La soirée
Le jour tant attendu arriva, et avec lui une tension sourde que Louise peinait à contenir. L’après-midi s’étirait, baigné d’une lumière dorée, et elle se trouvait dans sa chambre, devant le miroir, contemplant son reflet. La robe offerte par Hans flottait autour d’elle avec une élégance qu’elle n’avait jamais connue. D’un bleu profond, elle soulignait la courbe délicate de ses épaules et sa taille fine, s’ouvrant en une jupe fluide qui effleurait le sol. Le camée, lové dans le creux de sa gorge, semblait fait pour elle.
Elle n’avait jamais porté une tenue aussi somptueuse. Ni même imaginé qu’elle pourrait un jour se voir ainsi. Le tissu caressait sa peau avec une douceur presque irréelle, et, pour la première fois, elle se sentit belle. Une pensée furtive la troubla : que penserait Hans en la voyant ainsi ?
Comme si le destin répondait à son interrogation muette, un coup léger résonna contre la porte. Avant même qu’elle ne puisse réagir, la poignée s’abaissa et Hans entra. Il s’immobilisa aussitôt.
Le silence tomba, suspendu, chargé d’une émotion brûlante. Hans cligna des yeux, comme s’il doutait de la réalité de ce qu’il voyait. Son regard s’attarda d’abord sur la silhouette de Louise, glissant sur chaque pli du tissu, sur la délicatesse de son port de tête, avant de remonter vers son visage.
Ses lèvres s’entrouvrirent légèrement, mais aucun son n’en sortit. Son souffle s’était coupé. Il n’avait jamais vu une femme aussi belle. Pas comme cela. Pas avec une lumière aussi fragile et vibrante à la fois. Louise, son Louise, se tenait là, transformée en une apparition qui troublait chaque fibre de son être.
Elle, mal à l’aise sous cette attention brûlante, baissa instinctivement les yeux. Mais lui n’avait pas l’intention de détourner les siens. Il fit un pas vers elle, lentement, comme pour ne pas briser l’instant.
— Louise... murmura-t-il enfin.
Elle releva timidement le regard vers lui, et leurs yeux se croisèrent. Un frisson courut le long de sa nuque. Il y avait dans les prunelles de Hans une intensité qu’elle ne lui avait jamais vue. Un mélange d’admiration, de trouble et d’un désir à peine contenu. Elle sentit son cœur cogner violemment contre sa poitrine.
— Vous êtes... sublime, souffla-t-il.
Elle esquissa un sourire timide. Il n’était pas homme à donner des compliments en l’air, et celui-ci lui fit un effet plus puissant que n’importe quel autre.
Hans tendit une main hésitante, comme s’il voulait effleurer le camée à son cou, mais se ravisa à la dernière seconde. Ses doigts se crispèrent légèrement avant qu’il ne les retire.
— Cette robe vous va à merveille, ajouta-t-il d’une voix plus rauque qu’il ne l’aurait voulu.
Louise ne sut quoi répondre. Une chaleur diffuse s’était installée entre eux, un de ces moments suspendus où le monde autour semble s’effacer. Elle percevait la tension, palpable, entre son souffle à lui et le sien.
Enfin, il détourna légèrement les yeux, inspirant profondément pour reprendre contenance.
— Nous devrions y aller, finit-il par dire, comme s’il voulait chasser une pensée trop brûlante.
Mais alors qu’il lui tendait son bras, il n’échappa à aucun d’eux que quelque chose venait de changer.
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Le trajet vers la Villa Guy se fit dans un silence chargé d’émotions. Assise à côté de lui dans la voiture, Louise sentait parfois son regard effleurer son profil avant de se détourner.
Alors elle sourit, un peu maladroitement. Pour casser ce trouble.
— Vous êtes stressé… pour ce récital ? demanda-t-elle dans un souffle.
Il ne répondit pas tout de suite. Puis il répondit, sans la regarder :
— Avec vous à mes côtés… peu importe où je vais, je suis comblé.
Elle sentit son cœur se contracter, comme pris de court.
Elle détourna les yeux, incapable de répondre. Elle n’était plus sûre de savoir où elle allait.
