Chapitre 24
Le trajet est long et éreintant. Je ne suis pas montée sur une moto depuis longtemps. Je me souviens que j’ai le permis B, A1 et A2. Je possède ou possédais une sublime moto d’un joli bleu roi foncé brillant comme un ciel rempli d’étoiles. J’arpentais les routes, allant de ville en ville et prenant un énorme plaisir à voyager parmi les routes cachées dans la nature.
Je traverse plusieurs villes alors que le soleil se lève de plus en plus. Elles sont aussi charmantes les unes que les autres. Le soleil se lève de plus en plus et sur un panneau de pharmacie je distingue 7h41. Je dirais que je roule depuis au moins deux heures.
Au tournant d’une route, je m’engage sur un petit chemin où tracteur, voiture et autres véhicules ont tassé la végétation, ne laissant que la terre sèche, les cailloux et un brin de neige mélangée à de la boue. Le chemin n’est pas très pratique et glissant mais je poursuis avec une moto qui commence à fatiguer. L’oré du bois est proche, alors je bifurque sur le chemin de droite au lieu de continuer tout droit. Les arbres jonchent le chemin et ce n’est que quelques mètres plus loin que je m'aperçois que je ne suis pas la seule à être venue ici. Des traces de pneus de voitures sont marquées dans le sol humide. Il faut que je me cache et que je cache la moto. Je ralentis puis arrête le moteur. Je descends du véhicule et le pousse derrière les arbres, le cachant comme je peux derrière les troncs, à quelques mètres du chemin. J’ai récupéré quelques forces et ayant bien mangé, je suis moins maigre qu’auparavant.
Discrètement, j’avance en me dissimulant dans la forêt. Plus mes pas se rapprochent de la maisonnette, plus j’aperçois les véhicules et les hommes. Je compte trois voitures noires, quatre à cinq hommes et une femme sans compter les chauffeurs. De là où je suis je n’arrive pas à distinguer leur visage mais deux silhouettes me semblent familières, la femme et un des hommes qui reste près de la porte. Je continue de m’avancer quand l’homme se tourne vers la forêt. Je me baisse et me cache rapidement derrière un arbre, priant pour qu’il ne m’est pas vu. Mon cœur bat la chamade et ma respiration est rapide. De la vapeur sort de ma bouche. J’essaie de me calmer et de ne pas faire de bruit. J’attends quelques minutes comme ça, accroupie derrière le tronc, le dos contre celui-ci et le regard droit devant moi. J’arrive à entendre quelques voix s’élever. Ils parlent de rangement, de cartons et d’affaires. Ne me dites pas qu’ils prennent mes affaires ?! Je me retourne et les observe. Quelques hommes sont en train de ranger des cartons qui semblent remplis dans les coffres des voitures. Oh non ! Mes affaires… Comment vais-je faire ? Le peu d’énergie qu’il me restait disparaît en même temps que mon soupir. Je décide donc d’attendre, la tête appuyée sur l'écorce froide, les bras croisés pour garder un maximum de chaleur. La fatigue me gagne et le lieu m’apaise. Je reconnais l’endroit, les odeurs les plus subtiles des arbres et de la terre.
J’ouvre doucement les yeux. Le soleil déjà plus haut dans le ciel me réchauffe le visage et me pique les yeux malgré les lunettes de soleil. J’émerge doucement et je me souviens de ma mission. En tournant la tête vers la maison, je constate qu’il n’y a plus aucune voiture. Je m’aide d’une main sur le sol et l’autre sur le tronc pour me relever, les jambes engourdies. Je m’avance vers la bâtisse et passe le pas de la porte. C’était si délabré que ça ? La maison me semblait en meilleur état dans mes souvenirs. Je laisse mes mains parcourir les murs et le peu de meubles présents. Le toit est bien plus en ruine et le bois subit le temps. Un pas après l’autre j’avance vers la cave, instinctivement, presque mélancolique.
- Tu es peut-être dans un sale état mais tu as été mon refuge quand tout allait mal et je t’en remercie. Dis-je en pensant à voix haute comme si je m’adressais à une vieille amie.
Ma main se pose sur la poignée de la porte que j’ouvre. La poussière et différentes odeurs me parviennent. Ils sont entrés dans la cave… Qu’est-ce qu’ils ont pris ? Est-ce qu’ils savent que je me suis enfuie ou c’était déjà prévu depuis qu’ils m’ont fait prisonnière ? Je descends les marches et, une fois en bas, j'appuie sur l'interrupteur. Un interrupteur que je n’ai pratiquement jamais utilisé. Étonnamment, tu es encore fournie en électricité malgré que tu sois abandonnée. L’ampoule grésille et s’allume progressivement me laissant voir une pièce plus vide que lorsque Owen et Clarsch m’ont capturée. De nombreux livres que je lisais posés ça et là ont disparu tout comme les bougies et le peu d’habits que j’avais. J’avance doucement vers le lit et me laisse tomber dessus, lasse. Mes mains caressent le tissu abîmé par le temps et l’usure. De ma main droite, je touche du bout des doigts la petite table de chevet en bois massif d’un beau marron vieilli. Tout ce qui était dessus n’est plus.
