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Lundi ! Je dois aller au collège. J’installe Robert devant l’ordinateur et la télé. Il a tous mes livres et mes BD, un repas à réchauffer. N’empêche que je suis triste de l’abandonner. Il va s’embêter. En quittant la maison, je n’ai qu’une envie, c’est de rester avec lui.

Heureusement que Pouf et Momo m’attendent à l’entrée de Monti. Ils me regardent comme si j’avais la galle ! Même si on ne le fait jamais, je les embrasse pour les embêter. J’ai oublié que des bolloss nous regardaient !

Dès que nous sommes seuls, je leur débite l’histoire que j’ai mise au point avec maman hier soir : j’ai eu le covid, mais pas trop grave. Par contre, nos plans ont dû être changés très vite, car un de mes cousins éloignés du Portugal a eu de graves ennuis et on a dû aller le chercher à Marignane et maintenant il est chez nous. Je dois être bon acteur, car ils me croient.

Juste à ce moment, j’aperçois Amélie. Je la guettais ! Je cours vers elle :

— Bonjour, Amélie,

— Bonjour Enzo !

Il va falloir que j’apprenne sérieusement à parler. Momo et Gaby arrivent et nous montons tous les trois en cours. Je vois bien qu’ils me regardent en se posant des questions. Surtout que le soir, je me dépêche de rentrer, au lieu de rester avec eux. Je leur explique que je dois tenir compagnie à mon cousin, en prenant l’air embêté. Je sais bien que je dois les faire se rencontrer, mais je ne suis pas encore prêt.

Comme il est encore tôt et que je sais que Toumaï n’a jamais mis les pieds à Marseille, mon plan est de nous promener vers la Cannebière, Belsunce, le Panier, le Vieux-Port ! Le grand-tour ! Avec un démarrage en bus et en métro, histoire de lui montrer la vraie vie !

J'ai eu une super bonne idée, car là, il a vraiment vu notre vie. Depuis le bus, le passage des portillons, le métro, les voitures, les vitrines, il a tout trouvé merveilleux. J'aime bien, car il me regarde comme si c'était moi qui avais fait tout ça. Moi, je ne fais que lui montrer ! En fait, il n'était jamais sorti de Tobion, à part les colonies de vacances. Donc, même à son époque, il aurait tout trouvé merveilleux.

À un moment, sans s'en rendre compte, il me prend la main ! Ça me fait tout drôle ! Mais j'aime bien. J'ai l'impression de sentir ses émotions. En rentrant, dans le métro, il appuie sa tête contre mon épaule. Je suis gêné, mais personne n'a l'air de nous avoir remarqués. Je le laisse faire.

Le soir, il raconte tout ce que nous avons vu. Comme toujours, il en a vu plus que moi.

Quand on se couche, il me regarde avec des yeux d'admiration. Je me sens fort avec lui. En m'endormant, je décide que mercredi, Momo et Gaby vont venir. Il faut qu'ils se connaissent. J'aimerais bien qu'Amélie aussi le rencontre. Je m'endors avant d'avoir trouvé la solution.

Je drive mes potes en les invitant pour mercredi : au Portugal, c'est sous-développé et ils ne connaissent pas tout. Donc, c'est normal qu'il soit un peu bizarre et qu'il pose des questions débiles. Je sais que Momo et Pouf sont des gentils et qu'ils seront sympas. Je drive aussi Rob, pour qu’il retienne ses questions.

Le mardi, nous repartons explorer. Je l’emmène à la Bonne-Mère. En descendant, il est tout surpris de voir la fabrique de navettes. Il l’a sentie de loin ! On s’empiffre, un peu. Je l’accompagne chez la psychologue que papa lui a trouvée. Normalement, elle est au courant de tout. Robert est un peu inquiet, mais je le rassure : j’ai été en voir une pendant des années. J’aimais bien parler avec elle. Je ne sais pas si ça m’a beaucoup aidé, mais ça me faisait du bien.

Je zone un peu en l’attendant. Il revient tout sourire. Je n’ose pas lui demander de quoi ils ont parlé. Je crois que je ne veux pas trop savoir. J’ai peur d’apprendre que c’est un rêve, ou qu’il va repartir.

Le soir maman est arrivée avec le même phone que moi, pour Toumaï. Je lui ai sauté dans les bras. Roberto, il a dit poliment merci, mais j'ai bien vu qu’il bichait sévère. On a passé la soirée à le programmer. On est complètement pareils maintenant.

Je ne l'ai pas mis sur les groupes pour l'instant. Il en fout, car de toute façon, il ne les connait pas.

Mercredi, mes zigotos arrivent. Les premiers mots sont difficiles, mais rapidement on rigole ensemble. De temps en temps, je vois que Toumaï flotte un peu, alors, l’air de rien, j’explique. Momo a tout de suite remarqué. Il me prend à part :

— Dis donc, Zozo, ton cousin il parle vachement bien le français pour un porto. C'est sûr qu'il connait pas nos mots, mais il parle aussi bien que nous.

