L'appel de l'autre côté

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Yvona rasait pratiquement les couloirs alors qu’elle se dirigeait vers le prochain cours. Elle sentait son estomac complètement retourné même s’il s’était vidé il y a vingt minutes. Si elle baissait la tête, elle pourrait sans doute passer les jours suivants loin de sa mère. Malheureusement, elle savait que ce n’était jamais si simple avec elle. Et lorsqu’elle entendit son nom, elle se figea aussitôt. Elle se retourna et vit sa mère avancer vers elle. Yvona déglutit, et elle recula de quelques pas, mais son dos heurta un des murs du couloir. Les élèves n’étaient pas encore revenus de la pause, mais Yvona avait décidé de venir plus tôt pour éviter Anasteria. Elle ne voulait pas se confronter à l’insistance de son amie. Elle ne se sentait pas assez forte pour lui mentir sur son état et le repousser. Mais elle regrettait désormais son choix maintenant qu’elle devait affronter sa mère.


— J’espérais pouvoir te parler, commença sa mère. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.


Yvona essuya ses paumes moites sur son pantalon et détourna le regard. Non, elle ne voulait surtout pas converser avec elle. Elle pouvait imaginer les remontrances qu’elle allait subir.

Une déception.


— Je n’ai pas grand-chose à vous dire.

— Vraiment ? Pour quelqu’un qui se retrouve mêlé à ces histoires, je pensais que tu te montrerais plus bavarde.


Yvona mordit sa lèvre inférieure pour sceller sa bouche. Sa mère poussa un soupir et secoua sa tête de dépit, comme elle savait si bien le faire.


— J’imagine que je ne devrais pas être surprise. Tu as toujours été une enfant difficile. Carmen a eu tort de croire en toi.

— J’ai réussi à finir première ! protesta Yvona.

— Et ? Tu voudrais une médaille ? Vu le niveau de tes camarades, c’est la moindre des choses. Et cela n’excuse en rien ton comportement et tes erreurs.


Yvona se sentait offensée, comme à chaque fois que sa mère lui parlait. Ne pouvait-elle pas au moins une fois reconnaitre son talent et ses efforts ? Bien sûr que non. Mais elle continuait d’espérer.


— Je n’ai rien fait, lâcha-t-elle. Ce n’est pas de ma faute.

— Très bien. Alors, dis-moi qui est responsable.


Yvona leva les mains au ciel de frustration.


— Je ne sais pas ! On ignore ce qui s’est passé, et on a juste agi pour ne pas mourir. C’est tout.


Voxana resta un instant silencieuse. Et Yvona détestait ça. Sa mère possédait un regard perçant qui lui donnait l’impression d’être sondée jusque dans son âme. Et surtout, elle ne montrait jamais une seule expression sur son visage. Souvent, Yvona avait le sentiment qu’elle savait tout à l’avance, et qu’elle jouait simplement avec les autres. Peut-être qu’elle avait déjà trouvé le responsable et testé sa fille. Le mal dans son ventre redoubla d’intensité et elle détourna le regard.


— Que peux-tu me dire sur ton amie ? Tu sais, la rousse.

— Elle s’appelle Anasteria, répondit-elle dans un soupir. On partage la même chambre. Elle vient d’Islac, et elle est la seule à posséder des pouvoirs.

— C’est tout ?

— Oui, c’est tout. On est juste amies.


Voxana lâcha un bref rire lugubre. Elle croisa doucement les bras.


— Les amies c’est une perte de temps, et des ennuis. Comme tu peux le voir. Je doute vraiment qu’elle te considère comme telle, mais soit. Rien d’autre à son sujet ? Elle n’a jamais agi différemment ?


