Une toile peinte d'émotion.
J'étais seul dans un vide si pur qu'il me semblait crier en silence.
Je n'avais ni corps, ni repères, seulement cette blanche étendue et l'écho de mon existence.
Lorsque cette première émotion m'effleura, une angoisse sourde, inexplicable m'envahit, et de moi jaillit une tache noire, figée dans ce rien éclatant.
Du contraste violent entre le blanc et le noir naquirent deux minuscules étincelles, deux fragments de ma conscience, réussissant à m’apaiser, apportant un ordre au milieu du chaos naissant.
Du blanc surgit la première : un être fluide et insaisissable que je baptisai le Temps. Elle glissa entre les nuances, insufflant rythme et mouvement à l'ombre grandissante.
Du noir naquit son jumeau : une entité silencieuse et majestueuse que je nommai l’Espace, l’incarnation même de l’extension, de l’éloignement, du volume.
Ensemble, obéissant à mon premier souffle, ils commencèrent à tisser la trame d’un univers encore informe, un théâtre où chaque battement de mon cœur solitaire deviendrait création.
Entre l'expansion du noir et la fluidité du blanc, à la frontière mouvante où le Temps et l’Espace dansaient encore maladroitement, une nouvelle émotion surgit : la Joie.
Un frisson léger, éclatant, irrépressible, jaillit de moi, et en réponse, une explosion éclata dans cette mince bande de rencontre.
Là, sur cette ligne incertaine, la blancheur s'embrasa de lumière, la noirceur vibra de vie. De cette communion naquirent les couleurs primaires : le rouge, le bleu et le jaune, comme des cris d'existence, purs et bruts.
Chaque éclat coloré semblait porter une part de moi, un fragment de cette exaltation profonde.
Et pour la première fois, le vide n'était plus un silence figé, mais une symphonie éclatante, imprévisible, palpitante.
Porté par la Joie, le Temps accéléra sa course, glissant entre les vagues d’ombres et de lumière.
L'Espace, de son côté, se tendit, se plia, s'étira pour épouser chaque pulsation colorée.
Ensemble, en un ballet nouveau, ils dansèrent non plus maladroitement, mais en parfaite harmonie.
Leur danse fit naître une stabilité au sein de cette immense œuvre, un souffle régulier dans le chaos premier.
Et au cœur de cette harmonie, les couleurs, agitées par le rythme, commencèrent à se heurter, à se mélanger, à s’enflammer.
À chaque collision, à chaque embrasement de nuances, naquirent de nouvelles étincelles.
De l'étreinte furieuse du rouge et du jaune surgit l’étincelle de la force, le lien inébranlable qui souderait la matière à venir.
De la caresse délicate du bleu sur le rouge naquit l’étincelle de la douceur, fragile mais essentielle, porteuse de transformation.
De l’éclat vif du jaune se détacha l’étincelle de la vivacité, tissant des fils qui font onduler les nuances du monde.
Enfin, dans le lent enlacement de tout ce qui existait, le murmure grave du noir donna naissance à l’étincelle de l’union, la force silencieuse qui maintiendrait l'univers dans ses bras invisibles.
Au fil des millénaires, j'assistai à cette pièce de théâtre qui me divertissait, créant à mon insu de nouvelles étincelles que je nommai, dans le but de participer à un spectacle né d’une simple conscience, d’une simple volonté de ne plus être seul.
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