Décembre 2022
C'était tellement mystérieux, l’amour. Les semaines s’étaient écoulées sans que Hailey n’obtienne de réponse de qui que ce soit. Elle était bien plus forte que toutes ces autres femmes, brisées en quelques jours seulement. Elle avait persévéré. « L’espoir meurt en dernier », se répétait-elle.
Hailey restait dans cette pièce, seule avec elle-même, attendant en silence. Des images de Matthew, ou peut-être de quelques-uns de ses anciens amis, surgissaient dans son esprit — des visions provocatrices où ils ébranlaient portes et murs, déterminés à la libérer.
Oh, Hailey !
Elle s’était accrochée à ces illusions avec une ténacité désespérée. Ses journées n’étaient rythmées que par le grincement des plateaux passés sous la porte, généralement renvoyés à demi vides, et le cliquetis des clés actionnant le verrou d'une petite réserve que, jusqu’alors, elle n'avait pas remarquée. La drogue avait souvent brouillé sa conscience. Avec le temps, Hailey avait compris que cette substance altérait la volonté, rendant la personne plus malléable. Mais elle, défiant la norme, se distinguait comme l'exception qui rejetait cette règle insensée. Pour ce qui est de ses besoins naturels, le seau discret au fond de l'espace était amplement suffisant. Mais elle estimait pouvoir se réjouir maintenant. Son calvaire allait se terminer aujourd’hui. Cela ne l’amusait plus.
Lorsque la porte s’était ouverte, Hailey avait à peine distingué la silhouette qui se tenait devant elle à travers l'éclatante lumière. Un petit rappel à l’ordre et elle s’était instinctivement recroquevillée au fond de la pièce. Aucun des deux n'avait parlé, aucun ne bougeait vraiment, jusqu'à ce qu’à bout de patience, comme un petit garçon intrépide s’apprêtant à ouvrir ses cadeaux de Noël, il avait tiré brusquement sur la chaîne retenant Hailey, provoquant un choc lorsque sa tête heurta la paroi. Sa vivacité semblait s'étioler, et elle le regardait sans dire un mot, perdue et déboussolée, comme une étrangère dans cet endroit oppressant.
Il l'avait dévorée du regard sans un mot, observant la craintive sans plus aucun repère. Elle lui appartenait après toutes ces années. Satisfait comme un bienheureux, il avait souri, la fixant avec une lueur malsaine dans les yeux :
— Trois mois ici et tu restes rayonnante, avait-il dit. Je comprends mieux pourquoi toutes les autres te jalousent, bien qu’elles soient passées à autre chose maintenant.
Hailey l'avait fixé, perplexe, essayant de mettre un nom sur cette voix familière. Léthargique et affaiblie, elle avait pris le temps de s'adapter à cette réalité. Les mots étaient restés suspendus, mais elle avait compris l'allusion, la menace implicite. Un sous-entendu planait sur les conséquences d'une évasion. Après plus de quatre-vingt-dix jours, elle avait commencé à s'habituer à cet éclat de lumière qui avait finalement été écarté de ses yeux, assez pour ne plus être éblouie, mais pas encore assez pour distinguer les traits de son geôlier. Il avait continué sans tenir compte de son trouble.
— Mais entre nous, il faut vraiment que tu me dises quel est ton secret, avait-il ajouté, presque enjoué.
D’un geste du pied, il s'était approché d’elle, et tandis qu'il la dévorait du regard, elle avait commencé à masser sa cheville enfin libérée.
— Tu vas me faire le plaisir de nettoyer ta merde, avait-il ordonné. Tu fais tout disparaître, et rapidement. Ta chambre s’apparentait à celle d’une femme des cavernes, aussi sombre que puante.
Son ordre était sans appel, autant calme qu'agressif. Elle s’était murée dans un silence comique, elle qui, hier encore, hurlait ses questions idiotes. Où était passée sa jolie langue percée ? En attendant, elle s’était exécutée péniblement, poussant du bout d’une petite éponge ses nombreuses déjections dans un tuyau qu’elle n’aurait jamais pu découvrir seule. La tête baissée, elle peinait à éloigner les mèches de sa chevelure de ses propres déjections, ce qui l’amusait. Elle accroissait un peu plus, chaque fois, son intérêt pour elle, cette protégée particulière. Il avait ricané en la voyant se démener, tout en songeant que les deux seaux auraient dû suffire si elle n’avait pas voulu jouer les princesses. Il avait fait une pause, jugeant qu’elle était suffisamment humiliée pour le moment, et qu’elle finirait par comprendre qu’il n’hésiterait jamais à la remettre à sa place. Mais malgré tout, ils allaient tant s’amuser ensemble, n'était-ce pas ?
— Allez, venait-il de dire, une douche s’impose, ma jolie.