Yvona avala une boule d’angoisse logée dans sa gorge. Elle essaya de se convaincre que les mots empoisonnés distillés par sa mère n’étaient que mensonges. Mais cela n’atténua pas la douleur. En dépit de leur relation et de la bienveillance d’Anasteria, Yvona ne pouvait s’empêcher de penser qu’un jour elle se lasserait d’elle. La plupart du temps, Yvona rangeait ces angoisses dans une boite de son esprit, et tentait de l’ignorer. Et cela marchait, sauf face à sa mère. Elle détenait un don pour appuyer sur ses démons. Néanmoins, Yvona gardait encore assez de lucidité pour ne pas briser la promesse qu’elle avait faite à Anasteria.


— Elle est normale, répondit Yvona. Elle possède beaucoup trop d’énergie, mange bien trop, et elle fait preuve d’étourderie très souvent. Mais c’est tout.

— Et tes autres amis ?

— Johan est quelqu’un de sympathique. Ce n’est pas vraiment quelqu’un qui aime le combat ou les entraînements. Laurène semble un peu peureuse, mais depuis qu’elle étudie dans la classe des marchands, elle se porte comme un charme. Davos possède un ego sur dimensionné, mais ce n’est pas un mauvais garçon. Et ils sont tous affreusement normaux.


Voxana ne répondit pas tout de suite. Et Yvona se doutait qu’elle ne croyait pas un traître mot de ce qu’elle avait dit. Sa mère effectua un autre pas vers elle et se stoppa à quelques centimètres. Yvona essaya de garder son calme, mais tout son corps restait alerte, et guettait le moindre mouvement menaçant.


— Si je découvre que tu m’as menti, Yvona…

— Je ne mens pas, rétorqua-t-elle.

— On verra. Tu sais que je découvrirais la vérité tôt ou tard. En attendant, je te conseille vivement de prendre tes distances avec tes amis. Visiblement, ils te causent des ennuis. Je ne pense pas qu’ils méritent que tu te sacrifies pour eux.

— Je dois aller en cours, murmura Yvona.

— Bien sûr, vas-y.


Yvona n’adressa même pas un regard à sa mère, et se dirigea vers la salle de classe. Elle essaya de calmer le rythme cardiaque de son cœur, sans succès. Elle avait beau ne pas être responsable de cette situation, elle savait que Voxana ne ferait preuve d’aucune pitié avec elle. Pour le moment, tout ce qu’elle pouvait espérer, c’est faire profil bas, et attendre que sa mère trouve la solution. Elle avait l’habitude depuis son enfance. Lorsqu’elle arriva vers la salle de classe, elle prit une grande inspiration pour se calmer. Avec ce léger contretemps, les étudiants commençaient à rentrer. Le cours théorique du jour se déroulait avec les apprentis chercheurs, et de ce fait, les places isolées devenaient plus rares. Néanmoins, Yvona trouva une place près d’une des fenêtres et s’installa. Son souhait de passer la prochaine heure tranquillement vola en éclat lorsqu’elle entendit la voix d’Anasteria.


— Hey Yvi.


Elle se glissa doucement sur la place libre à côté avant qu’Yvona ne puisse protester. Et comme à son habitude, Anasteria lui adressa un sourire timide. Elle ne semblait nullement atteinte par les évènements, et cela agaça Yvona. Malgré elle, les mots de sa mère résonnaient dans son esprit, alors elle se tourna pour ignorer purement et simplement Anasteria. Mais elle aurait dû savoir que cela ne découragerait pas sa colocataire. Elle sentit sa main se poser délicatement sur épaule.


— Je me doute que la venue de ta mère te trouble, mais —

— Tais-toi, intervint sèchement Yvona. Je veux suivre le cours.

— Il n’a pas encore commencé.

— Non, mais je te connais. Tu vas parler pendant une heure.

— Je me demandais si tu allais bien.

— Je ne veux pas parler, siffla Yvona.


