Premiers regards
Le soleil entrait en rayons timides par la fenêtre du petit atelier.
Marie-Louise était penchée sur son bureau, concentrée, les doigts tachés d’encre, les cheveux tombant en mèches désordonnées autour de son visage. Elle avait ce mélange de douceur et de force qui fascinait Côme depuis leur toute première rencontre.
Lui, debout près de l’entrée, observait la scène avec cette curiosité mêlée d’admiration qui ne l’avait jamais quitté. Chaque détail comptait : la façon dont elle fronçait les sourcils en réfléchissant, le léger tremblement de ses mains quand elle prenait une pause, ce sourire timide qu’elle adressait à un dessin à peine esquissé.
Côme ne savait pas exactement quand ce sentiment s’était installé, mais il était là, vif et tenace. Un mélange d’attirance, d’envie de la protéger, et surtout d’une tendresse qu’il n’avait jamais vraiment expérimentée avant.
Il s’approcha doucement, comme pour ne pas troubler son univers fragile, et lui parla enfin.
— Tu travailles tard.
Marie-Louise releva les yeux, surprise. Elle posa son crayon, un peu gênée.
— Oui… J’aime quand tout est calme. Quand le monde peut attendre un peu.
Il sourit, trouvant dans cette phrase une promesse d’intimité.
— Moi aussi, dit-il doucement.
Leurs regards se croisèrent, et pour un instant, tout sembla suspendu. Il y avait cette tension invisible, faite de silences et de non-dits, qui parlait plus fort que n’importe quel mot.
Côme voulait lui dire qu’il avait peur de la perdre, de ne pas être à la hauteur, qu’elle comptait déjà plus que tout. Mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Alors il se contenta d’être là, présent, à ses côtés, prêt à découvrir peu à peu qui elle était vraiment.
Le soleil déclinait doucement derrière les vitres, projetant des ombres longues sur le parquet clair de l’atelier. La journée touchait à sa fin, mais Marie-Louise ne semblait pas pressée de partir. Elle s’était encore plongée dans ses croquis, comme pour retarder le moment de réintégrer le monde extérieur.
Côme l’observait en silence. Il l’avait rejointe plus tôt sous prétexte de parler du projet en cours, mais à présent, il n’arrivait plus à faire le premier pas vers la conversation. Il la regardait, c’était tout. Et déjà, c’était trop.
Erine entra sans frapper, comme elle en avait l’habitude. Sa voix pétillante coupa le silence avec naturel.
— Vous êtes encore là, tous les deux ? On dirait que le temps s’arrête dans cet endroit...
Marie-Louise leva les yeux et sourit, soulagée. Côme aussi eut un petit sourire, mais il resta en retrait.
— Je termine quelques croquis, dit-elle. Le dossier doit partir lundi.
— Tu t’épuises, répliqua Erine, moqueuse mais affectueuse. Et toi, Côme, t’es venu jouer les anges gardiens ?
Il rougit légèrement.
— Je venais juste vérifier si elle avait besoin de moi pour l’impression... ou autre chose, dit-il un peu trop vite.
Erine haussa un sourcil, mais ne dit rien. Elle connaissait Côme depuis assez longtemps pour repérer cette gêne douce qui le traversait quand il s’agissait de Marie-Louise. Elle s’approcha d’elle et la taquina doucement :
— Dis, tu comptes lui faire tourner autour encore longtemps, ou tu vas te décider à lui dire que tu l’aimes bien ?
— Erine... ! protesta Marie-Louise, rougissante.
— J’ai rien dit de mal, sourit Erine en haussant les épaules. Moi je dis juste ce que tout le monde voit.
Marie-Louise baissa les yeux. Côme détourna le regard, comme frappé en plein cœur. Il aurait voulu dire quelque chose, défendre sa position, mais au fond, Erine avait raison. Il tournait autour. Depuis des semaines. Et il n’avait pas encore eu le courage de faire un pas franc.
Après quelques minutes, Erine s’éclipsa discrètement, leur laissant la pièce.
Un silence s’installa entre eux, plus dense qu’auparavant. Marie-Louise rangea lentement ses feuilles, évitant son regard. Lui, restait debout, mains dans les poches, le cœur lourd d’un mélange étrange : la peur d’être ridicule, et l’envie urgente de lui dire qu’elle le bouleversait.
— Tu sais, finit-il par dire, je ne viens pas ici juste pour le projet.
Elle s’arrêta, doucement, relevant les yeux vers lui.
— Je sais.
Elle ne dit rien de plus. Mais son regard était calme, et il n’y avait ni moquerie ni rejet. Juste cette tendresse silencieuse qui donnait à Côme l’envie de rester, encore un peu. D’être là, même sans promesse, même sans réponse immédiate.
Il s’assit enfin près d’elle, et ensemble, ils regardèrent le jour tomber.
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