William, qui n’avait rien publié depuis plus trois ans, sortit son livre à l’automne et immédiatement ce fut un succès critique et publique. De l’avis de tous, il n’avait jamais aussi bien écrit et il était promis aux plus hautes récompenses littéraires.

    Valentin et Tom avaient reçu un exemplaire de l’œuvre quelque temps avant sa publication. Le jeune homme avait dévoré le bouquin en quelques heures et en était sorti sonné. En effet, William s’était largement inspiré de leur relation pour l’intrigue et les personnages son livre. Le héros principal était un peintre quadra torturé par un jeune homme à la beauté du diable qui lui ressemblait à si méprendre. D’ailleurs, il y trouva l’exacte reprise de plusieurs de ses propres propos tenus lors de leurs discussions passées sur l’art et  la vie. Tout y était décrit dans les moindres détails y compris le moment d’égarement qui avait clos cette belle complicité.

    La proximité entre le roman de William et sa propre vie n’avait pas non plus échappé à Tom. Il savait que l’écrivain s’appuyait énormément sur ses expériences personnelles pour écrire et que l’essentiel de son œuvre était autobiographique. Il avait bien évidemment reconnu Valentin dans les traits et le comportement du jeune homme du livre. Il était maintenant persuadé qu’il s’était réellement passé quelque chose de fort entre lui et William. La suspicion s’était insinuée dans le couple et les scènes de ménage se multipliaient. Alors qu’il n’avait aucun état d’âme sur les infidélités répétées de son jeune compagnon, la relation trouble qu’il avait entretenu avec William le perturbait énormément. Il pensait que Valentin lui cachait les sentiments qu’il ressentait à l’égard de l’écrivain. 

    Excédé par le comportement de son compagnon, Valentin décida de persuader William de démentir auprès de Tom certains aspects autobiographiques du roman. L’écrivain lui donna rendez-vous chez lui quelques jours plus tard. Le jeune homme ne pouvait plus passer à l’improviste vu l’agenda surchargé de l’auteur à succès. Entre les séances de signatures dans de grandes librairies, les conférences sur son livre , les interviews et les passages télé, le romancier n’avait plus une minute à lui. 

    Sur les conseils de son éditeur, il avait même changé radicalement de look. Finies la barbe et les longues mèches négligées, il était maintenant totalement glabre et portait les cheveux plus courts. Valentin trouva qu’il avait rajeuni de dix ans et qu’il était devenu terriblement attirant. L’écrivain proposa une bière à son visiteur et lui désigna le canapé. Le jeune homme ne perdit pas de temps sur l’objet de sa visite. Il lui raconta les scènes terribles que lui imposait son compagnon depuis qu’il avait lu son livre. 

     - Je veux que tu affirmes à Tom que la scène de sexe est fictive et que les mots d’amour que le personnage a prononcés sont tout aussi fictifs. Que tu as seulement imaginé tout ça comme pour exorciser ton amour pour moi et ton souhait de voir tes sentiments partagés. Je t’en prie, je ne veux pas le perdre.

    - Je comprends. Tom m’a laissé des messages sur mon portable très menaçants. Il ne veut clairement plus me revoir. Visiblement ma description de la scène de cul était très trop réaliste. Cela a dû  lui  rappeler quelqu’un. 

    - Et tu trouves ça drôle ?

    - J’ai écrit ce livre pour me délivrer de l’amour que j’avais pour toi Val’. Malheureusement, j’ai échoué. C’est pire maintenant. Et, te voir est une torture plus grande que celle que j’avais envisagée. Je t’en prie, reste avec moi. Je t’aime.

    - Tu es obscène ! Veux-tu me priver de la seule personne qui m’aime plus que tout ? 

    Valentin lui conta alors les choses qu’il ne lui avait jamais dites mais, qu’il avait su deviner au fil de leurs conversations. Les douleurs de son adolescence. Le drame qu’il avait vécu avec son professeur de littérature. William était ému aux larmes en l’écoutant. Il eut confirmation que le jeune homme cachait bien des mystères et que l’ombre triste qui noyait parfois ses yeux clairs prenait sa source dans les sombres tourments de son passé.

    A la fin du récit, il prit Valentin dans ses bras lui réitérant son amour éternel.  Mais, il ne lui promit pas de répondre à sa requête. 

    Le jeune homme le quitta furieux et désespéré. Il erra ensuite longuement dans les rues de New York. Ce ne fut que tardivement qu’il regagna l’appartement de Tom. Il était prêt à tout lui dire espérant que ce dernier aurait un peu d’indulgence pour ses erreurs passées.

    Mais, lorsqu’il entra, il trouva son compagnon en grande conversation avec William. Il frémit. Mais Tom se leva et se dirigea vers lui tout sourire :

    - William est passé pour nous inviter à la réception qu’il organise à l’occasion de la sortie mondiale de son livre. Il voulait aussi tout m’expliquer en personne au sujet de certains passages de son roman.

    Valentin scruta l’écrivain avec anxiété et glissa ensuite son regard inquiet vers Tom :

    - Il m’a confirmé qu’il s’était bien inspiré de toi pour son roman mais, que tout n’était pas à prendre au pied de la lettre. Il m’a dit notamment qu’il avait fortement romancé la fin.

    Le jeune homme souffla intérieurement comprenant à quelle partie du roman Tom se référait. Il fixa de nouveau l’écrivain avec un sourire de reconnaissance. 

    Sous prétexte d’un autre rendez-vous, William les quitta peu après. Valentin le raccompagna jusqu’à la sortie et lui murmura un petit « merci » soulagé. Profitant de cette proximité avec le jeune homme, l’écrivain lui murmura un rapide « je t’aime » avant de l’embrasser sur la joue. Valentin croisa ensuite son regard brillant et déterminé. Visiblement, l’amoureux transi n’était pas prêt d’abandonner la partie. Il lui avait seulement laissé un peu de répit. Le jeune homme tremblait en imaginant le pire des scénarios. Avec quelqu’un comme William, il pouvait s’attendre à tout.