Elle sortit ses affaires et n’adressa plus aucun regard à Anasteria. Cette dernière lâcha un soupir défaitiste, mais n’insista pas. Et Yvona la remercia intérieurement. La dernière chose qu’elle souhaitait c’était une dispute avec elle. Secrètement, elle espérait que son amie comprenne que sa réaction n’était qu’une conséquence de la venue de sa mère. Mais elle pouvait déjà imaginer la déception et la fin de leur courte relation lorsqu’elle entendit Anasteria soupirer en sortant ses affaires. Dans sa vision périphérique, Yvona vit qu’Anasteria se massait la tempe, sans doute à cause d’une migraine. Le cœur de la jeune femme se serra un peu plus. Lorsque son amie souffrait d’une migraine, les ennuis arrivaient bien vite.


***

Anasteria grimaça de plus belle alors qu’elle avançait péniblement dans le couloir qui menait à sa chambre. Sa migraine avait amplifié, et pour ne rien arranger, elle avait le sentiment que son cerveau bourdonnait. Le repas n’avait été qu’un long et douloureux calvaire. Davos avait tenu à raconter sa dernière histoire de cœur avec Aela, une étudiante chercheuse. La plupart du temps, elle aimait écouter Davos surtout avec les commentaires de sa sœur ou de Johan. Mais pas ce soir. Des murmures incessants résonnaient dans son esprit, transformant son cerveau déjà nerveux en vraie cacophonie. Elle ne parvenait pas à les saisir, mais plusieurs voix se superposaient, rendant tout simplement impossible la compréhension. Et pour ne rien arranger, Yvona avait délibérément décidé de les ignorer. Toute la journée, elle avait évité soigneusement Anasteria, et refusé de lui adresser la parole. Et ce soir, elle lui avait lancé un regard glacial avant de s’installer plus loin, seule à une autre table.

Ainsi, lorsqu’elle ouvrit la porte et qu’elle vit Yvona à son bureau, le cœur d’Anasteria rata un battement. Elle ne savait pas comment agir. Elle avait désespérément envie de lui parler. Anasteria n’avait rien fait de mal, pas vrai ? Donc Yvona ne pouvait pas lui en vouloir ! Elle devait simplement se sentir à cran par rapport à sa mère, mais si Anasteria parvenait à lui faire comprendre qu’elle restait là pour elle, Yvona s’ouvrirait de nouveau.

Elle inspira un grand coup pour se donner du courage, et afficha son plus beau sourire. Elle ferma doucement la porte et s’avança vers Yvona qui n’avait pas réagi à son entrée. Elle regarda par-dessus son épaule et remarqua qu’elle lisait une livre visiblement portée sur l’échange des flux entre leur monde et l’autre côté. La plume située dans sa main droite avait cessé d’écrire, et elle soupira de lassitude.


— Qu’est-ce que tu veux, Anasteria ?


Le ton employé renvoya Anasteria à leur début à l’académie, lorsque la froideur et le cynisme d’Yvona empoisonnaient chacune de leur conversation. Elle ignora la remarque et continua de sourire en haussant les épaules.


— Je regarde ce qui capte à ce point ton attention.

— J’étudie.

— Tu devrais te reposer, conseilla Anasteria. Je me doute que voir ta mère a dû être éprouvant.


Yvona laissa tomber sa plume sur son parchemin, ignorant les taches d’encre qu’elle créait derrière. Elle se tourna lentement vers Anasteria, et son regard s’embrasa lorsqu’il se posa sur Anasteria.


— Comment pourrais-tu comprendre ce que je ressens ?


Les mots avaient été assénés avec une pointe de reproches à peine dissimulée. Le sourire d’Anasteria faiblit et son cœur se serra. Elle avala une boule dans sa gorge.


— Je ne sais pas, répondit-elle. Ma mère est bien différente, mais j’imagine que —

— N’imagine rien ! Je n’ai pas besoin de ta pitié de toute façon Anasteria.

