Lèvius - 6.1

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Le Baron Devràn observait le sommet des plus hauts bâtiments d'Aldius.

Les pointes des tours s’élevaient avec force en direction du ciel. De nombreux engins volants naviguaient entre les cimes des spires de la cité nation. Les navires d’aciers et de toiles se dirigeaient proches des barges affrétés à la course. Les gros-porteurs arrêtés au-dessus de la ville avaient des proportions toutes gargantuesques. On aurait dit des ruches envahies de bourdonnants véhicules aériens, tel un essaim de guêpes aux abords de son domaine. Si le bruit des machines n’était pas suffisant pour harasser la moindre ouïe toute normale qu’elle soit, le brouhaha de la marée humaine qui prenait place sur les bâtiments ajoutait toujours plus de son à la cacophonie qui régnait autour du Baron.

Levius, entouré d’un service d’ordre des plus légers, reprenait son chemin sur la surface du transport. Il était couvert de planches en bois qui formaient ainsi durant son avancée une véritable piste de décollage. Pour l'heure, cette dernière recelait d'une foule compacte qui appréciait le panorama ou échangeait autour des nombreux ateliers répartis sur l’une des grandes structures de la barge-tribune. Ces espaces de travail se voyaient emplis par toute sorte d'ouvriers aux tenues bien différentes des costumes ou robes portées par les spectateurs fortunés qui les observaient. Sur leur blouse, l’huile ou l'essence avaient déjà imprégné ces pauvres petites mains de taches noires et d’odeurs bien repoussantes. Tous œuvraient pour leurs familles respectives, sur les engins de la course. Les avions de toutes formes et de toutes tailles, qui allaient du biplan au triplant, reposaient bien calmement dans les ateliers. Leurs capots ouverts et leur impressionnant moteur grisâtre se voyaient couverts par une troupe d’ouvriers qui resserraient toujours plus les écrous ou boulons.

Lèvius saluait les nobles et bourgeois qui levaient leurs hauts-de-forme à son passage. Les gestes étaient naturels parfois, ou revêtaient simplement les codes de circonstance qui masquaient leur animosité certaine envers leur adversaire de l'assemblée. Le Baron rallia l'atelier de son fils Paul. Dans ce lieu de travail, l'appareil qu’il avait aperçu trôner dans la remise de son domaine se trouvait cette fois en train de patienter à l'arrêt dans toute sa beauté mécanique. Au-dessus de l'entrée, une représentation de l'emblème familial avait été façonnée avec des pièces d'acier. Si l’ours n’était pas assez pour rappeler les maîtres de cette salle exiguë, chaque ouvrier portrait fièrement une touche de vert que ce soit sur leurs casquettes, leurs bérets ou même leur manche au travers de bandeau de tissu.

La fatigue pouvait se lire sur le visage de ces hommes. Le Baron avait laissé ses quelques miliciens à l'entrée. Il n’en avait nul besoin, il était parmi ses gens après tout. Les nombreux artisans et mécaniciens lui souriaient, Levius cherchait de son regard appliqué son fils. Plus il s'enfonçait dans l'atelier, plus le décorum ambiant semblait le faire arpenter un univers bien différent du faste extérieur qui régnait avec les spectateurs.

Ici, on retrouvait bien l’aspect des usines des niveaux inférieurs. Les murs de tôle étaient recouverts d’instruments en tout genre. Les tables et établis tapissés en de multiples strates d’outils inutilisés qui s'empilaient les uns sur les autres. Les tonneaux de pétrole siégeaient également en nombre en étant parfois ouverts à moitié. Quelques traînées de ce liquide noir parsemaient le sol. Ce fut vers le fond de ce domaine de labeur aux touches grises et opaques que Lèvius retrouva son fils. Paul faisait les cent pas à l'abri des yeux extérieurs en slalomant entre les caisses de matériels et tuyaux d'alimentation. Il portait un blouson en cuir typique des aviateurs. Ses cheveux noirs bouclaient avec la transpiration qui devait tremper le jeune homme, la doublure de laine de sa tenue ne l’aidait pas. Son esprit en ébullition devait le tourmenter. Il ne fit ainsi pas attention à son père jusqu'à ce que ce dernier se soit retrouvé juste à côté de lui.

— Déjà en plein dans sa course !

Le visage soucieux de Paul commençait à s'évanouir à la vue de son invité.

—Père !?

— Quoi, tu ne pensais pas que j'allais te laisser voler sans même passer te voir ?

Il arborait une mine plus enjouée.

— J’ai beau m'être préparé, le stress est tout de même présent.

Lèvius observait un léger tremblement dans les mains de son fils alors qu’il s'asseyait sur l'une des grandes caisses non loin de Paul...

— C'est bien.

L'incompréhension de Paul qui s'ensuivit amusa le Baron en un sens. Il s’expliqua donc.

— Ça veut dire que tu es concentré. Seul un fou se jetterait dans une telle course sans être assailli par ses émotions. La peur, le doute ne sont que des réponses naturelles de notre corps et esprit. Ce qui fait un vrai pilote, un homme, c'est la manière dont il réagit face à ces dernières (Paul s’asseyait à côté de son père). Par contre, ne les laisse pas te contrôler, nourris-toi d’elles en les tenant à distance. Ce qui nous différencie de l'animal est notre capacité à réfléchir et à répliquer devant nos pulsions, face à notre instinct.

— Je sais, mais c'est plus simple à dire qu'à faire.

