27 novembre 2022
À son arrivée au chalet des parents de Charlie, la visioconférence avec Matthew était devenue une bouée salvatrice. Ses boucles brunes à l’écran lui avaient apporté un semblant de réassurance. La charpente robuste du chalet, avec ses grands espaces ouverts et ses éléments de modernité telle la baie vitrée offrant une vue sur la rivière, évoquait des souvenirs doux-amers. La dépendance jadis transformée en garage diffusait encore l'odeur des souvenirs, teintés d'une grisaille plus marquée qu'elle ne l’aurait souhaité.
À sa surprise, ses pas avaient résonné sans aucune annonce à travers le hall. Charlie, avec son accueil oscillant entre une froideur distante et une chaleur forcée, avait accentué l'inconfort ambiant. La jalousie, mal dissimulée derrière son sourire contraint, était presque palpable et venait encombrer encore plus l'espace entre elles. Comme si cette danse macabre des retrouvailles n'était qu'un prélude à la confrontation inévitable à venir.
Lorsque Sami, au parfum sucré et au souvenir de ses bras autrefois rassurants, s'était approché, l’air du passé semblait soudain s'intensifier. "Tu me manques", avait murmuré-il, et dans cette confession, les distances passées s'étaient révélées plus vastes qu'elles ne l’avaient jamais été. Hailey s'était écartée de lui, le regret affleurant dans un sourire qui en disait long sans prononcer un mot supplémentaire. La voix d'Hailey, un murmure friable presque inaudible, avait tranché le silence chargé :
— Je... Je suis désolée. Vraiment.
Hailey avait secoué la tête, une larme s'était échappée et avait glissé sur sa joue, reflétant la confusion de son cœur. Elle avait murmuré :
— Jules…
Alors qu'une atmosphère pesante planait sur eux, Lùca avait décidé qu'il était temps de s'adresser directement à Hailey. Il s'était levé discrètement et s'était approché d'elle, son regard indéfinissable, empreint à la fois de détermination et d'incertitude. Lorsqu'il avait atteint son niveau, il avait incliné légèrement la tête, l'invitant à le suivre à l'écart, dans un coin plus isolé de la pièce. Hailey avait hésité un instant, surprise par son initiative, puis avait fini par se lever et le suivre, consciente que cette conversation était inévitable.
Ils s'arrêtèrent près de la grande baie vitrée qui offrait une vue sur le jardin, où le vent agitait doucement les feuilles des arbres, créant une danse silencieuse en arrière-plan. Dans cet espace que même le temps semblait pénétrer avec hésitation, Lùca prit une inspiration profonde, cherchant ses mots.
— Hailey, comment ça allait avec Matthew ? Enfin... je veux dire, avec vous deux ? commença Lùca, détournant son regard un instant, comme s'il redoutait la réponse qu'il pourrait entendre.
Hailey perçut son malaise, mais elle décida de répondre honnêtement, même si sa voix était légèrement tremblante.
— Ça allait bien, Lùca. Vraiment bien. On s'épanouissait ensemble. Il y avait quelque chose de solide entre nous, et je ne l'aurais échangé pour rien au monde, avoua-t-elle, un sourire timide mettant en lumière la sincérité dans ses yeux.
Lùca hocha la tête, absorbant ses mots, et un silence s'installa alors qu'il choisissait soigneusement sa prochaine question. Finalement, il osa aborder le sujet qu'il redoutait le plus, celui qu'il portait en lui comme un fardeau.
— Hailey, j’avais réfléchi à... enfin, à nous. À ce qui s’était passé et à pourquoi tu étais partie si brusquement. J'avais besoin de comprendre, besoin de savoir pourquoi tu avais pris cette décision sans vraiment me donner une chance d'en discuter, murmura-t-il, presque vulnérable, une prière à fleur de lèvres.
Hailey, émue par la franchise inattendue de Lùca, plongea son regard dans le sien. Elle respira profondément avant de répondre, choisissant chacun de ses mots avec soin.
