3. Un cauchemar sans fin

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Le soir tombait et les maisons dans la pierre semblaient respirer. On voyait les lueurs du feu illuminer les intérieurs des nuances de ce rouge si flamboyant, si chaleureux. Et pourtant, on m'avait laissé pourrir dehors, reliée à un arbre qui bordait le plateau par une chaine. Des marques bleues et violacées commençaient déjà à apparaître sur mes poignets douloureux. Mes lèvres tremblaient par ce froid et je me blottis comme je pus dans la couverture qu'ils m'avaient laissée. Je n'étais pas seule, nous étions un petit groupe de cinq autour de l'arbre et chacun se réchauffait comme il pouvait. Cependant personne ne s'entraidait. C'était chacun pour soi. Et quand j'avais essayé de leur adresser la parole, ils m'avaient immédiatement insultée de tout ce qu'il pouvait. Depuis je m'étais tus. Une fois un homme qui s'approchait de la trentaine tenta de me prendre ma couverture de survie, avec le peu de force qu'il me restait je lui avais mis un coup de pied dans la tête, en tombant il avait percuté une pierre et depuis il ne bougeait plus. Je n'avais pas tenté de vérifier s'il respirait encore. Je ne voulais pas savoir car en me débattant j’avais pensé à lui, Joris. Et j’avais frappé non pas de toutes mes forces, je n’en avais plus beaucoup à dire vrai, mais de toute ma haine.

Je regardais donc les maisons, entre quelques larmes qui tombaient sans que je n’y prête la moindre attention. Elles n'étaient jamais les mêmes, les maisons. Certaines étaient taillées avec précisions de ce que je pouvais voir d'ici, et d'autres étaient brutes, à peine munies de deux fenêtres et d'une entrée. Seules les huttes les plus joliment parées avaient des portes. Les autres ne possédaient qu'un simple rideau. C'était rudimentaire comme façon de vivre.

De l'une des huttes, une femme en sortit accompagnée de Leszeck. Ils se dirigeaient droit vers nous. Les autres commencèrent à s'agiter en les voyant. Ils semblaient attendre quelque chose avec impatience, leurs yeux pétillaient comme ceux des enfants devant le sapin de noël. Moi je voulais juste prendre mes jambes à mon cou. M’enfuir avant que toute cette folie sous-jacente et palpable ne me prenne.

Je ne baissais pas les yeux alors que la femme m'examinait de haut en bas. Elle se pencha vers Leszeck et lui murmura quelque chose en passant sa main dans son dos. Il hocha la tête et lui mordit la joue. Elle sourit puis acquiesça. Ils accélèrent le pas et je pus voir que l'homme trainait quelque chose derrière lui. J'eus un haut-le-cœur quand je pus voir la biche éventrée aux yeux sans vie qu'il déposa à nos pieds. Le cou tordu dans un angle totalement improbable, elle avait la gorge ouverte et les cuisses pleines de traces de griffes. Les hommes qui étaient avec moi se jetèrent dessus avec des cris bestiaux. Ils plongeaient la tête la première dans les chaires pour la rejeter quelques secondes plus tard, la bouche pleine de viande crue qui dégoulinait de sang. Les bruits spongieux de mastication me firent blanchir tout à coup en plus de la vision de ses hommes à moitié bêtes.

On détourna mon attention par une main chaude qui se posait sur mon épaule ouverte. J'eus un mouvement de recul sous la douleur et ne retins pas un petit hoquet de surprise. Mes nerfs étaient à vifs et ne pas les entendre m'approcher était bien trop perturbant pour moi. Mon signe de faiblesse ne sembla pas plaire à la femme car elle m'empoigna les cheveux pour me ramener debout. Elle ne me tenait que d'une main et pourtant elle ne sembla pas avoir du mal à me relever. Elle-même qui était accroupie n'eut aucun mal à se relever en gardant son équilibre.

— Elle est en piteux état. Cela m'étonne qu'elle soit encore en vie.

— Donne-moi un bilan de ses blessures, Maya.

Elle m'appuya contre l'arbre et s'assura que je puisse tenir debout seule. Avec l'accord de Leszeck, elle commença par regarder mon épaule, ses mains se firent douces quand elle éloigna la manche de la combinaison et qu'elle tâta la peau violacée et gonflée autour de la blessure ouverte. Je ne bougeai donc pas, j'avais le sentiment qu'elle s'approchait le plus d'un médecin. Elle examina ensuite rapidement mon visage, notamment au niveau du cuir chevelu. Puis elle passa à mes côtes où ses mains se firent plus présentes et elle appuya à différents endroits pour tester ma douleur. Ensuite ce fut autour de la déchirure de ma jambe, elle pressa pour voir s'il y avait du pus dans la plaie, un liquide vaguement jaunâtre sortit d'abord. Je grimaçai alors qu'elle appuyait plus fort mais me mordis les lèvres pour taire un quelconque son. Elle se releva ensuite.