— En effet (Lèvius rigolait à la légère). Ironiquement, il te faudra avoir le même appétit qu’un prédateur pour finir cette épreuve, voir la gagner. Le contrôle en plus bien évidemment.

Lèvius observait son fils, son stress avait changé. À présent, sa jambe bougeait sans s'arrêter.

— Tiens, Levius sortit alors un sachet lié de son costume.

Au début, Paul sourcilla comme surprit et s'empressa d’ouvrir le cadeau de son père. Le papier blanc laissa le jeune homme découvrir des gants de cuir d’une grande qualité. Des broderies étaient réalisées pour représenter l'insigne familial. Le doré du fil utilisé pour la tête d'ours semblait plus ancien que les initiales imposées juste au-dessous dont la couleur était, elle, saisissante. Paul se tourna à nouveau vers son père qui acquiesça.

— Un simple présent. Ils m’ont porté chance, il y a de nombreuses années, peut-être qu’ils feront de même pour toi. Loin de moi l’idée d'être trop superstitieux, mais au moins, j’ai l'opportunité de les donner à quelqu’un qui en fera bon usage. Ils n'ont que trop pris la poussière dans mon bureau.

— Merci.

La réaction de Paul se trouvait simple, courte et pour le moins sincère. Lèvius le voyait dans ses yeux. Il quitta la caisse ou il reposait, aidé par sa canne. Paul fit de même et observa son père. Ils se serrèrent la main. L’instant était spécial pour le jeune pilote. La poigne vigoureuse du Baron symbolisait le respect qu’il portait à son fils. Pour le défi qu’il relevait d’une part, mais aussi pour l’homme qu'il devenait pétrit par le service rendu à sa famille en épousant les traditions. Et ce, de la plus noble des manières qui soit. Lèvius était un père fier en cet instant.

Lèvius devait pourtant quitter son fils, le laisser dans ses précieux derniers instants avant le départ de la course.

— Je suis sûr que tu sauras honorer notre maisonnée et tes ancêtres qui t'ont précédé sur cette course ( Lèvius commençait à reculer). Tu vas devoir défendre non pas seulement ta personne, mais le cœur de notre famille : notre réputation. Ce spectacle est un test pour les jeunes hommes, mais pas que. Prouve-moi de quel bois tu es fait mon fils. Et n'oublie pas notre devise : une volonté d'acier. Nous plions, mais jamais nous ne cédons Paul. Que ses mots puissent t'accompagner au mieux...

Pour un garçon qui allait disputer la course la plus importante et dangereuse de sa vie, les phrases de Lèvius devaient sembler bien sibyllines. Lèvius avait exprimé à son enfant tout ce qu’il voulait lui dire. C’était l'essentiel. Un jour le discours du vieillissant Baron allait être compris par Paul. Pour l'heure la course devenait sa priorité.

— Bon, je te laisse, que les trois soient avec toi Paul.

Lèvius abandonna son fils à ses pensées et se mit à arpenter l'atelier dans l’autre sens cette fois. Le moteur était maintenant couvert. Les hostilités s'annonçaient imminentes à n’en point douter. Il devait se dépêcher, Le Baron n'était pas connu pour être le plus rapide qu'il soit et sa place n'était pas proche.

Lèvius marchait à nouveau dans la vaste foule. Ses miliciens reprenaient leur devoir, Lèvius reconnaissait nombre de visages. Si le Bal avait été un moment pour les plus nobles ou riches d’Aldius cette fois, toutes les sphères sociales qui ne croupissaient pas dans les niveaux inférieurs et médians semblaient s'être donné rendez-vous.

Il manqua de tomber lorsque le navire tangua lourdement. La foule qui noircissait la piste d’aviation venait d'être secouée et fit comprendre son mécontentement en une multitude de jurons et réprimandes. La barge-tribune bougeait face à l'assaut du vent pour retrouver sa position initiale. Les mécaniciens du bâtiment étaient à pied d'œuvre dans les exiguës soutes. Petit à petit, la barge principale accueillant la piste s'arrêta juste à côté de ses consœurs dans un complexe dispositif formé par tous les navires affectés à la course.

L’avancée ne fut pas aisée pour Lèvius. Les hommes du Baron l’aidèrent à se frayer un chemin dans la foule. Lorsque tout ce petit monde se porta face aux escaliers des gradins, Lèvius les observa. De la base à la cime. La construction était tout en hauteur avec de premiers niveaux pour les moins riches du transport qui devaient se contenter de places sans sièges. La forme effilée de la structure de tôle avait de quoi faire peur. De ces populeux premiers échelons, elle grandissait dans les airs en atteignant une altitude impensable. L’architecture comme trop fragile et distante pour tenir debout. On pouvait se questionner sur la solidité d’une telle construction étirée plus que de raison.

Lèvius empruntait les escaliers principaux. De nombreux autres parsemaient les gradins avec des formes en colimaçon qui donnaient le tournis rien qu'à les observer. Le Baron Devràn entama sa longue montée. Ses places se trouvaient avec les plus grands représentants de l’assemblée tout en hauteur sur le dernier niveau et ce fut forcément essoufflé que Lèvius les rallia.

Dans cet espace plus spacieux, enfin, au vu des critères des premiers étages où l’air devait manquer et non sans jeu de mots, Levius prit place dans la partie allouée à sa famille. Dans ce niveau, la vue était inégalée en offrant toute la cité nation en contrebas ainsi que la sauvage Céresse qui prenait le relais de l'enceinte de la ville d'acier pour s'étendre jusqu'à l'inatteignable horizon.

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