— Lùca, notre histoire… elle avait toujours été passionnée et intense, mais elle était aussi destructrice, admit-elle, sa voix tremblant légèrement sous le poids des souvenirs. Nous étions incapables de nous stabiliser, de nous ancrer. J'avais l'impression de me perdre dans nos confrontations incessantes.
Elle marqua une pause, le regard chargé d'émotion, cherchant à sonder les yeux de Lùca.
— Quand j'ai rencontré Matthew, j'ai trouvé quelque chose de différent, un équilibre que je n'avais jamais ressenti avec toi… Sa compréhension et sa patience m'ont donné la force de grandir, de m’ancrer. Et il m'a offert quelque chose dont j'avais désespérément besoin : la sérénité, confia-t-elle avec une honnêteté cruelle.
Lùca baissa légèrement la tête, encaissant la vérité, douloureuse mais nécessaire. Il ne pouvait cacher le bris dans son regard, mais il la respecta pour sa franchise.
— Peut-être que ça n'aurait jamais marché. Mais toi, tu as fait en sorte qu'on ne puisse même pas l'essayer. À cause de toi.
Le criminel, en retrait, l'entendit, mais choisit de plonger dans un silence haineux. Dans sa tête, les pensées tourbillonnaient ; il songeait à le corriger, à le défier. Ce petit prétentieux. Jamais il n'avait apprécié la manière condescendante dont il traitait Hailey, comme si elle était une propriété à revendiquer.
— J'avais besoin que vous compreniez... mais j'ai vu que Sami avait raison.
Le besoin de faire comprendre était pressant, mais Hailey avait vu que Sami avait raison. Leur tension envahissait l'espace, un tissu invisible de regrets et de vérités non révélées. Ils se trouvaient à la croisée des chemins, oscillant entre la possibilité d'une réconciliation et l'abîme d'une séparation définitive. L'Amour demeurait un mystère impalpable, la douleur et l'espoir dansant en un ballet tumultueux. Hailey contemplait le visage de Lùca, ce visage qu'elle n'aurait jamais cru revoir. Les minutes s'étiraient entre eux, comme si un sablier s'était figé dans le temps. Lui, en silence, pesait chaque mot prononcé, chaque silence partagé.
Subitement, le masque de Lùca s'était fissuré. Une étincelle d'empathie avait percé, difficile, sans promesse de pardon. Elle, avec ses mains gauches et son corps chancelant, offrait une démarche incertaine. C'était un combat pour sa propre survie, pour sa paix, tandis qu'une compassion dure se frayait un chemin à travers son amertume. En répondant à sa douleur non exprimée, elle avait déclaré avec une résolution brisée :
— Peut-être qu'un jour l'un de nous devra partir pour que tout cela prenne fin.
Il l'écoutait, et dans son cœur, une prise de conscience difficile émergeait comme un lever du soleil sur un champ de bataille. Ils s'étaient confrontés sans armes, tous deux perdus et trouvés dans un moment où le passé confrontait le présent.
La journée s'était terminée sur une note étrangement douce, malgré les ombres qui avaient plané, prêtes à enlacer l'avenir. Mais leur influence s'était estompée lorsque Hailey s'était retrouvée sous le regard inquisiteur d'un acteur invisible, le brun ténébreux, un machinateur d'un futur incertain qui se régalait de la complexité de l'humain comme d'une partie d'échecs.
Leur arrivée avait été saluée par un tableau vivant d'émotions contradictoires — des rires tentaient de chasser les ombres, des sourires tremblaient sur le fil d'un chagrin refoulé. Hailey, secouée en son for intérieur par la brutale révélation de l'accident de Jules, luttait pour armurer son visage d'une sérénité trompeuse. Elle s'était lancée dans la mêlée des conversations, forçant des participations pour ne pas se laisser emporter par la marée de sa propre détresse. Les échanges de politesses avec les convives lui avaient coûté ; chaque sourire était un combat, chaque mot prononcé, une défense contre la tempête qui sévissait en elle.
