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Avec ça, c’est quand même l’heure de manger ! J’ai faim. Je lui fais signe de me suivre. Arrivés au salon, je lui demande :

— Une pizza, pour te remettre, avant que tu partes ?

— Une quoi ?

JPP ! Il est à bout, l’Enzo ! Il ne va pas buter sur chaque mot que je prononce. Je ne comptais pas passer ma soirée à m’occuper d’un handicapé mental.

— T’occupes !

Je sors une pizza surgelée, sans lui demander si une quatre fromages lui va bien. Pas envie de m’user en explications s’il ne sait pas ce que c’est que du fromage ! Hop, dans le four, programmateur, cling, clong. Prête dans trente minutes. Enzo, le chef cuistot. Ça tombe bien, j’ai des questions à poser à l’autre abruti ! Il a l’air sympa, malgré son handicap, mais il y a quelque chose que je ne sens pas.

— Tu habites où, exactement, au Cabenan ? Parce qu’avec le centre commercial et le parking, y’a plus de bâtiments !

— Rue des Taillades.

Je regarde mon phone, ça n’existe pas !

— C’est quoi, cette espèce de tablette que tu ne quittes pas des mains et que tu regardes sans arrêt ?

Là, je me sens vraiment mal. Un mec qui n’a jamais vu un smartphone ! Même le dernier des Orcs, il connait. Je préfère ne pas répondre. Je suis super-intelligent, mais là : whalou ! On va faire comme les explorateurs, on va reprendre au début :

— C’est quoi ton nom ? Moi, c’est Enzo. On aurait dû commencer par là !

— Tu es Italien ?

— Ben non, un bon petit Gaulois, comme tout le monde !

— Pourquoi tu dis Gaulois ?

J’ai compris qu’il fallait que je parle autrement pour qu’il comprenne. Mais je ne sais pas quel autrement je dois parler ! Pendant que je réfléchis, il continue :

— Moi, c’est Robert, ou Roberto.

C’est sûr qu’avec un nom comme ça, il y a du retard ! Quelle idée d’appeler son gamin avec un nom de grand-père ! Y a des parents à foutre en tôle ! Tout n’est peut-être pas de sa faute…

— J’ai quatorze ans, pile-poil. Je suis au collège. Et toi ?

— Quatorze et demi, mais je suis au lycée !

Au lycée ! Un débile pareil ! Je rêve !

— Tu es en seconde ?

— Ben non, en troisième !

— Tu viens d’où ? La troisième, c’est le collège…

— Ah, oui, c’est la nouvelle réforme !

Y a vraiment un truc qui colle pas. J’arrive pas à savoir s’il est con, débile, cassos… Il ne connait rien, il parle comme un vioc. Je suis sûr qu’il est né il y a cent ans, sinon, c’est pas possible. Je lui lance en boutade :

— T’es né en 1920 ?

— Non ! En 1950.

Là, je me fissure. C’est quoi cette dinguerie ? Je suis gentil, je le fais rentrer, je l’habille, je lui fais à manger et il se paie ma tronche ! Pas sympa, ce mec ! J’ai envie de lui foutre dans la gueule, même si je n’aime vraiment pas me battre. Je tourne les épaules. Ras-le-bol ! Mais je vois sa tête. Il n’a évidemment pas l’air de se foutre de moi. Il a plutôt l’air perdu.

— Attends ! Excuse, mais j’ai mal entendu. Tu as dit que tu étais né…

— En 1950, le 23 février 1950. Pourquoi ?

What the fuck ! Je comprends tout. C’est un mec qui a voyagé dans le temps ! Fastoche ! J’aurais pu y penser avant ! Pas malin, Enzo le surdoué. Heureusement que la sonnerie du four clingue à ce moment, parce que sinon, je me frappais la tête contre les murs. Je viens de lire dans S&V Junior que les voyages dans le temps sont impossibles. Je n’ai pas tout compris, mais la conclusion était très claire. Donc puisque c’est impossible, ce mec n’existe pas ! Pourtant, apparemment, il est devant moi et complètement décalé. Le seul avantage que j’ai sur lui, c’est que je suis chez moi et que je connais ce monde, enfin, un peu.

— On va manger !

Ça, au moins, c’est sûr. Je risque de me bruler, tellement je ne fais pas attention à ce que je fais. Putain, comment vais-je lui expliquer ? Lui expliquer quoi ? Qu’il n’existe pas ou qu’il a changé de temps ?

Pour l’instant, il regarde la pizza, comme si c’était la première qu’il voyait de sa vie ! C’est peut-être le cas ! Je ne sais pas quand monsieur pizza a inventé sa galette. Je sens que les préhistoriques ne sont pas loin.

Comme ça sent bon et qu’il a faim, il comprend vite comment ça se mange. Il a l’air d’aimer, car il me fait de grands sourires. Au moins, il est pas méchant. Moi, j’ai du mal à avaler. On ne se cause pas et ça vaut mieux. Quand on a fini, il faut bien que j’attaque :

— Robert, il faut que je te dise quelque chose !

— Oui ?

— Je suis né en 2007… et nous sommes en 2021 !

— Tu galèjes ?

Au moins, il est du Midi, on est du même pays ! Je le savais déjà, parce que son accent me l’avait dit. Apparemment, il est plus facile de voyager dans le temps que dans l’espace !

— Ben non ! Regarde autour de toi ! Tu ne reconnais rien ! Le vélo, la douche, la pizza ! Et ça, c’est mon phone ! Cette tablette, comme tu dis, c’est mon smartphone !

Je comprends vite à sa tête que je ne suis pas gentil sur ce coup-là, car il accuse salement. Toutes ces conneries, franchement, il n’en a rien à foutre ! Il vient de comprendre qu’il a voyagé dans le temps, un bond de cinquante-sept ans (je suis sûr que vous avez dit 71 ! Faut apprendre à compter, les mecs : 2021 moins 1950 plus 14 ans !). Et qu’avec un bond comme ça, il a tout perdu : ses parents, sa famille, ses copains, ses repères. Tout. Et qu’il est dans un monde inconnu. Il a vraiment l’air complètement perdu. Il me fait de la peine.

— Rob, euh, Robert, ça va aller ! On va trouver une solution. Je vais t’aider ! Je vais t’expliquer !

« Je vais t’expliquer » ! Je ne comprends rien et je vais lui expliquer… Cela dit, cela lui ferait du bien. Il est KO, en PLS, complètement secoué ! Je vois arriver l’arrêt cardiaque. Honnêtement, je ne vaux pas mieux.

Il m’énervait un peu, mais là, il me ronge de pitié. Je le regarde. En plus, il a l’air sympa. Plus petit que moi, la peau mate, les traits fins, trop cool, le Rob. Et puis, j’aime bien ses yeux. Trop cute. Il a l’air con, mais on voit bien qu’il ne l’est pas. Peut-être que nous allons devenir copains. J’aimerais bien…

Mais pour l’instant, il est dans une sacrée merde. Moi, je me sens aussi dans la merde, car je dois l’aider et que ce n’était pas mon plan.

Il est tellement perdu que je ne peux pas m’empêcher de me mettre à côté de lui et de lui mettre le bras sur les épaules. Il me fait trop mal.

Merde ! Il s’effondre contre moi et se met à chialer. Comme je n’ai pas le mode d’emploi pour consoler quelqu'un, alors, je laisse pisser.

Ça me fait tout drôle de sentir quelqu’un contre moi. Je sens sa chaleur, ses hoquets de pleurs, je suis même mouillé par ses larmes. Ça me dégoute un peu. Je n’ai jamais tenu quelqu’un dans mes bras !

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