— Pitié ? répéta-t-elle incrédule. Ce n’est pas de la pitié, Yvona ! J’ignore pourquoi tu m’évites depuis aujourd’hui, mais tu sais que tu peux me parler. On est amis ! Et ce que les amis font : être là pour les autres.


Yvona se leva doucement de sa chaise. Elle croisa ses bras. Et pendant un instant, Anasteria vit dans les gestes et l’expression de sa colocataire le reflet de sa mère. Mais Anasteria restait persuadée qu’Yvona ne lui ressemblait en rien malgré les efforts de Voxana. Yvona possédait ses défauts, comme tout le monde. Et par moment, elle pouvait se montrer sèche, et froide, mais ce n’était qu’un réflexe qu’elle essayait de gommer. Anasteria le voyait !


— Je n’ai pas besoin d’amis, lâcha Yvona. Je n’ai pas besoin de toi, de Johan, ou des De Vila. Je vais parfaitement bien seule.

— Tout le monde a besoin de soutien, rétorqua Anasteria. Tu ne fais pas exception à la règle.

— Devenir amie avec toi ne m’a apporté que des ennuis, Anasteria. Et au fond de toi, tu le sais.


Anasteria resta un moment étourdie par les paroles d’Yvona. Elle n’imaginait qu’elle pensait cela de leur amitié et Anasteria eut le sentiment qu’un poignard venait de se loger dans son cœur.


— C’est vraiment ce que tu ressens ? demanda Anasteria. Je n’ai jamais voulu t’apporter des ennuis Yvona, tu le sais ! Pourquoi m’en veux-tu si soudainement ?

— Tu me regardes dans les yeux, et tu oses demander ? Tu devrais voir la réponse pourtant.


C’était comme si Anasteria venait de prendre un coup de poing dans ses entrailles. Pas un jour ne s’écoulait sans qu’elle se sente coupable de la blessure d’Yvona, qu’elle voie l’œil nacré et souhaite revenir dans le passé. Mais elle ne possédait aucun pouvoir capable d’exaucer un tel désir. Et à chaque fois qu’elle avait parlé à Yvona, elle lui avait assuré qu’elle ne lui en voulait pas, que ce n’était pas sa faute. La culpabilité se mêlait à la fatigue, la colère, et la lassitude de ces derniers jours pour créer un dangereux mélange qui menaçait de faire exploser Anasteria.


— Tu m’as menti, siffla-t-elle. Tu m’as dit que tu ne m’en voulais pas. Mais tout ce temps, tu ruminais dans ton coin !

— J’ai perdu mon œil parce que tu restais incapable de prendre une décision ! Comme toujours. Tu te plains que tu ne comprends pas tes pouvoirs, mais tu n’essayes rien ! Et tout explose autour de toi, car tu refuses d’agir !

— Bien, tu as raison, je ne fais rien pour arranger ma situation avec mes pouvoirs. Mais ce n’est pas ça qui a causé le cauchemar ou détruire ton œil ! Je ne t’ai pas demandé de me sauver !

— Comment aurais-je pu faire autrement ? Depuis le début de l’académie, tu es la seule à me parler ! Je n’ai que toi !


Un lourd silence suivit la phrase lâchée par Yvona. Le cœur d’Anasteria rata un battement. Elle effectua un pas vers elle et tendit doucement la main.


— Yvi…


Yvona recula d’un pas, et bouscula sa propre chaise. Elle secoua vivement la tête.


— Non.

— Écoute, je suis désolée, reprit Anasteria. Je ne voulais pas que tu sois blessée. Et tu le sais ! Si je pouvais revenir en arrière, je le ferais ! Tu as bien vu que j’ai tenté tout mon possible pour te sortir des licheurs !

— Et ils sont venus à cause de toi, s’exaspéra Yvona. Et pourtant, tu refuses de parler à Iselia. Tu restes tellement dans le déni que par ta faute, on devient tous suspects !

— Ce n’est pas juste, Yvona ! Tu ne peux pas me mettre tout sur le dos ! Je ne suis pas responsable de ta mère !