C'était un défi pour elle de soutenir Emma, de montrer une solidarité dans l'infortune. Hailey, l'âme en peine mais la volonté farouche, aspirait à être l'ancre dans la tempête pour son amie. Cependant, la présence inattendue d'Amanda — cette amie fidèle d'Emma au rire effervescent — et de son compagnon Soren, avait injecté une dose d'interrogation dans l'air déjà saturé d'émotions. Le temps semblait s'être suspendu pour Hailey qui, prise au dépourvu, s'était tenue à l'écart des suppositions pour ne pas teinter l'atmosphère d'une curiosité malvenue.
La fête s'était donc déroulée, perchée sur le fil tendu entre la joie forcée et la peine réprimée, un équilibre fragile que Hailey avait maintenu avec une grâce pesée. Elle s'était accrochée à l'espoir que ce rassemblement apporterait un peu de lumière, un morceau de réconfort à Emma, toujours à la recherche d'une échappatoire à ses propres déchirures intérieures.
Cependant, Charlie et Amanda semblaient avoir été incapables de résister à l’envie de titiller Hailey avec des piques incisives, rappelant sans cesse sa relation passée avec Lùca. Charlie arborait un regard malicieux, ses commentaires fins et taquins étaient distillés avec un sourire narquois, tentant visiblement de déclencher une réaction chez Hailey. De son côté, Amanda observait la scène avec une acuité perçante, analysant chaque geste, chaque échange, comme s’il s’agissait d’un puzzle complexe. À chaque évocation de ce passé qu'elle aurait tant aimé oublier, Hailey ressentait resurgir des souvenirs qui la lacéraient de l'intérieur. L'atmosphère vibrait d'une tension presque palpable, mais Hailey, le cœur rempli d'une détermination tranquille, refusait de se laisser submerger par ces tracas. Son objectif restait inchangé, soutenir Emma dans cette épreuve douloureuse. Elle répliquait avec des sourires diplomatiques et des réparties voilées, usant de sa grâce pour maintenir un semblant de convivialité.
Alors que la soirée continuait son cours, Lùca s'était avancé vers Hailey, ses pas presque inaudibles. Ses mots lui étaient parvenus dans un souffle, ses yeux l'avaient sondée, cherchant sans doute à revisiter le lien fragile qu’ils avaient jadis partagé.
— Hailey... cela ne va plus avec Charlie. Elle n’est pas toi, avait-il admis en un chuchotement ébranlé d’incertitude. Nous étions heureux ensemble, n'est-ce pas ?
Dans ces mots tremblants, une vulnérabilité à fleur de peau s'était dévoilée, amplifiant le poids de l’émotion qui flottait entre eux. Les paroles de Lùca s'étaient infiltrées dans l'esprit de Hailey, réveillant un tourbillon de sentiments entre le doux souvenir de leur intimité et la douleur des cicatrices laissées par leur séparation. À la lumière de cette confession, Hailey avait capté son regard, y lisant une détresse qui ne lui était pas étrangère. Elle lui avait répondu avec une douceur teintée de fermeté, la voix aussi claire que les eaux d’un lac au matin.
— Lùca, ma vie avec Matthew est épanouie. Il est trop tard pour les regrets, pour les retours en arrière.
Dans la pénombre, Lùca avait vacillé, ses mots une constellation de pensées non formulées, de sentiments non explorés.
— Hailey, tu as laissé une empreinte indélébile, tu comptes... tu as toujours compté, mais...
Le cœur d'Hailey avait martelé contre sa cage thoracique, une symphonie douloureuse marquant le conflit entre passé et présent. C'était alors qu'Amanda, dissimulée par l'ombre, avait saisi leurs murmures. Un témoin silencieux, elle observait, analyste discrète d'un tableau dont elle détenait désormais un fragment secret. Son visage, une fresque d'impassibilité, cachait les tourbillons intérieurs qu'elle ne révélerait pas pour l’instant, choisissant la stratégie de l'attente, afin de laisser se décanter les émotions et les intentions.
