On va se coucher. J’embarque Toumaï dans la salle de bain et je lui dis qu’il doit prendre une douche, parce qu’avec tout ce qu’on a fait, moi, les odeurs, je ne supporte pas trop. Il me regarde avec un grand sourire :

— Toi, tu es toujours à te laver, à te parfumer. Tu sens la cocotte !

— N’importe quoi ! C’est mon gel douche, c’est tout. Je peux en changer ! J’en ai d’autres ! Tu n’aimes pas ?

Un petit couplet pour expliquer le gel douche, pour qu’il finisse par dire :

— Si, j’aime bien. Ça te donne un côté fille qui te va bien.

Je ne sais pas si c’est une boutade ou non. Il a des yeux si gentils que ça ne peut pas être méchant. Mais quand même, je ne suis pas une meuf ! Je sors deux autres flacons. Je lui mets sous le nez.

— Choisis !

— Mais non ! C’est juste que je ne suis pas habitué ! Moi, je me lave au savon de Marseille. Et puis tu sais, on a une seule douche, et depuis pas longtemps. On en prend une par semaine, c’est pas grave !

— Mais là, tu veux pas…

— Je sens mauvais ?

Justement, non, il ne sent pas mauvais ! J’aime bien cette odeur. Je la trouve, je sais pas dire, vivante ? C’est vrai que je prends au moins une douche par jour, que je me lave sans arrêt les mains. Il faut dire que depuis le covid, c’est encore pire !

— Mais quand vous êtes en colonie, ou dans la garrigue, vous ne vous lavez pas ?

— En colonie, je t’ai dit, des fois, c’était au jet d’eau dehors. Sinon, on a de grands lavabos.

Je n’ose pas lui demander si c’était de l’eau chaude, parce que je suis sûr que non et que l’eau froide j’aime pas du tout !

— Et dans la garrigue, pour deux ou trois jours, ce n’est pas la peine.

— Vous viviez comme des sauvages…

— Non, on vivait normalement.

Normalement ! Je découvre qu’il y a plusieurs normalement, car on a pas les mêmes !

On se pieute, toujours dans la même position. Comment je faisais avant ?

— Zo ?

— Hmmm

— Tu sais, maintenant, je m'en fous.

— De quoi ?

— De ce qui m'est arrivé.

— Ah bon ! Pourtant…

— Parce que je t'ai trouvé et que je suis avec toi. Le reste n'a plus d'importance. Du moment que je peux rester avec toi !

— C'est marrant, moi je me disais que j'avais qu'une envie, c'était que tu m'emmènes avec toi ! Parce que, franchement, même si c’est la préhistoire, vous avez l’air de bien plus vous amuser que maintenant. Ça a l’air plus facile pour tout !

— Mais non ! Tu n’as pas compris. C’est vrai qu’on s’amuse bien, mais pas toujours. Tu sais, quand j’entends les parents parler, ce n’est pas facile pour eux. Ils travaillent très dur pour nous élever. Alors, même si on ne les comprend pas toujours, on les respecte beaucoup. Avec ce que tu me racontes, je vois que vous avez tout, facilement !

— Non ! Tu sais, mes deux parents sont médecins. Ils ont du flex, je veux dire de l’argent. J’ai de la chance. Je sais qu’il y a plein de pauvres. Par exemple dans les Quartiers Nord…

— Je connais ! Mon père travaille sur les HLM qui sont construites !

— Oui, et bien, ça a mal tourné depuis ! Ce n’est pas tout. Même s’il n’y a plus de guerre ici, il y en a ailleurs. Sans parler du réchauffement climatique, du covid, de la pollution…

— Moi, je préfère ton époque quand même !

— Attends d’avoir tout vu ! Mais c’est vrai qu’il y a plein de choses chouettes.

— Alors, on reste ici ou on retourne à mon époque ?

Et pouf, il s'endort aussitôt. Les autres soirs, j’avais bien senti que c'était le moment le plus dur pour lui. Qu'il s’endorme comme ça, après des mots gentils comme ça, ça me fait… Je me serre plus fort contre lui, j'ai tellement besoin de lui.

Juste à ce moment, le beau sourire d'Amélie surgit dans ma tête. Heureusement que je m'endors aussi, car sinon je disjonctais.