Scène 1-2

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Scène 1

Tout en observant la mer à l’horizon, Caevanne repoussait ses pensées envahissantes.
C’était la guerre. Cela faisait à présent plusieurs jours que la jeune elfe se trouvait à bord de ce navire parmi les siens, victimes eux aussi des attaques qui semblaient se répéter, comme il y a quinze ans. Les conflits précédents n’étaient pas souvent évoqués et son entourage avait toujours refusé de lui en parler.
Elle avait cependant entendu quelques bribes de l’histoire auprès des jeunes de son village. On racontait que l’ennemi venait du continent de l’Ouest, que les elfes avaient remporté la première guerre. Dans quelles circonstances ? Caevanne l'ignorait, mais cette fois là, son peuple avait été vaincu.

Elle s’éloignait de ces îles, du royaume des elfes, prenant peu à peu conscience qu’elle ne reverrait jamais la famille qu’elle avait perdue de vue dans la fuite, son père et sa mère. Ils étaient sûrement morts.
Même s'ils avaient échappé au massacre, ses parents n’avaient probablement aucune idée de l’endroit où elle allait et eux-mêmes devaient avoir pris une toute autre direction.
Elle sentit une boule remonter dans sa gorge, les cris de terreur qu’elle avait entendus semblaient résonner dans sa tête. La jeune elfe ferma les yeux, retint sa respiration un instant et retrouva peu à peu son calme.
Ses pensées et préoccupations dérivèrent progressivement sur ce qu'il adviendrait d'elle et des siens, à leur arrivée sur le continent.
Hagards, de nombreux elfes présents à bord partageaient silencieusement ses appréhensions. Elle ne reconnaissait aucun visage autour d'elle et beaucoup d’autres se trouvaient visiblement dans la même situation, seuls face aux événements.

Non loin d’elle, les membres de l’équipage, formé à l’improviste, parlaient discrètement de la ville, l’endroit où ils projetaient de se rendre.

— Alors c’est vrai ? C’est la ville où Wildiven a fait la guerre aux côtés des humains ? C'est de là que les elfes du continent sont venus rejoindre l'archipel ?

L’elfe qui venait de prendre la parole était à peine plus âgé que Caevanne. C'était de toute évidence le plus jeune de la petite assemblée. Une voix lui répondit.

— Étant plus ambitieux les uns que les autres, les humains ont dû finir par se persuader que les elfes désiraient prendre le pouvoir. Suite à ça, ils les ont banni.

Le jeune elfe du groupe sembla surpris et déçu. Caevanne eut beau fouiller dans sa mémoire, elle n’avait jamais entendu parler d’un elfe du nom de Wildiven. Tous ici paraissaient pourtant bien le connaître. L’elfe reprit.

— Je suppose qu’on ne sera pas les bienvenus là-bas… Vous savez, il paraît que l’utilisation de la magie est monnaie courante chez les humains, qu’il y en a plein aux pouvoirs impressionnants...
Un elfe, qui, avec sa cape blanche, se démarquait des autres, parut agacé par la remarque et l’interrompit.

— On voit bien que tu ne t'es jamais rendu sur l’île de notre seigneur. Les humains les plus puissants n’arrivent pas à la cheville de la magie que nous autres, nous…

— À part toi, ils sont tous morts maintenant ! coupa l'un des membres du groupe. L’île de Ionesar a entièrement été détruite et tu le sais bien ! Heureusement que là où on va, il y a encore le temple.

Suite à ces propos, trois elfes du groupe le fusillèrent d’un regard noir. Le personnage encapuchonné jeta un coup d’oeil alentours avant de répondre, presque en murmurant.

— Tu n’as pas à en parler, c’est le seul lien qui nous reste avec elle.

Ses deux compagnons hochèrent la tête avec gravité, ils inspiraient tous trois le respect et personne dans le groupe ne reprit la parole.
Peu après, des exclamations à l’avant du navire brisèrent le silence, le continent était enfin en vue. Sous le faible éclat de la lune, le bateau s’enfonça peu à peu dans la baie. Caevanne aperçut au loin des lumières, celles du port.
Tout le monde s’était levé, la fatigue se lisait sur chaque visage et même les plus tenaces avaient hâte de mettre fin au voyage.

Scène 2

Tout près, des voix se firent entendre. Le navire était sur le point d'accoster.
Accoudés au bastingage, plusieurs membres de l’équipage lancèrent des cordages aux hommes sur le quai. L’elfe à la cape blanche prit la parole. Il parla avec force, de manière à ce que tous l’entende.

— Camarades, c'est ici que nos chemins se séparent et qu'une nouvelle vie commence pour chacun d'entre nous. Aussi dure soit-elle, je pense qu’il serait sage que nous acceptions individuellement la réalité telle qu'elle est. Je vous souhaite à tous beaucoup de courage, soyez forts.

Dans le plus grand silence, les occupants du navire se dirigèrent vers la passerelle puis arrivèrent sur le quai où un groupe de soldats les y attendait. Caevanne, entraînée par le mouvement, ne fut pas mécontente de mettre pied à terre.

En observant ces visages qui lui faisaient face, elle remarqua qu’aucun d’entre eux n’était de son espèce, il n’y avait là que des humains. Jusqu’à présent, la jeune elfe n’avait pas souvent eu l’occasion d’en apercevoir. Tous étaient vêtus de cottes de mailles et de vêtements de cuir teints en rouge. Les soldats portaient également de larges ceintures et de grandes bottes parfaitement cirées qui brillaient à la lueur des torches de l'assemblée.
Seul un vieil homme, un parchemin à la main, au milieu du groupe se démarquait. Le cuir de ses vêtements était terne, sa cape bien usée par le temps ondulait derrière lui sous la faible brise. Il avait l’air fatigué et balaya le groupe d’un regard peu attentif, s’arrêtant un instant sur l’elfe à la cape blanche puis poursuivant finalement la tâche qui l’ incombait.
Il déroula le parchemin qu’il tenait à la main puis, sous ses ordres, chaque elfe fut appelé à tour de rôle par les humains.
Une lueur blanchâtre attira l’attention de la jeune elfe, elle venait du vieil homme, de ses mains. Sans la moindre difficulté, il fit apparaître par magie des petites sphères de lumière. Quelques murmures derrière Caevanne se firent entendre. Les gardes appelèrent l’elfe à la cape blanche et deux d’entre eux lui firent signe d'approcher. Une des sphères flotta jusqu’à eux et ils s’éloignèrent tous trois du quai.

Caevanne suivi le petit groupe du regard jusqu’à ce que la lueur blanche qui l’accompagnait disparaisse au détour d’une petite ruelle. Ce personnage était étrange, qui pouvait-il bien être ? Elle n’eut pas le temps d'y réfléchir. La jeune elfe fut interpellée dans cette langue qu’elle ne comprenait pas, c’était son tour.
Accompagnée de deux soldats, le même processus se répéta avec elle. Caevanne s’éloignait peu à peu des elfes et de son ancienne vie. Tout en marchant, elle se demanda où les gardes l'emmenaient. Pourquoi les humains avaient-ils choisi de les isoler les uns des autres ?

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