— Non. Tu ne l’es pas. Mais pour une fois, elle a raison. Je devrais me tenir éloignée de toi. Ton refus de parler et de faire bouger les choses nous a mis dans cette situation. Et comme je l’ai dit, je n’ai pas besoin de toi. On n’a pas besoin d’amis quand on est puissant.

— C’est ce que ta mère te répète ? Tu sais qu’elle a tort.


Yvona prit une grande inspiration et se pinça l’arête du nez. C’était une autre de ses habitudes quand elle commençait à s’agacer. Mais Anasteria ne voulait pas s’avouer vaincue.


— Anasteria, souffla-t-elle, ne me parle plus. Plus jamais. C’est simple.

— Tu ne peux pas t’isoler de tout le monde purement à cause de ta mère, siffla Anasteria.

— Tu ne sais rien de moi, ou de ma vie.

— Alors, aide-moi ! Aide-moi à te comprendre. Dis-moi qui tu es et ce que tu as vécu ! Je veux juste être là pour toi, Yvona.

— Comme je l’ai dit, je ne veux pas de toi. Oublie-moi et tout le monde sera content.


Yvona s’apprêta à quitter la chambre, mais sa main se figea sur la poignée.


— Une dernière chose, reprit-elle. Tu devrais vraiment parler à quelqu’un. Tes yeux deviennent encore rouges.


Et sans un mot ni un regard, elle sortit. Lorsque la porte se ferma, Anasteria s’écroula sur son lit, accablée par la dispute, et ballotée par un flot confus de sentiments. Elle avait envie de la suivre, de courir après elle pour continuer cette dispute, même si elle savait que c’était sans issues. Ses mots l’avaient blessée et malgré sa conviction qu’Yvona ne le pensait pas, cela ne les rendait pas moins douloureux. Elle était tellement perdue. Ses pouvoirs la terrifiaient, l’envie de découvrir qui elle était la paralysait, et son cœur saignait de voir leur fragile amitié se briser si facilement à cause des paroles venimeuses de Voxana. Malgré les sanglots de tristesses et de colères, elle parvint tout de même à s’endormir.

***

L’air vicié encombrait les poumons d’Anasteria. Elle toussa fortement dans l’espoir de rejeter ce poison, en vain. De lourds nuages noirs planaient au-dessus de sa tête et cachaient les deux astres du jour. Sa vision s’habitua doucement à l’obscurité et elle commença à entrevoir les maisons typiques et colorées de la baie d’Islac. Et son cœur rata un battement lorsqu’elle aperçut que le sol était jonché de cadavres. Elle s’approcha lentement, mais chaque pas semblait une épreuve. L’oxygène ne parvenait pas totalement à ses poumons, et elle se sentait au bord de l’implosion.

Elle tomba à genoux en suffoquant, et elle se rendit compte avec effroi que les corps au sol ne lui étaient pas étrangers. Ses parents, sa sœur, Johan, Davos, Laurène, et Yvona. Tous baignaient dans leurs sangs noircis. D’une main tremblante, Anasteria toucha le visage glacé d’Yvona et soupira. Elle rêvait, elle le savait. Mais ce monde lui paraissait bien trop singulier pour n’être qu’une conception de son esprit. Cela lui rappelait étonnamment les songes créés par les licheurs.

Le vent s’éleva autour d’elle, et la pénombre se rassembla pour former un être géant devant Anasteria. Elle recula un peu et contempla cette créature sans visage.


— Anasteria, héritière d’Enariel.


Anasteria déglutit en entendant la voix forte et rauque de la créature.


— Qu’est ce que c’est que ce bordel, murmura-t-elle. Qu’êtes-vous ?

— Certains m’appellent le Patriarche.


Anasteria fronça les sourcils. Elle avait déjà entendu ce nom-là de la bouche du cauchemar. Est-ce que c’était leur chef ? Et pourquoi pouvait-elle le voir dans ses rêves ? Elle se releva finalement sur ses deux jambes.