Lùca, tenant Hailey du regard, avait posé un ultimatum qui avait brisé l’atmosphère déjà fragilisée.
— Dans deux jours, chez toi, à 18 heures. L'heure et le lieu importent peu, mais il est essentiel que nous parlions.
Sous la pression de ces mots, Hailey savait que ses choix forgent son destin. Fidèle à sa décision, elle avait refusé de laisser le passé obscurcir le chemin qu'elle avait choisi.
— Je suis là pour Jules, pour lui seul, avait-elle insisté avec conviction.
Tandis que la soirée s'était étirée, des rires et des chants avaient rempli l'air, voiles dérisoires face à l'ombre de la peine où chacun trouvait refuge, les cœurs battant à l'unisson dans une quête de chaleur humaine. Les éclats de rire avaient résonné, créant une mélodie en contraste avec les véritables émotions présentes.
Le lendemain matin, Hailey s'était réveillée avec une gueule de bois terrible. Elle avait été tirée de son sommeil par le bruit des gouttes de pluie qui s'écrasaient bruyamment sur la vitre de sa fenêtre. Ouvrant lentement les yeux, elle avait réalisé qu'elle était encore vêtue des mêmes vêtements que la veille. Sa tête lui faisait un mal de chien, et elle ressentait une soif insatiable. En massant ses tempes pour atténuer sa douleur, les événements de la veille s'étaient bousculés dans son esprit, lourds de préoccupations. Malgré ses sentiments embrouillés, elle savait qu'elle avait fait ce qui était juste.
Après s'être préparée, elle s'était rendue à l'hôpital où son ami se trouvait entre la vie et la mort. En franchissant les portes, l’odeur familière des désinfectants et du lin immaculé l’avait immergée instantanément. Chaque pas résonnait dans le corridor, une mélopée funèbre en dissonance avec le silence religieux qui régnait. Hailey sentait son cœur se serrer, les battements accentués par la gravité de la situation. Elle savait qu'elle était là où elle devait être, pour Jules. Peu importaient les difficultés à venir ou les conséquences de ses décisions, elle était résolue à rester à ses côtés jusqu'à ce qu'il se réveille.
Dans la salle d’attente, Sami, Lara la compagne photographe de Sami, et Lùca étaient déjà présents. Chacun attendait son tour pour visiter Jules, espérant qu’il se réveille rapidement. Le siège en vinyle grinçait légèrement sous le poids de ses doutes et de ses espoirs. Hailey, plongée dans ses pensées, les observait tour à tour. Le visage de Sami était marqué par l’inquiétude, ses yeux cernés témoignaient de nuits sans sommeil. Lara, assise à côté de lui, aspirait par moments un peu d'air par ses narines avec une force de détermination, fidèle à cette force tranquille qu'elle avait toujours incarnée. Quant à Lùca, il était légèrement penché en avant, ses mains jouant avec une carte de visite, manifestation d’une agitation intérieure.
En s'asseyant, Hailey se remémora leur rencontre. L'air ambiant était lourd de souvenirs partagés, chacun imprégné des émotions de leur passé. Son cœur bondissait entre les réminiscences douces et douloureuses de son lien avec Lùca, et la froide réalité imposée par la situation actuelle. Le parfum floral délicat que Lara portait évoquait une proximité affectueuse, tandis que la nervosité de Sami, rebondissant légèrement sa jambe, la rattachait à l'urgence présente. Les murmures des médecins passant et l'éclat lointain d'un téléphone à l'accueil ajoutaient une couche de réalité à son arrière-plan émotionnel. Les heures passèrent, lourdes comme le plomb. Le silence était presque palpable, entrecoupé par des allées et venues silencieuses. C'était dans cette attente impatiente et douloureuse que Hailey trouva la force de rappeler, à chaque battement de cœur, pourquoi elle était là : pour Jules, envers et contre tout.
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