Le jour où la terre devint plate
L’affaire commença un jour d’hiver . Le vent souffla très fort. Dans la forêt, on recommanda aux animaux de limiter leurs déplacements. Quelques jours plus tard, la vitesse du vent augmenta considérablement. Les animaux n’arrivèrent plus à marcher droit. Il fallut qu’ils se penchent pour pouvoir avancer tant bien que mal. Les plus légers risquèrent de se faire emporter, carrément.
Pour éviter qu’il n’y ait des accidents, on imposa aux animaux de rester terrés chez eux et de ne sortir que pour une urgence vitale. Les loups furent déployés pour dissuader les inconscients. Les pauvres gardiens portaient de lourds gilets pour les lester.
Quand la vitesse du vent dépassa les 200km/h, les animaux furent strictement confinés chez eux. Hibernation obligatoire pour tous.
Des rumeurs se multiplièrent autour de cette situation peu ordinaire, et vinrent alimenter les discussions les plus animées. L’on rapporta des histoires farfelues d’animaux envolés ou tombés dans le vide, là-bas aux frontière de la terre. La peur gagna les esprits. Les informations catastrophiques circulèrent de terrier en terrier. Les experts défilèrent les uns après les autres devant le conseil de la forêt, avertissant contre les risques de se faire propulser jusqu’aux extrémités de la terre et, pire, de tomber dans l’espace.
Du jour au lendemain, la terre devint plate. Seuls quelques irréductibles persistèrent à dire qu’elle était toujours ronde. Mais la peur, nerf sensible de toute propagande, était plus grande, plus forte. Les animaux voulaient vivre en sécurité sur une terre plate plutôt que risquer leur vie sur un globe rond.
Les singes, à défaut d’être sages, virent briller devant leurs yeux une aubaine. Ils se mirent à imaginer des solutions à ce problème d’une platitude déconcertante. Ils proposèrent d’abord de construire de grandes murailles aux frontières de la terre, pour éviter que les animaux ne tombent. Ensuite, ces rusés suggérèrent de mettre des chaines aux chevilles des animaux, avec à leur autre extrémité une boule métallique. La solution reçut l’unanimité des conseils de forêts de la planète plate. Ces derniers financèrent un programme faramineux de fonderies pour fabriquer rapidement des centaines de millions de chaines et de boulets. Les singes brevetèrent leur solution, et commencèrent à vendre leur produits à des prix exorbitants.
Au tout début, seules les personnes fragiles et légères devaient porter ces chaines. Mais devant le risque de bousculades et de peur que des personnes plus lourdes ne soient éjectées contre ces pauvres personnes fragiles, il fut décidé de généraliser le port de cette solution miracle à tout le monde, sous peine de rester terré chez soi à vie.
Les animaux acceptèrent et s’enchaînèrent par eux même. Certes, ils devinrent plus lourds et difficiles à soulever par le vent, mais les risques d’être pris au piège d’un feu de forêt augmentèrent considérablement.
Des voix raisonnables s’opposèrent à cette fausse bonne solution, et objectèrent encore une fois le fait que la terre soit plate. Ils démontrèrent qu’il y avait très peu de risque pour qu’un animal quitte l’atmosphère, à cause de la gravité. Ils proposèrent d’installer des mains courantes le long des endroits exposés et de donner des cordes aux animaux pour s’accrocher aux branches. Surtout que la production de ces dites cordes était bien maitrisée, pas chère et à la portée de tous. Personne ne les écouta. Les pauvres furent bannis des conseils de forêt et assignés à résidence.
Depuis ce jour, les animaux sont restés enchainés, et à chaque fois que le vent devenait plus fort, et que le risque de tomber de terre grandissait, on augmentait le diamètre du boulet bien rond.
Annotations
Versions