Me voilà dans un café entouré de... chats. L'un d'entre eux saute sur la table et me frôle le nez avec sa queue. Je vois quelques clients sourires, attendris. Moi, ça m'agace. Comment ai-je pu me retrouver ici ? J'ai encore perdu le contrôle...

Je pousse le félin et me focalise sur la recomposition du puzzle des derniers souvenirs : je suis au Japon sans la moindre idée de comment ni pourquoi je me retrouve ici, ma voisine s'occupe de Suki, je venais de retrouver ma chambre d'hôtel avec du foutoir dans toute la pièce.

J'attrape mon téléphone, active la 5G et lance mon application de géolocalisation. Je suis à cinq kilomètres de l'hôtel. Je sens quelque chose dans ma main droite. Je l'ouvre et découvre un morceau de papier que je déplie. Des kanji sont alignés mais aucun mot en français voire même en anglais. Bien évidemment, je n'y comprends toujours rien. Un crush à en juger par les petits cœurs qui volettent autour de l'écriture soignée et de la marque de rouge à lèvres. Je fourre ce qui doit être un numéro de téléphone dans la poche interne de ma veste.

Suivre le fil. Trouver des indices.

Devant moi, une tasse de thé à moitié consommée et un mochi de couleur rose fluo. La place en face de moi est vide. Je ne suis donc pas accompagnée, tant mieux. Une serveuse se dirige vers moi et tente d'entrer en communication. Je hausse les épaules. Elle semble désorientée mais la politesse japonaise prend vite le dessus et elle lève la théière devant elle. Je secoue la tête pour lui signifier que je ne souhaite pas être resservi. Elle me laisse seul avec le chat qui est revenu s'installer sur mes cuisses. Ce dernier ronronne d'aise. Il est bien le seul. J'aimerais fichtrement bien savoir ce que je fais là et quand je pourrais enfin avoir assez de lucidité pour rentrer chez moi.

Il va falloir que je prenne rendez-vous chez le médecin pour une nouvelle série d'examens. Rien que d'y penser, mes mains deviennent moites et mes gestes se font maladroits. Je manque de peu de renverser le reste de ma tasse sur le félin.

Il y a forcément une explication à mes amnésies. Elles semblent maintenant plus fréquentes. Et si ça empirait ? Comment avoir un emploi stable et une vie sociale quand je me retrouve au milieu d'endroits et de personnes inconnus ?

Regarder mes messages. Tiens, une nouvelle vidéo. Je la lance et me vois prononcer :

— Si l'un d'entre vous reprend le contrôle, laissez-moi aux commandes. J'ai trouvé une piste sérieuse, j'ai besoin de la coopération de tous. Je dois me rendre ici.

Qu'est-ce que ça signifie ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire de contrôle ? Qui sont ceux dont j'ai besoin pour coopérer ? Suis-je le pion d'un gigantesque complot que l'on déplace à sa guise pour accomplir je ne sais quelle mission ou tâche ingrate ?

Je relève mes manches. J'espérais encore trouver une trace d'injection qui donnerait du sens à ce qui m'arrive. Seul un tatouage récent dénote, on dirait le symbole de l'Aum bouddhiste fêlé en plusieurs endroits, et au-dessus duquel vole un papillon bleuté. Une résonnance spirituelle qui fait référence au dieu créateur, protecteur et destructeur en lien avec l'unicité de l'univers. Et le papillon ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Je n'ai pas le cœur à me triturer l'esprit pour en analyser la signification ou tenter de mettre un sens à ce que j'ai pu faire durant mon absence. Je pense que j'aurais plus de chance en retournant dans la chambre que j'ai louée.

Je me lève, passe à la caisse et décide de marcher jusqu'à l'hôtel pour me vider la tête. Lorsque je mets le pied dehors, je sens la fraîcheur du début de soirée s'infiltrer sous ma veste ouverte. Je la boutonne et remonte le col avant de suivre mon GPS. Ayant forcé le rythme, je me retrouve sur le seuil de ma chambre en moins de quarante-cinq minutes. Rien n'a bougé.

Des bras m'enlacent, un corps se frotte contre le mien et vient positionner son visage devant moi pour déposer des baisers torrides sur mes lèvres.