— Au niveau de la tête, il n'y a rien hormis quelques égratignures. L'épaule par contre est presque disloquée. Les griffes ont brisés les os et tous les ligaments, ça va être compliqué à guérir même si elle a été correctement replacée. Si le muscle ne se remet pas du choc assez rapidement, elle risque de garder une faiblesse à vie.

— Mais ça se guérira à un moment ? demanda-t-il sans me regarder.

— Oui. Son corps a déjà endigué l'hémorragie. Mais il faudra la recoudre et user des plantes pour espérer un rétablissement total. Elle a également une côte cassée et deux fêlées. Pour sa jambe, je m'inquiète surtout pour l'infection mais une fois encore, les plantes devraient suffire et il faudra également la recoudre.

— C'est bien moins important que ce que je pensais. Bien, conclua-t-il d’une voix grave, tu la soignes dès maintenant. Sinon elle ne tiendra pas la nuit. Elle a perdu beaucoup de sang, elle sera trop faible pour survivre au froid.

— Et pour celui-là ? dit Maya en désignant l'homme qui voulait me prendre la couverture.

— Celui-ci est mort. On le donnera aux louveteaux.

Je détournai le regard, dégoutée et honteuse. Mes mains se mirent à trembler et malgré que je tente de me calmer en les frottant contre mes jambes, le choc de ce que j'avais fait me fit chanceler. Je tombai au sol sans même tenter de me rattraper. Le souffle brûlant qui sortit d'entre mes lèvres s'échappa en fumée blanche dans l'air refroidissant. Je clignais des yeux, dans le vague. J'avais tué un homme. J'avais tué un homme.

Une ombre empêcha mon regard d'atteindre les branches nues de l'arbre. Leszeck porta sur moi un regard noir. Son souffle se mêla au mien alors que la satisfaction semblait s'emparer de lui. Je vis ses muscles trembler alors que son ombre l'entourait, elle s'échappait à peine de sa peau, sur tout son corps. Elle semblait vouloir s'exprimer et lui, la gardait enfermée.

— C'est toi qui à fais ça, n'est-ce pas ? C'est toi qui l’as tué.

La deuxième phrase n'était pas une question. Alors à quoi bon nier ? J'acquiesçai sans dire un mot, ma gorge était trop nouée pour qu'un son ressemblant à autre chose qu'une plainte ne puisse sortir. Je tremblais d'appréhension, il allait me tuer. Il allait me déchiqueter comme les autres dévoraient la biche.

— C'est elle qui l'a tué ? la femme siffla. Dans l'état où elle est, la petite est douée. Tu as bien choisis, Alpha.

Leszeck grogna. Les vibrations de son torse résonnèrent en moi et mes joues s'échauffèrent. C'était étrange, chaud et bizarrement très apaisant.

— Par contre si tu ne me laisses pas l'atteindre, je ne pourrais pas lui poser les cataplasmes ni lui faire boire l'infusion.

Leszeck se redressa. Il entreprit de saisir l'homme que j'avais tué et s'éloigna quelque peu. Maya posa des mousses broyées sur mon épaule et des feuilles entières de laurier pour couvrir le tout. Elle me fit boire une boisson chaude absolument écœurante et me demanda de mâcher une boule de feuilles de saule blanc qui, d'après elle, avait des capacités contre la douleur.

—Il va falloir que tu manges, petite. Sinon tu n'auras pas assez de force pour les prochaines semaines, et crois-moi, tu voudras être en pleine forme pour ce qu'il t'attend.

Sur ce, elle se releva et salua Leszeck. Il me regarda puis me désigna la biche. Sans mot dire, il me tourna le dos, trainant mon fardeau derrière lui tel un vieux pantin désarticulé. Je regardais les restes de la biche. Ses yeux morts semblaient me crier toute la cruauté du monde et malgré la faim qui me tordait l'estomac, le dégoût fut bien plus fort. Je me roulai en boule dans mon coin et fermai les yeux, priant pour que ce ne soit qu'un cauchemar.

Après tout, les monstres n'existaient que dans les rêves d'enfants.

N'est-ce pas ?

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