Lorsqu’ils arrivèrent devant l’imposante demeure, un frisson parcourut son échine. La Villa Guy se dressait devant eux, illuminée de mille feux, ses jardins magnifiquement entretenus animés d’un ballet d’invités en tenues de soirée. La réception promettait d’être somptueuse. Mais au-delà du faste, Louise savait qu’elle devait rester concentrée.
Ce soir, elle n’était pas là que pour accompagner Hans. Elle était là pour observer, comprendre, et mémoriser tout ce qui pourrait être utile à son frère, donc aux résistants. Sa mission était claire : retenir les noms, les visages, les grades, les comportements. Identifier les figures clés de l’armée allemande et de la Gestapo, savoir où ils logeaient, comment ils se déplaçaient, avec qui ils parlaient. Chaque détail pouvait devenir une arme entre les bonnes mains.
Mais elle savait que, malgré la beauté envoûtante de cette soirée, le danger rodait, silencieux, dans chaque recoin de la villa.
La Villa Gui brillait de mille feux sous l’illumination tamisée des lustres en cristal. À l’instant où Louise franchit l’entrée, tous les regards convergèrent vers elle. Les soldats allemands, leurs uniformes impeccablement ajustés, se tournèrent avec curiosité et admiration, tandis que quelques Français, dispersés dans la foule, observaient la scène avec un mélange d’intrigue et de retenue. Parmi les invités, quelques femmes françaises à l’élégance tapageuse se glissaient entre les officiers, leurs rires légers tranchant avec la solennité ambiante.
Hans avançait fièrement à ses côtés, le regard empreint d’une fierté manifeste. Il savait qu’elle était sublime, et il savourait ce moment où tous constataient la même évidence. Il laissa volontairement les regards glisser sur elle, presque avec défiance, comme pour affirmer que Louise lui appartenait et que nul ne pouvait lui enlever cet éclat. Louise, elle, ressentit un frisson d’appréhension, mais elle redressa les épaules, soutenant les regards sans arrogance, mais avec une grâce naturelle.
Des coupes de champagne pétillaient sur des plateaux d’argent, portés par des domestiques silencieux. Louise en accepta une, appréciant la fraîcheur des fines bulles sur ses lèvres. À quelques pas de là, une table proposait des amuse-bouches raffinés, dont de petits feuilletés délicatement dorés et des bouchées garnies de mousse de foie, un luxe qu’elle n’avait jamais goûté auparavant.
Hans fut rapidement abordé par des officiers de haut rang, visiblement ses supérieurs ou du moins des hommes qu’il devait respecter. Louise resta à ses côtés, feignant l’ignorance alors qu’elle tendait l’oreille à chaque mot échangé. Les discussions, en allemand, lui échappaient en partie, mais elle saisissait des bribes. Soudain, un rire grave s’éleva parmi les officiers, accompagné de regards appuyés dans sa direction. Elle sentit le regard de Hans s’assombrir imperceptiblement.
Les mots prononcés lui échappaient, mais elle comprenait qu’il était question d’elle, et pas de la manière la plus respectueuse. L’un des officiers glissa une remarque plus osée, déclenchant un ricanement collectif. Hans, jusque-là impassible, serra imperceptiblement la mâchoire. Son poing se crispa un instant avant qu’il ne se ressaisisse. Il ne pouvait pas réagir brusquement, pas ici, pas maintenant. Mais son regard d’azur s’endurcit, projetant une froideur qui fit légèrement retomber l’exubérance de ses interlocuteurs.
Louise, bien qu’ignorante des détails, perçut ce changement dans l’attitude de Hans. Elle posa doucement sa main sur son bras, un geste presque inconscient, et il relâcha légèrement sa prise sur sa coupe de champagne. Il souffla lentement, un sourire plus forcé se dessinant sur ses lèvres, avant de détourner la conversation vers un sujet plus neutre.
Louise, quant à elle, notait mentalement les visages, les noms, les attitudes. Elle devait retenir chaque détail . Chaque uniforme, chaque insigne, chaque échange pouvait être crucial. Derrière le faste et les mondanités, la véritable raison de sa présence ne lui échappait pas. Et malgré l’attention flatteuse qu’elle recevait, elle savait qu’elle jouait un jeu dangereux.
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