Quand j'étais enfant, je pensais que ce monde n'était pas le mien. Je ne le comprenais pas.

Adulte, je ne le comprends pas plus, mais j'ai appris les codes, les enjeux, les attitudes. J'ai intégré ce qu'il fallait dire, ce qu'il fallait ne pas faire, comment on devait paraître.

Je suis devenue un caméléon aux milles couleurs de mon entourage.

Aujourd'hui, je cherche la créature sous les parures que j'ai portées.

Et dans tes yeux, je me vois, moi.

Tu as trois ans, à mi chemin de tes quatre. Tu ris beaucoup, tu cries parfois, et tu poses des questions pour lesquelles je n'ai pas souvent les réponses.

Tu voudrais bien être parfaite, si parfaite, que je me demande parfois ce que tu vas bien pouvoir faire de tout ça. Comment j'ai fait, je ne me souviens plus, je sais juste que j'ai survécu.

Tu survivras.

Je ne suis pas une mère poule, peut-être un peu louve, mais sans doute pas beaucoup. Je ne culpabilise pas, tu sais, d'être femme autant que mère, mais ce soir, je culpabilise un peu de m'être tu si longtemps. D'avoir collé, trop souvent, aux injonctions de ce monde de fou. Tu sais, je crois que ma façon de t'éduquer n'a pas tant que ça d'importance. Mes maladresses seront tes forces, mes remises en question ton salut. Point n'en faut, j'ai appris avec toi, avec ton frère, que dépasser du cercle, ça ne valait pas tant de larmes.

C'est beau, ce qui dépasse, ma fille, et c'est ce que j'ai envie de te dire quand tu déchires ta feuille à cause d'un trait qui dévie trop à ton goût.

Mais je ne veux plus te le dire parce que, je crois, qu'il faut surtout que je te le montre.

Dépasse du cercle. Saute dans les flaques. Pose des questions. Sois différente. Ne ressemble pas aux autres. Ne te fonds pas dans le moule.

On perd du temps, précieux, à vouloir être ce qu'on n'est pas, ce qu'on ne se sera jamais, ce qu'on ne peut devenir. On perd du temps, on se perd soi, et on ne gagne pas pour autant les autres.

Mon coeur, je crois qu'il est urgent de te montrer l'exemple. D'arrêter d'expliquer, d'analyser, de comprendre, de relativiser. Il me faut, désormais, plus que jamais, assumer ce que je suis pour que tu puisses dormir sur tes deux oreilles. Pour que tu puisses, avec confiance, oser ta sensibilité et ton intelligence.

Je ne ressemblerai plus à ce qu'on attend de moi.

Je ne dirai plus ce que les autres ont envie d'entendre.

Je ne suivrai plus le chemin qu'on me désigne depuis toujours.

J'ai commencé, déjà, mais maintenant que tu es grandes, maintenant que tu m'observes, maintenant que je suis la reines de ton univers, alors je dois me comporter comme telle.

Comme une reine.

Pour moi.

Pour toi.

Et pour tous ces enfants qui n'entrent pas dans les cases.

Pour qu'ils deviennent, un jour, des adultes qui refondent les cases, qui n'ont plus peur de leur ombre, et qui osent briller dans leur unicité.

Dors, petite étoile, demain, tu brilleras.

Parce que tu sais quoi ?

Tu es fille de sorcière, qui transforme le sombre en lumière.