Obscurité
La jeune femme avançait lentement dans le couloir vide. Ses pas résonnaient dans ses oreilles et le blanc des murs l’aveuglait. Elle ignorait depuis combien de temps elle marchait. Des heures, des jours peut-être. Ses pieds lui faisaient mal et le cuir usé de ses chaussures s’enfonçait dans sa chaire. Elle rêvait de se reposer. Elle avait bien essayé mais le sol était si froid qu’il lui brûlait la peau. Y poser sa main était impossible, encore moins s’asseoir. Et il y avait les ténèbres… Dès qu’elle fermait les yeux, elle se sentait oppressée. Le noir prenait la place du blanc. A choisir, elle préférait la lumière. Au moins, elle voyait où elle allait et, surtout, ce qui l’attendait. L’incertitude de l’obscurité lui était insupportable.
Le chemin était plat, lisse et toujours vide. Jamais un objet ou un changement n’apparaissait. Parfois, elle entendait des voix. Des voix qui parlaient et murmuraient un nom. Était-ce son nom ? Elle ne se souvenait plus. Ces voix étaient familières mais la jeune femme ne parvenait pas à les reconnaître. Elle avait cette sensation tenace, ce pincement au cœur… Elle oubliait quelque chose, mais quoi ? Elle ne savait pas. Elle ne savait rien, ni pourquoi elle était là, ni ce qu’était cet endroit.
Elle était fatiguée. Peut-être qu’elle pourrait supporter le froid quelques instants. A peine fut elle assise qu’une vive douleur parcourue son corps. Elle se recroquevilla en gémissant, sa voix amplifiée par le vide autour d’elle. Elle ferma les yeux, redoutant déjà les ténèbres. Ses yeux semblèrent hurler de soulagement et une migraine se déclara, son cerveau étant surpris par la noirceur soudaine. La douleur se répandit dans tous les muscles de son corps. Elle avait l’impression que des lames lui lacéraient chaque centimètre de son être.
Alors que la jeune fille pensait succomber à cette douleur, tout s’arrêta. Elle ne ressentait plus rien. Ni la douleur, ni le froid. Le souffle saccadé, elle ouvrit les yeux en se préparant au contraste aveuglant. L’angoisse lui nouait la gorge.
Rien.
Les ténèbres étaient toujours là. Même après plusieurs battements de cils, aucune lumière ne venait éclairer les lieux.
Paniquée, elle se releva d’un bond. Son geste fut si rapide que la tête lui tourna. Que se passait-il ? Où était la lumière ? La jeune fille voulut crier mais aucun son ne sorti de sa gorge. Alors elle se mit à courir. Dans le noir, à l’aveugle, elle trébuchait sur tout. Ses chaussures l’empêchaient de courir, alors elle les enleva et repris sa course. Rien ne changea. Elle continuait de glisser ou de se heurter à des obstacles qu’elle ne voyait pas. Le sol qui était lisse quelques instants avant, était maintenant semé d’embûches. Ses cheveux lui fouettaient le visage et ses poumons peinaient à suivre.
Après une course interminable, elle la vit enfin. La lumière. Au bout des ténèbres, le couloir brillait tel un portail divin. La fin de son calvaire. La porte de sortie.
Le soulagement s’empara d’elle mais elle ralentit la cadence. Son corps peinait à suivre. Chaque pas lui semblait un supplice.
Pile à ce moment, un grondement se fit entendre derrière elle. Un bruit assourdissant qui lui glaçait les sangs. Pourtant, elle s’arrêta.
A la frontière entre la lumière et les ténèbres, elle hésitait. Où devait-elle aller ? L’obscurité la terrifiait mais l’appelait. Il y avait quelque chose de rassurant après l’errance immaculée. La lumière lui permettait de voir, mais elle craignait d’y retourner.
Le grondement se rapprochait, elle devait se décider et vite.
Ses jambes ne répondaient plus. Le bruit n’était qu’à quelques mètres. Il ressemblait fortement à un moteur de machine.
Que faire ? Ténèbres ou lumière ? La jeune femme ferma les yeux et le calme s’installa. Ses jambes bougèrent enfin.
Son choix était fait.
*****
Le bip de la machine lui martelait la tête. Il était démultiplié après le silence du couloir. La jeune femme ouvrit les yeux avec difficulté. Ses paupières étaient lourdes. La lumière l’agressa et elle gémit.
D’autre bruits se firent aussitôt entendre. Des pleurs, des voix. LES voix. Elle apercevait les silhouettes des personnes autour d’elle. Sa vision s’éclaircit et elle put les distinguer. Des médecins à en juger par leurs habits.
Elle tourna la tête et vit une femme allongée sur un lit semblable au sien. Sa machine bipait également. La jeune femme observa le corps inanimé. Les souvenirs lui revinrent.
La route, la pluie… Il faisait sombre et la route glissait. Puis il y avait eu le camion…
Elle n’entendit pas les remarques et les questions des médecins. Ou peut-être ne voulait-elle pas y répondre. Sa seule pensée était tournée vers la femme.
Elle voulut parler mais n’y arriva pas. Ses lèvres étaient sèches et sa gorge nouée, endormie. Elle eut l’impression d’avoir quelque chose dans la gorge. Par instinct, elle toussa.
Elle observa les infirmières retirer le tube de sa gorge. Elle put alors parler, après plusieurs essais. Sa voix était rauque et à peine plus forte qu’un murmure.
« Maman... »
La machine d’à côté s’emballa. La vision fut cachée à la jeune femme, alors que le bip devenait incessant. Avant que les médecins tirent le rideau, elle aperçut la machine indiquant l’état de sa mère. Elle vit la ligne plate, sans battements.
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