés à Alek par les hommes qui se voyaient dérangés durant le spectacle.

Mais le magister ne leur prêta guère d’attention. Quelques serveuses arpentaient elles aussi les chemins entre les tables. Toutes étaient habillées en d'audacieuses tenues encore plus révélatrices que leurs homologues de la scène. Des corsets en dentelles et velours magnifiant leurs courbes. Elles portaient également des collants jarretière aux couleurs variées, visibles sous les courtes robes qui ne cessaient de virevolter entre les tablées. Elles allaient et venaient pour offrir aux hommes leurs consommations.

L'alcool empestait l’air. Parmi ces notes corsées, le magister pouvait déceler quelques traces de Kyffür. La drogue illégale devait être fumée à l’étage supérieur, dans les sombres balcons qui tapissaient les abords de la salle principale. Voir dans les pièces privatisées annexes ou de secrètes affaires devaient être conclu. Le magister connaissait le lieu, bien heureusement pour la clientèle de la maison il n'était pas en fonction.

Ses pas connaisseurs continuaient d’arpenter le plancher du sol. Déjà quelques boissons avaient été renversées sur le bois qui collait à présent aux chaussures par endroit. Le chemin du magister le mena jusqu'à une petite partie privatisée et largement remplie, placé dans l’un des coins de la salle. Un grand paravent cachait les occupants de la banquette et de la vaste table. Deux hommes, des employés du lieu à première vue, observèrent le magister s’approcher. Ils ressemblaient à leurs camarades de l’entrée et Alek parvenait facilement à imaginer les armes de poing qui créaient des plis juste au-dessus de leurs pantalons.

Les deux chiens de garde se dressaient comme deux statuts et avant que le magister ne parlemente avec eux pour accéder à la table, une voix féminine s'éleva.

— Laissez-le donc passer.

Les deux hommes se regardèrent avant de s'exécuter en s'écartant d’un pas nonchalant.

La position occupée par la table devenait comme un lieu dans le lieu, une bulle extérieure à l'établissement utilisé exclusivement par la maîtresse de la maison et sa cour. Elle devait observer avec plaisir son domaine qui ne désemplissait pas et qui, bien au contraire, devenait bondé au vu des nombreuses voix et applaudissements lancés aux danseuses de la scène.

La table ronde se trouvait entourée par une banquette de cuir incrustée dans les boiseries du mur. La qualité du mobilier détonnait presque avec les tables et chaises plus communes de la salle.

Plusieurs personnes prenaient place sur le confortable banc de cuir. Toutes se répartissaient autour d’une figure centrale. Une femme, la maîtresse de l’établissement. Une impératrice de la vie nocturne dans la cité nation.

Les habits des convives se trouvaient distingués. Les gilets couvraient les chemises blanches en arborant différentes teintes sombres pouvant aller du bleu au rouge en passant par le vert. Quelques hommes avaient gardé leurs vestes travaillées, les cravates trop serrées semblaient quant à elles participer aussi bien à la fatigue que l’excitation des invités de l’institution en empourprant toujours plus leurs visages.

Les femmes que comptait également la banquette n’étaient pas en reste de leurs camarades masculins. Les robes étaient variées en couleurs ou style et les coiffures revêtaient toutes d’uniques formes. Mais celle qui attira toute l’attention du magister fut la figure centrale à toute cette assemblée.

Ses cheveux se trouvaient attachés en un chignon haut, une partie venait ensuite retomber sur l’une de ses épaules. Son visage affichait de discrètes rides qui trahissaient son âge en n’enlevant d’aucune manière sa beauté qui devait être florissante lors de ses jeunes années. Tandis qu’elle posait son verre sur la table, elle fit un léger signe de tête aux personnes qui l'entouraient.

Sans plus de mots, les occupants de la banquette vidèrent les lieux en observant le magister et l'étrangeté qu’il devait représenter à leurs yeux. Après tout, il était un symbole du pouvoir impérial en un endroit où ce dernier ne devait pas avoir beaucoup d’emprise. Alek emboîta alors le pas au mouvement général pour s'asseoir sur l'une des places qui venaient de se libérer.

— Qu’elle plaisante surprise, dit la femme qui se trouvait maintenant face à Alek. Cela fait quoi, plusieurs mois que je ne t’ai pas vu ? À force, je pensais que ma présence ne t’intéressait plus. Que tu m’avais oublié.

Elle souriait, après avoir faire la moue.

— C’est drôle, on croirait presque que je t’ai manqué.

— Si seulement, répondit-elle en secouant la main avec légèreté. Ça te plairait.

— Je n’y serais pas insensible.

— Trêve de belle parole Alek, pourquoi es-tu là ?

Le magister réfléchissait à la meilleure des réactions, ou tout du moins à la plus neutre.

— Pour un avis.

— Ainsi, tu viens requérir mon conseil, intéressant.

La femme fit sonner la minuscule cloche qui traînait sur la table.

— À boire pour mon invité.

— De suite, lui répondit simplement la serveuse qui s’était approchée.

— Mes petits oiseaux trouvent toutes sortes de secrets et d’informations, reprit la femme en reportant toute son intention sur Alek. On m’a parlé d'une descente dans le domaine de ce cher DeWriss. Je suppose, et à juste titre je pense que c'est lié à ta venue !?

— On ne peut rien te cacher.

Elle se mordillait les lèvres, Alek connaissait bien ses forces et son intelligence. Il n’utilisait pas ses pouvoirs sur Néphéline par respect.

— Je vois. Je vais t’aider, encore, mais que vais-je y gagner cette fois ?

La femme s’était penchée sur la table en direction du magister tout sourire. Alek perçu une jambe se poser sur les siennes. Néphéline n’avait donc pas changé…

— On dirait que tu es sûr que je vais à nouveau t’aider pour tes beaux yeux.

Le pied de Néphéline s’aventurait proche de l’entrejambe du magister. Mais elle n'obtint pas la réaction qu’elle attendait. Son air aguicheur s’évanouit alors qu'elle se ravisait en se sentant comme repoussée par Alek. Elle se recula dans la banquette de cuir en ne lâchant plus du regard du magister. Néphéline le fixait pour lire en lui.

— Tu étais plus joueur avant, que s’est-il donc passé ? Tu es déjà devenu trop sérieux avec l'âge ou serait-ce quelque chose d’autre… Te serais-tu épris de quelqu’un ?

Alek ne réagissait pas, mais il sentait l’esprit de Néphéline bouillonner de réflexion. Et pour ça, il n’avait pas besoin de ses pouvoirs.

— Oui, c'est ça !

Néphéline eut cette expression de vainqueur face à sa supposition véridique.

— Tu as trouvé quelqu’un…

— Pas tout à fait.

— Comment ça ?

Néphéline fronçait les sourcils alors qu’elle prenait à boire. Elle sirotait son verre d’alcool.

— On va dire que je suis plus sûr de mes sentiments.

— Ha ! Que c'est intéressant. Des sentiments naissants, des explications évasives. L’heureuse élue qui te vole à moi, et dont tu t’es épris, sait-elle au moins que tu es amoureux ?

Le regard d’Alek se suffisait à lui-même comme réponse.

— je vois, quel dommage. Alors, vas-y. Viens-en à la raison de ta présence.

Le ton de Néphéline trahissait sa désillusion.

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