C’était assurément mystérieux, l’amour. Elle s’était figée au son de sa voix qu’elle venait de reconnaître. Elle n’était pas marrante à garder ses réactions pour elle. Il savait ce qu’elle faisait et il l’arrêtait tout de suite. Rien de ce qu’elle avait en tête ne fonctionnerait avec lui. Hailey avait pris le temps de digérer cette révélation. Elle était prisonnière depuis trois mois d’une personne avec qui elle aurait pu être intime. Elle l’exécrait, lui et ses petits mots d’amour, cela il le sentait. Elle en aurait bien balancé, des « ma jolie » et compagnie, pourtant, il restait son ami, son seul ami en fait.
Ses pensées, il se les imaginait errantes sans cesse, glissant vers ceux qui lui étaient chers en quête de réconfort. Vers Matthew, peut-être, qui la hantait sous les traits d'un spectre implorant, lui rappellant de persévérer, de rester indomptable. Et que dire de Luca ? Celui-là même qui, dans un élan quasi héroïque, semblait prêt à quitter Charlie. Il était certain qu'ils étaient encore éperdument épris l'un de l'autre, leur amour scintillant davantage que jamais malgré les mois écoulés. Il se demandait si, dans ses visions fugaces, elle ne les aurait pas déjà maudits pour leur bonheur immarcescible, pour cette façon odieuse dont elle rayonnait, s'épanouissait dans une joie qui avait l'air de la rendre invulnérable. Son esprit, insaisissable, devait sans doute se poser probablement sur Matthew. Lui, qui de manière inattendue et cruelle, ne l'avait pas attendue à la croisée de leurs chemins jadis entrelacés. Il sillonnait le vaste continent américain, le cœur alourdi de musiques et de rires neufs, parcourant sans elle de nouvelles routes avec son groupe. Pour attiser cette blessure béante qu'il savait pudiquement camouflée, il avait pris soin de rassembler pour elle les interviews, articles de presse et autres babioles célébrant ses pérégrinations. Elle s’enfermait dans son monde. Elle devait juste garder à l'esprit que tant que les fils de son esprit s'entremêleraient aux siens, elle resterait, inexorablement, son jouet. Un pantin dont il ourdissait la libération avec une patience perverse, jusqu'à ce que, à contrecœur ou non, elle admette sa place à ses côtés.
Elle avait avancé devant lui et il avait contemplé sa silhouette, elle-même balançant son corps en marchant, l’illuminant un peu plus. Elle était sa fière petite rebelle qui, sous ses airs, devait être plus que ravie de sa situation. Elle avait enfin saisi qu'elle n’aurait pu s’enfuir et que la lumière provenait de cet éclairage. Elle avait traversé un long couloir, et, lorsque elle pensait monter un nouvel escalier en spirale, il l'avait brusquement arrêtée.
— Ici, avait-il dit calmement.
Il avait capté discrètement chaque nuance de ses mouvements, l'éclat naturel de sa démarche révélant une noblesse cachée malgré le stress environnant. Son ombre se dessinait avec une grâce presque royale alors qu'ils avançaient le long du corridor désolé. La lueur fantomatique de leur chemin s'estompait, ébranlant les rêves de fuite. Comme un duo, ils avaient franchi le silence avant d'atteindre une nouvelle épreuve en spirale, mais il les immobilisait avec un simple mot.
Ton passage me captiva, et je remarquai le soin que tu avais mis dans chacun de tes mouvements, suscitant en moi une admiration silencieuse. Ton apparence extérieure ne reflétait pas l'assurance que tu éprouvais intérieurement, résignée à embrasser cette réalité. En approchant de la source lumineuse, il était devenu clair que la fuite n'était pas une option. Le couloir se prolongeait et alors que tu anticipais la découverte d'un nouvel escalier sinueux, je t'immobilisai d'une instruction claire— "Stop," annonçai-je doucement. Tu avançais avec une démarche assurée que je ne pouvais m'empêcher d'observer, m'impressionnant par la confiance que tu dégageais. Dans ton allure, je discernais une fierté cachée, une acceptation silencieuse de ton sort. Tandis que tu progressais, la réalité de notre environnement se révélait dans l'éclairage tamisé. Nous suivions un corridor étroit, et juste au moment où tu pensais grimper un escalier en colimaçon, je posai ma main sur ton épaule pour te retenir.
J’ouvris la porte, et tu découvris une petite salle de bain. Nous prîmes notre temps. Mille et une questions tournaient dans nos têtes, mais aucun de nous ne songeait à les énoncer. Toi, de crainte des réponses que j'allais être amené à t’offrir. Moi, pour ne pas avoir à t’esquinter tout de suite. J’aimais tout comme toi laisser venir les choses. Rien ne servait de les précipiter, elles arriveraient bien assez tôt. Tu allais adorer, je m’en étais assuré, mais dans le cas contraire, eh bien, tu t’y ferais.