Un souvenir ou plutôt un pressentiment me parvient. Je me lève du lit et commence à le pousser de toutes mes forces. Heureusement, le lit est en acier et n’est donc pas bien lourd. Une fois qu’il est poussé de son emplacement d’origine d’au moins cinquante centimètre à un mètre j’observe le sol. D’une main, j’époussette le plancher pour voir plus clair et du bout de l’index, je suis les rainures jusqu’à tomber sur une encoche.
Mais alors que mes doigts glissent sous la planche dissimulée, un grincement résonne derrière moi. Trop tard.
Je me retourne d’un geste brusque, prête à porter le premier coup, mais une main ferme m’arrête net. Mon poignet est saisi, mon bras repoussé. Un grand homme me fait pivoter avec une force tranquille, implacable. Mon dos heurte son torse.
Le temps se suspend.
Je me débats pour me défaire de son étreinte, jusqu’à ce que je constate qu’il ne force pas, qu’il fait attention à ne pas me faire mal.
Son souffle effleure ma peau, chaud contre la froideur de ma nuque. Mon cœur cogne si fort que j’ai l’impression qu’il va se briser. Ma respiration est saccadée. Ses doigts se referment délicatement sur mes poignets, les croissant contre ma poitrine comme si mes propres bras m’enchaînaient.
Je tente une nouvelle fois de me débattre, mais chaque mouvement resserre l’étreinte, m’emprisonnant davantage. La chaleur de son corps traverse mes vêtements, m’obligeant à ressentir sa présence autant qu’à la subir. Son odeur m'enveloppe comme dans du velour. Une odeur de musc discret et d’ambre s’infiltre en moi, imprègne mes sens malgré moi, comme si mon corps refusait de lui échapper.
Le silence est épais, troublé seulement par le rythme désordonné de ma respiration. Mes sens s’affolent, chaque seconde s’étire, chaque battement de cœur devient une éternité.
Et ce souffle, encore. Tout près. Trop près. Me fait perdre la tête.
Je ferme les yeux instinctivement pour mieux sentir son odeur et sa chaleur. Mon corps se détend doucement alors que son étreinte s'adoucit, me collant davantage à son torse. Ma respiration se calme comme les battements de mon cœur. Je devrais avoir peur…Mais, je ne sais pas pourquoi, je me sens en sécurité. Je voudrais que le temps s’arrête pour l’éternité et ne ressentir que cette sensation.
– Tu es téméraire dis donc. Me chuchote-t-il à l’oreille ce qui me fait frissonner.
Un frisson très agréable partant de ma nuque, me parcourt le corps. Sa voix est grave, posée, profonde et suave. Son souffle, son odeur, sa voix, tout m’électrise.
– Je vais te libérer, mais… ne t’enfuis pas s’il te plaît.
Cette fois sa voix tremble légèrement et il semble inquiet que je le quitte. Dès que ses mains libèrent mes poignets, que ses bras n’encadrent plus mon corps et que son torse s’éloigne légèrement de moi, je regrette instantanément cette étreinte. Je m’accorde quelques secondes si ce n'est une minute, le temps de reprendre mes idées. Je fais un pas en avant histoire de m’éloigner un peu plus de lui, puis lui fait face. J’écarquille les yeux lorsque je reconnais l’homme. C’est l’homme qui voulait que je me déshabille ?! L’Alpha de leur meute apparemment.
Je dois afficher une drôle de tête puisqu’il se met à rire doucement. Un rire enchanteur.
– Désolé de t’avoir surprise mais je me doutais que tu reviendrais ici lorsqu’on m’a prévenu qu’une femme s’était enfuie avec l’une des motos du garage. Me souffle-t-il doucement, les yeux rivés sur moi.
Ce que je ressens actuellement n’est qu’un déchirement entre la confusion totale de ce qui vient de se passer, la frustration d’avoir été retrouvé aussi vite et une pointe de colère après son comportement passé.
Je prends une grande inspiration pour me calmer et réactive ma barrière mentale qui se désagrège de plus en plus, au fur et à mesure que je retrouve mes souvenirs.
– Ne me touche pas, ne m’approche pas et laisse-moi. J’ai suffisamment subi de choses ces derniers temps. Entre mon enlèvement, l’enfermement dans ta cave, les interrogatoires sans être alimentés, ton comportement et bien d’autres choses dont je ne trouve pas d’explication qui me semble logique ou ayant du sens. Dis-je le plus calmement possible, espérant que ma voix soit neutre. Je m'agrippe le bras, le frotte, un peu mal à l'aise, essayant de faire partir les picotements du sang qui circule rapidement dans mes veines.
Je peux voir dans son regard une forme d’hésitation. Il fait un pas en arrière, me laissant un peu plus d’espace.