— Oui, sa mère était Française. Mais elle est morte, son père aussi.

Qu'est-ce que j’invente bien et vite ! Quand on parle de la mort des parents, on passe vite à autre chose !

Ça s'est super bien passé. Gaby a dit qu'il était notre d'Artagnan. Robert est devenu tout rouge. On n'en avait pas parlé, mais apparemment il connait les Trois mousquetaires.

J’apprends que notre projet de site pirate est à l’eau. On n’a pas copié le site à temps et maintenant, il est super verrouillé. Moi, je m’en fous, ça ne m'intéresse plus.

Je m’aperçois que je passe de moins en moins de temps sur les réseaux et de plus en plus de temps avec Toumaï. C’est quand même plus riche et plus agréable. On se dispute souvent, car il dit toujours que maintenant, c'est beaucoup mieux que pour lui. Je lui ai tout de même expliqué le réchauffement climatique et comment on allait tous cuire dans cinquante ans. Même si c'est loin, ça me fout la trouille.

Il dit que nous avons des machines extraordinaires. Moi, je lui dis que c'était plus facile et plus intéressant à son époque. J'ai l'impression que c'était plus simple, qu'il y avait moins de questions et qu'ils s’amusaient vraiment à fond, sans contraintes, sans surveillance.

De toute façon, comme il dit, on a pas le choix. On est ici et maintenant. Il gagne donc tout le temps.

Le jeudi, papa l’emmène pour des examens.

En sortant du collège, nous partons à quatre nous balader. Je suis vraiment content que nous soyons tous potes. À un moment, je vois Momo qui me regarde curieusement. Je l'interroge des yeux et il me fait un signe de tête pour me faire comprendre qu’avec Robert, nous nous tenons par la main. Je ne m'en étais pas rendu compte ! Comme Momo est à côté de moi, je lui passe le bras sur l'épaule, comme on fait souvent. Je suis bien avec eux trois.

Le soir, papa rentre avec sa tête des mauvais jours. Je sais qu'il a eu un problème au cabinet, ou qu'un de ses patients est mort. Il nous le dira au diner, tout à l'heure. Il n'aime pas quand ça va mal pour ses malades. Quand maman rentre, ils vont dans leur chambre. Je les entends parler. Quand ils ressortent, je vois bien qu'il y a un problème. D'habitude, ils s’engueulent sévère et ça va mieux. Moi, je mets mon casque à fond en attendant la fin du match.

Ce soir, c'est autre chose. À table, papa lance des blagues, mais ça ne marche pas. Il se passe quelque chose de bizarre et je n'aime vraiment pas.

À la fin, il lance

— Au fait, Robert, demain, je te remmène pour d'autres examens, ça te va ?

Oui, pas de problème !

Oh si, il y a un problème grave. Maintenant, je le sais. Je sais aussi qu'il est inutile de poser des questions. J'ai mal au ventre, j'ai envie de pleurer. Maman doit le sentir.

— Enzo, tout va bien. Ce ne sont que d'autres examens pour vérifier que tout va bien.

Je ne suis pas bête ! Je comprends exactement le contraire de ce qu'elle raconte. C'est papa qui me prend dans ses bras en me caressant la tête et en.me murmurant :

— Tout va bien, ne t'en fais pas.

Je me calme. Toumaï nous regarde sans comprendre.

— Ce n'est rien, Robert, Zozo a parfois des crises d'angoisse.

Ce n'est pas vrai. C'est une façon de me dire que j’ai raison et que Robert ne doit pas le savoir. Je flippe encore plus.

En nous couchant, j’ai un peu la tête qui éclate. Je ne veux plus vivre sans Toumaï. Pas seulement parce qu'il est intéressant avec ses vieilles histoires, mais parce qu’on se comprend à fond. J’ai l’impression de mieux comprendre le monde, de plus aimer les gens, que tout est plus facile, plus beau. C'était plus facile avant. Je veux dire quand j’étais petit. Je n’avais pas de question. Mais c’est mieux maintenant, avec Robert. Beaucoup mieux. Je sais pourquoi je vis ! Cela me donne envie de vraiment parler avec Amélie. Je vais l’inviter !

Dans le lit, je me sens mal et bien. Je suis content que Toumaï me serre dans ses bras. Maintenant, on ne le fait plus toujours, même si on est côte à côte. Il a dû sentir que j’en avais besoin. Il est comme ça : il devine ce que je pense. Moi, j’ai plus de mal à savoir ce qu’il a dans la tête. Mais je suis toujours à faire attention à lui.

Nous nous faisons face, nos visages sont à deux centimètres l’un de l’autre. Je sens l’odeur de sa respiration. Je ne sais pas qui a commencé, mais nos lèvres se sont touchées. C’est la première fois que j’embrasse sur la bouche. C’est doux, c’est bon, c’est tellement dément ! Ça ne dure pas, mais je sens ma poitrine éclater.

— Tout va bien, Enzo, nous sommes ensemble.

Je ne sais pas quoi répondre, alors je l’embrasse à nouveau.

C’est tout ! C’est tellement fort !

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