Face au miroir, tu ne te reconnaissais pas. Une magnifique chevelure blonde aux immenses racines était emmêlée et tes yeux océan, vifs à l’origine, étaient désormais ternes et cernés. Tu faisais mine de détester le fait que je sois là, à te regarder pendant que tu te dénudais et rentrais dans la douche. Pour cette première, un premier lavage censé te décrasser suffisait. Mais, à ta manière habituelle, tu n’en faisais qu’à ta tête et prolongeais ces instants. Tu appréciais grandement la sensation de l’eau chaude qui s’éparpillait sur ta peau ainsi que l’odeur des savons. L’odeur désinfectante laissait place à une douce effluve de fraise. Avec regret, tu en sortis finalement et revêtis ces vêtements que j’étais allé te chercher. Un sourire s’afficha sur mes lèvres à mesure que tu les reconnaissais. Ce n’étaient pas n’importe quels vêtements non. C’étaient ceux qui se trouvaient quelques semaines plus tôt dans ton armoire. C’était ce qui te restait de tes dernières journées shopping avec Matthew. Ils portaient encore les étiquettes que j’enlevai à l’aide d’une paire de ciseaux que tu admirais. J’aimais les frissons qui te traversaient alors que je te caressais délicatement l’arrière de ton cou.
— Par ici, j’avais quelque chose pour toi.
Si nous avions été dans un film, le narrateur externe aurait récité ces phrases d’une voix morose, façon pièce de théâtre surjouée.
« Le geôlier entraîna sa captive au fond du couloir. Ils montèrent l’escalier puis tombèrent sur un autre corridor. La jeune femme s’imaginait à raison dans une sorte de labyrinthe. L’homme s’écarta finalement d’elle, après l’avoir matée à nouveau d’une manière des plus perverses et lui demanda d’ouvrir la porte qui se trouvait face à eux. Hésitante, la jeune Bennet obéit. Surprise ! Elle se laissa tomber au sol, aggravant un peu plus ses diverses blessures. Devant elle, la copie conforme de son ancienne chambre. Identique jusqu’à la photo d’elle et de ses amis, posée sur une petite table de chevet en bois, taguée d’écritures. Son carnet ainsi que son appareil photo étaient posés sur le lit. Elle resta assise, sans voix. Seules ses larmes, desquelles découlait son désespoir, rompaient ce silence glacial. Après plusieurs minutes qui semblaient durer des heures, chacun jaugeait l’autre.
— Regarde-moi, insista ma voix dans l’ombre. Souviens-toi de qui tu étais. C'était ta clé vers la liberté. Brise tes chaînes. Donne voix à tes démons, à ton génie créatif. Laisse sortir ta colère contre cette prison invisible. Raconte-moi la poésie qui animait ton âme. Tous ces éléments dont je t'avais dépossédée. Partage ta colère, ton chagrin face à ceux qui t’avaient délaissée. Car ils en avaient fini avec toi, en réalité. Je les avais libérés de ton souvenir. Confronte-toi à la vérité. Parle-moi. Tu te sentirais apaisée, crois-moi. Accompagne-moi. Laisse-les derrière toi comme ils t'avaient laissée. Ils étaient soulagés sans toi. Tes lettres persuasives avaient suffi pour qu'ils t'abandonnent.
C’était tellement mystérieux l’Amour. Tu détournas mon regard, bouleversée par une émotion inconnue, que tu n'arrivais cependant pas à nommer. Je te scrutai attentivement, avec intensité.
— Réponds, ou je devrais recourir à des méthodes plus drastiques, menaçai-je, bien que nous sachions tous les deux que je n'userais pas, pour le moment du moins, de violence physique. Nous étions engagés dans une partie d'échecs psychologique intense, et l'échec n'était pas une option. Chaque parole non prononcée ajoutait encore plus de poids à l'atmosphère déjà lourde entre nous.
Je ressentais ton esprit en tumulte, enfermé dans un silence obstiné. Ces fameuses lettres dont tu ne te souvenais pas. Celle que tu avais voulu écrire avant de te rétracter, celles où des mots devenus toxiques pourrissaient dans ta poubelle. Et celle que tu avais laissée tomber dans la neige, par inadvertance.
— Tu m’apprécieras à nouveau, tu sais, murmurais-je, ajoutant une nuance presque douce à mon ton, un chuchotement qui alourdissait encore ton cœur.
Sans me regarder, tu te levas et exploras plus en avant cette chambre, ta nouvelle prison. Je savais que tu avais fait volontairement le choix d'oublier son passé, de fuir la réalité, car la souffrance serait insupportable. Cependant, malgré ta résistance, tes souvenirs s'incrustaient lentement dans ton présent. En un claquement de doigts, ces quelques mois avaient succédé à une éternité.
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