L'impatiente inquiète

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        Il y a cet adolescent dynamique à l’entraînement, ce blondinet à l’air candide, joyeux pourtant blessé. Il a trois ans de moins que moi, mais je le vois comme un enfant. Ses yeux scintillent, seule paire de néons au milieu de ces faces moroses, et, accompagné du sourire le plus beau que j’ai pu voir dans ma vie, il court, que dis-je ! il joue, non ! il danse ! Il danse sur le terrain, glissant comme la papillonneuse dans sa ligne d’eau. Le voilà qui accomplit le mouvement d’un amorti sublime. Le volant retombe de l’autre côté du filet, rasant ce dernier pour s’évanouir dans le coin supérieur droit, laissant son adversaire perdre l’équilibre en essayant vainement de rattraper ce coup presque parfait. 

        Je ne connais pas le nom de ce prodige, mais je sais que le portrait que je viens de dresser n’est qu’une illusion.

        Jeudi soir. Comme toutes les semaines, mon père me dépose au gymnase. Il est 18h20, la porte de la salle est à dix pas. Le temps de descendre de la voiture, je peux apercevoir Candide (surnommons-le ainsi) arriver en même temps que moi. J’entends une voix grave, confuse ; je crois que son père le dispute. Candide n’ose dire un mot et rentre la tête dans les épaules, cherchant désespérément un moyen d’éviter la conversation. J’attrape mon sac, ouvre la portière puis adresse un sourire aux deux personnes. Aucune ne me le rend. Je remarque seulement le regard pathétique de Candide, les néons s’éteignent et mon coeur se fend. Le ton monte, l’homme reste le seul à oser briser le silence. Le temps de refermer la portière, je relève la tête ; Candide a un mouvement de recul, son père a levé la main.

        L’incident est vite oublié, l’entraînement se déroule comme d’habitude : nous rions, nous courons, nous frappons, nous racontons des vannes qui ne sont pas forcément drôles, les filles battent tout le monde, les jumeaux restent incernables, et il y a encore ce blondinet innocent qui semble à première vue plein de vie et qui saute partout où il lui est possible de poser le pied.

        La séance touche à sa fin. Nous discutons pendant les étirements et, évidemment, le coach nous charrie. Je n’écoute pas forcément ce qui se dit, un peu perdue dans le désordre qu’est ma tête et bercée par le fond sonore que leurs discussions apportent à mes oreilles. Pourtant, je suis tirée de mes pensées. Le coach, s’adressant à Candide : « Non, ça ne va pas faire plaisir à ton père ça, c’est sûr ! » et le groupe rit à l’unisson.

        Je relève la tête en direction de cet enfant trop sérieux pour son âge. Pour la première fois, j'ose observer plus que son sourire. Mes yeux se posent sur son corps, d'abord son torse, puis le creux de ses bras, ses hanches, ses cuisses flottant dans son short de sport, ses genoux carrés... Et ses mollets. Immondes. Asymétriques. L'un est magnifiquement ferme, l'autre est tâché d'un bleu-violet. Le coach rit de plus belle, Candide pose une main sur l'affreuse blessure, à demi-souriant.

        Je n’ai pas ri, lui non plus, alors j’ai compris qu'il y avait beaucoup plus à apprendre chez quelqu'un lorsque nous nous aventurons au-delà de l'expression de son visage.

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