— Tu possèdes un extraordinaire pouvoir, reprit-il. Et tu es perdue. Je peux t’aider.

— Je ne croirais jamais une ombre, rétorqua férocement Anasteria.

— Ce que tu aperçois autour de toi n’est que l’avenir. Un avenir que tu peux cependant éviter.


Le regard d’Anasteria se posa sur les cadavres au sol et une boule d’angoisse se forma dans sa gorge. Rien n’indiquait qu’il disait la vérité, pourtant la perspective de perdre tous ceux qui comptent pour elle glaça le sang d’Anasteria.


— Que voulez dire par “avenir” ?

— Les gens autour de toi vont mourir. C’est malheureusement le lot de tous les héritiers.


Visiblement, le Patriarche possédait certaines réponses aux questions qui la taraudaient depuis un an. Mais son instinct lui hurlait de s’en méfier. Elle croisa ses bras et haussa les épaules.


— Je ne vous crois pas. Vous semblez savoir beaucoup de choses, mais je sais que je ne peux pas vous faire confiance.

— Je te préviens juste.

— Tu devrais l’écouter.


Une voix féminine arriva à la droite d’Anasteria. Une adolescente, à peine plus âgée qu’elle, avança d’un pas sûr. Ses longs cheveux noirs descendaient sur ses épaules et ses grands yeux bleus fixaient avec malice Anasteria. Elle marcha entre les cadavres et se posta à quelques mètres d’elle. Elle portait tellement de vêtements sombres qu’elle se confondait presque avec le décor. Dans son dos, deux fines étaient solidement accrochées.


— Il te dit la vérité, reprit-elle.

— Qui êtes-vous ? demanda Anasteria.

— Mon nom n’a pas vraiment d’importance, répondit-elle dans un haussement d’épaules. Je viens juste te prévenir. Une de tes amies a déjà été blessée, combien de temps avant que tu commences à les perdre ?


Le regard d’Anasteria se posa sur Yvona et elle fronça les sourcils. Le sous-entendu évident ne lui plaisait pas.


— C’est une menace ?

— Bien sûr que non ! s’exclama la jeune adolescente. Mes menaces demeurent rarement ambiguës. Je ne fais qu’énoncer une vérité. Ton académie semble sympathique, mais elle ne t’apprendra jamais toute l’étendue de la magie. Nous, on le peut. Et grâce à nous, tu pourrais éviter de perdre ceux qui te sont chers dans des guerres, des batailles. On peut te donner le pouvoir de briser ce cercle de souffrance qui emprisonne chaque mage.


Anasteria mentirait si la proposition de la ne tentait pas. Tout le monde réfléchirait à deux fois à sa place. Elle pourrait sauver tous ceux qui comptent pour elle. Mais quelque chose enfouie en elle, lui hurlait de rejeter ce marché, comme si une voix bâillonnée à l’intérieur d’elle-même tentait de lui parvenir. Le temps qu’elle lève le regard, la mystérieuse adolescente avait comblé l’écart entre elles. Objectivement, elle était d’une beauté saisissante, Anasteria ne pouvait le nier. Cependant, lorsqu’elle sentit le souffle l’adolescente effleurait sa peau, elle percevait clairement l’emprise des ombres sur elle. Elle réprima l’envie de reculer et la défia du regard.


— Rien ne vient sans un prix. Je vais décliner l’offre, mais merci d’avoir essayé.


L’adolescente fronça les sourcils et s’éloigna un peu. Elle garda cependant son sourire désinvolte.


— J’imagine que tu n’es pas encore prête. Mais quand tu verras ton monde s’écrouler, et que tu comprendras que la magie est bien plus que ce que l’académie et ton Collège prétendent, tu changeras d’avis.