– Je ne partirai pas. Nous n’avons pas commencé sur des bonnes bases et j’en suis sincèrement désolé. Encore plus pour mon comportement et mes paroles de la dernière fois. Dit-il en se frottant la nuque, le visage un peu baissé et le regard d’abord sur le sol, puis me regardant à travers ses cils.
Je souffle, non pas d’exaspération…Un peu quand même. Mais surtout ne pouvant résister trop longtemps à son charme naturel et la tension encore palpable dans l’air.
– Plus sérieusement, qu’es-tu venues faire ici alors que la maison est totalement en ruine ? Me questionne-t-il en balayant la pièce de son regard noisette.
Mon regard se pose instinctivement sur la cale au sol, à quelques centimètres des mes pieds.
Ethan suit mon regard et s’approche puis se baisse. Je l’arrête rapidement en attrapant son poignet et une nouvelle décharge électrique me parcourt. Elle semble le parcourir également car les poils de ses bras se dressent. Je le lâche rapidement et ouvre la cale.
Un journal trône dans ce petit espace confiné, plein de poussière. Je le saisis doucement comme si je tenais une relique précieuse pouvant me révéler mon avenir ou plutôt mon passé.
Cette pensée me fait sourire, mais il laisse vite place à l’inquiétude et au stresse. A chaque fois que mon passé ressurgit, mon corps brûle et me fait atrocement souffrir mais je veux absolument savoir le fin mot de cette histoire. Pourquoi je n’ai plus de souvenir. Pourquoi je vivais ici. Pourquoi ? Pourquoi…
Je m'assois sur le lit, comme au ralenti. Ethan reste devant moi et m’observe, attendant le moindre signe de ma part. Le journal sur les genoux, j’inspire puis souffle frénétiquement sur la couverture du livre usé. La poussière virevolte dans l’air et à l’aide de ma main droite, je retire le reste. On dirait qu’il m’attendait depuis longtemps.
Sa couverture de cuir brun , usée mais intacte, porte l’empreinte d’un arbre nu, ses branches décharnées semblant gravées dans la chair même du cuir, à la manière d’une cicatrice ancienne. Autour, deux lierres s’enroulent l’une sur l’autre forment un cadre comme pour protéger cet arbre.
Sur la tranche, les fils de reliure sont visibles, à la fois fins et délicats et grossièrement apparents. Le dos du livre est identique en tous points à sa couverture.
Lorsque je l’ouvre, je sens sous mes doigts le papier jauni et fragile, marqueur du temps passé. Mon temps passé en ces lieux. Les bords sont effilochés et une odeur de poussière, d’encre sèche et de souvenirs oubliés s’en échappe. Ma main tremble tandis que je commence la lecture.
Cher journal… c’est étrange d’écrire dans un journal après tant d’années. Je ne sais pas par où je dois commencer alors je me lance avant que tout ne s’efface de ma mémoire.
Voilà maintenant quelques mois que nous sommes ici, comme des réfugiés de guerres, habitant, ou plutôt squattant une maison abandonnée à l'orée du bois de la meute Spikes.
Je perds de plus en plus la mémoire. Cette situation me brise le cœur. J’oublie ceux et celles avec qui je vis entre les murs de cette demeure. J’oublie même mes proches et ce, jusqu’à ma propre existence.
Parfois, je me réveille et je me demande : “Quel est mon nom ? Mon prénom ?”
Je finis par m’en souvenir au détriment des autres noms et prénoms qui me sont bien plus précieux.
Alors voilà, voici les souvenirs principaux…
Alors que je lis, je n’en crois pas mes yeux. Plus les pages et les mots défilent devant mes yeux, plus je lis vite essayant d’assimiler les informations. Je lis frénétiquement, une fois, puis une seconde fois et… Je n’arrive pas à m’arrêter, devenant folle. Folle de rage, de colère, de tristesse, de joie… Je me sens submergée par tellement d’émotions que mon cerveau refuse de comprendre autant que mon cœur qui déborde déjà par les évènements des dernières semaines.
Autour de moi, le temps s’est comme figé. La pièce tourne et je suis happée dans cette tornade de souvenirs qui me noie. Des larmes coulent par vague. Certaines d’entre-elles s'écrasent sur le papier, ce qui fait baver l’encre de quelques mots.
D’un geste vif et sec, je referme le journal et me lève d’un bond. Le sang me monte à la tête et ma vision déjà troublée par les larmes s’embrouille encore plus. Ma respiration est saccadée. Mon cœur bat dans mes oreilles et mon corps me brûle. Un mal de crâne apparaît instantanément. Conséquence de l'afflux de souvenirs.
Je sens Ethan se glisser à mes côtés et me tenir pour que j’évite de m’écrouler sous le poids de la vérité qui m’accable.
– Qu’est-ce qui t’arrive ? Fut tout ce que je pu entendre avant que mon esprit sombre et que je bascule de nouveau.

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