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Je savais qu’ils allaient nous parler. Je sens venir la cata. Nous sommes autour de la table. C’est papa qui parle, avec sa tête sérieuse. Maman nous regarde avec des yeux tristes. Je me rapproche de Toumaï, je me serre contre lui et je lui prends la main.

— Les garçons, j'ai des choses très difficiles à vous dire. Je dois vous traiter comme des grandes personnes. On va tenir le coup, mais il fait être courageux.

On se regarde. Je ne sais pas qui a le plus peur, tellement je me sens avec lui.

— Voilà : on fait des examens dans tous les sens. Robert va bien, il est en pleine santé, pour un garçon de quatorze ans. Je dois vous dire que j’ai été étonné quand je t’ai examiné la première fois : tu avais des sacrées plaies, mais elles avaient cicatrisé très vite. Je sais qu’Enzo t’avait très bien soigné, mais c’était étonnant.

Jusque-là, tout va bien ! J'attends le mais de la mauvaise nouvelle.

— C'est curieux. C'est comme si Robert s'était réveillé maintenant et que son organisme devait se remettre à l'heure. Il a un métabolisme très spécial.

— Ça veut dire quoi ?

— Robert grandit très vite. Très très vite. C'est pour ça que les cicatrices ont disparu si vite.

— Et alors ?

— On va voir, mais ce n'est pas impossible qu'il ait quinze ans bientôt, puis seize.

— Comme tout le monde !

— Non ! Pour Robert, c'est dans les prochains mois, pas les prochaines années…

Je ne comprends pas. Rob non plus. On se regarde.

— Je vais grandir et vieillir plus vite qu'Enzo, c'est ça ?

— Oui, probablement ! C'est ce qu'on a vu. Nous en avons beaucoup parlé avec mes collègues et avec Delphine.

— C'est à quelle vitesse ?

— Pour l'instant, on ne peut pas dire. On va voir. Peut-être pas trop vite, peut-être que ça va ralentir, ou accélérer. Vous pensez bien qu'il n'y a aucun préalable, aucun cas identique. Avec Georges, nous allons te suivre, pour toi, pour que ça se passe bien. Nous allons tout noter, tout documenter. Comme ça, s'il y a un problème, on pourra aller voir les grands spécialistes. Le risque est que tu deviennes une bête de foire, un cobaye.

— C'est quoi, un cobaye ?

— Une sorte de grosse souris dont on se sert pour les expériences. En fait, maintenant, on utilise surtout des souris, mais le nom est resté pour désigner un être sur lequel on fait des expériences.

— Je n'ai pas envie que Rob devienne un cobaye !

— Non, Enzo. Nous allons essayer de l'accompagner en gardant le secret. Mais s'il y a un problème, c'est sa santé avant tout !

Pendant ce temps, Toumaï avait cogité.

— Si je comprends bien, je vais bientôt mourir…

— Doucement ! Non ! Pas du tout. Il est encore trop tôt pour savoir à quelle vitesse ton corps avance. Ne t'en fais pas ! Et puis surtout, notre promesse tient toujours : tu es avec nous, complètement, pour tout.

Il se tourne vers moi.

— Zo, si je change, si je deviens plus vieux que toi, on restera amis ?

Je ne peux pas lui répondre. Je tombe dans ses bras, nous nous serrons. Quel idiot ! C'est mon ami, peu importe comment, pour toujours.

Nous nous séparons. C'est incroyable comme il me fait du bien. Je peux tout affronter avec lui. Je crois qu'il pense la même chose, car je le sens détendu. Mes parents nous regardent, avec un grand sourire.

— Ça, c'était le plus dur. Mais cela implique aussi d'autres questions.

Ils ne vont pas nous lâcher ? Être adulte, je vois que c'est penser sans arrêt à tous les ennuis qui vont arriver. J'en ai marre. Ce n'est jamais fini.

— Nous pensions inscrire Robert au collège, maintenant qu'il a des papiers. Ce n'est plus possible !

— Mais si ! Je lui ai montré notre programme et nos livres. Bon, ce n'est pas très compréhensible pour lui, mais je lui ai expliqué et il a compris, en maths, en physique. Je peux l'aider. Ça m'aidera aussi. Vous savez, il est aussi intelligent que moi !

— Oui, Enzo, nous nous en sommes rendu compte ! Et nous nous étions dit la même chose que toi : en travaillant tous les deux, tu allais rattraper ton retard ! Au fait, depuis notre retour, je ne t'ai pas vu beaucoup travailler…

— Ben, je…

— On en reparlera ! Non, le problème, c'est que Robert va entrer à quatorze ans et à la fin de l'année, il en aura seize, ou vingt…

— Si vite ?

— Je ne sais pas, mais on ne peut pas prendre de risques !

— Il va rester tout seul toutes les journées ?

— Non ! Il ne doit surtout pas devenir prisonnier ! Tu lui as présenté tes amis. On ne connaissait pas Amélie, mais elle parait être une très gentille fille.

(Pourquoi je sens que je deviens tout rouge ? Je sais qu'ils font semblant de ne pas s'en apercevoir.)

— Vous allez les mettre dans la confidence, en disant que Robert souffre d'une maladie rare qui le fait vieillir plus vite. Enzo, tu peux agrandir le cercle, mais uniquement avec des copains et des copines sérieuses. Tu comprends ?

— Mais oui ! C'est à Robert qu'il faut demander…

— Pour l'instant, tes potes ont l’air sympas. Ça me va. Mais pour les devoirs, il faudra m'aider. Même si je ne vais pas au collège, j'ai envie d'apprendre !

— Bon, on va faire comme ça. On verra comment ça évolue. Peut-être que tu pourras aller au lycée l'année prochaine ?

***

Nous nous sommes installés dans cette vie. Je passe beaucoup de temps avec Toumaï pour faire nos devoirs ensemble. Mes notes ont super bien remonté. Dès que nous le pouvons, avec Gaby et Momo, nous allons nous promener dans Marseille. Nous ne le faisons jamais avant. C’est quand même une belle ville !

Amélie vient souvent à la maison. Je crois qu’elle aime bien Robert. Je crois qu’elle l’aime un peu trop et je ne sais pas quoi faire.

Toumaï grandit vite. Maintenant, il a du duvet sur la lèvre et sur le bas des joues. Moi, je trouve ça super beau et je suis jaloux de n’avoir que des boutons à la place. Je le sens plus fort, plus protecteur, alors que je n'arrête pas de tout lui expliquer.

On dort toujours l'un avec l’autre, dans nos bras. J’ai changé, car maintenant, j’ai hâte de me coucher, alors qu’avant j’avais tout le temps peur.

Voilà. On attend. Mais à présent, chaque instant dure un siècle.

De toute façon, je m'en fiche. Maintenant, je veux bien devenir adulte. Je veux même que ça arrive vite, pour que nous restions ensemble.

Je sais que, même quand il sera devenu grand-père, j'aurais toujours mon grand frère.

Toumaï, mon frère !

Bye.

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