— Le cauchemar a essayé de me tuer, siffla Anasteria, et il travaillait pour le Patriarche. Je ne suis pas stupide au point de me jeter dans la gueule du loup.


L’adolescente leva les yeux au ciel, et le Patriarche répondit à sa place.


— Je testais ton potentiel.

— Et bien, d’habitude j’adore me trouver au centre de l’attention, mais pas là. Je ne changerais pas d’avis.

— Quel dommage, lâcha le Patriarche. Dans ce cas là, laisse-moi te donner un cadeau, et te montrer réellement ce qu’il t’attend si tu t’opposes à moi.


Une violente migraine obligea Anasteria à se tenir la tête et elle hurla de douleur. Soudain, ce fut un déferlement de chaos et de souffrance devant ses yeux. Des flashs obscurcissaient sa vision et lui montraient différentes scènes : la mort d’un de ses parents, la destruction d’Islac, de l’académie, d’Ignis. Tant de malheurs, de dévastation, et d’agonie venaient l’assaillir et elle ne pouvait pas l’endurer.

Elle se réveilla en sursaut dans son lit et se redressa. La sueur avait imprégné ses vêtements et ses draps. Elle ne parvenait pas à trouver une respiration normale. Son cœur tambourinait de toutes ses forces dans sa poitrine, et ses yeux, étrangement habitués à l’obscurité, balayaient la pièce à la recherche du moindre danger.


— Ana ? Qu’est-ce qui ne va pas ?


La voix d’Yvona la perturba un peu. Sa colocataire s’était redressée et la fixait. Anasteria pouvait voir le froncement de sourcil chez elle. Elle ouvrit la bouche dans l’espoir de répondre, mais les mots mouraient sur ses lèvres.


Ne t’oppose à moi.


La voix du Patriarche parvint à ses oreilles, et elle paniqua aussitôt. Elle tenta de se lever, mais ses jambes s’emmêlèrent avec le drap de son lit, et elle chuta au sol dans un gros boum. Yvona alluma un des chandeliers présents dans la chambre, et Anasteria lâcha un soupir de soulagement lorsque l’obscurité s’éloigna. Yvona se précipita vers elle. Malgré leur dispute et la distance qui s’installait entre elles, Anasteria pouvait clairement lire l’inquiétude dans ses yeux vairons. Anasteria prit un instant pour étudier le visage de sa colocataire. Elle avait besoin de se calmer, de s’assurer que tout ceci n’était qu’un rêve. Et en effet, Yvona était bien là, vivante et devant elle.


— Ana ?


Anasteria déglutit et doucement son rythme cardiaque ralentit. Elle inspira profondément et au moment où elle expira, sa vision devint de nouveau normale.


— Je vais bien, parvint-elle à dire. C’est juste un cauchemar.

— Vraiment ? Tu as hurlé.


Les yeux d’Yvona la sondèrent encore une fois et Anasteria ne supporta pas le malaise ambiant. Elle se releva et racla sa gorge.


— Je vais bien, répéta-t-elle. Pardon de t’avoir réveillé.


Yvona fronça les sourcils, mais quoi qu’elle pensât à ce moment-là, elle le garda pour elle. Elle regagna en silence son lit. Le cœur d’Anasteria se compressa lorsque la lumière s’éteignit, mais elle ravala son angoisse et se glissa dans ses draps encore moites. Elle passa ses mains sur son visage en soupirant. Quelque chose n’allait pas chez elle, et ça empirer. Elle ne pouvait pas rester dans le déni. Qui que soit ce Patriarche, il semblait puissant, et déterminer. Et pour une raison mystérieuse, il avait décidé de la prendre comme adversaire. Comment était-ce possible ? Elle venait d’un village perdu ! Elle connait si peu de gens ! Comment pouvait-elle avoir des ennemis ? Elle écrasa doucement ses paumes sur ses yeux clos. Elle devait en parler à Iselia. Peut-être qu’elle pourrait l’aider.


***

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