Julian

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    Quelques mois plus tard, lors d’une conférence à l’université de Columbia, Valentin eut des échanges animés avec plusieurs étudiants mais, l’un deux retint particulièrement son attention. C’était un beau jeune homme brun aux grands yeux bleus et à l’intelligence aussi aiguisée que sa langue. Ce dernier l’avait attendu après l’évènement. L’écrivain l’invita dans un café proche de l’université pour continuer la conversation entamée dans le couloir. 


    Là, le jeune homme confirma qu’il était très brillant et qu’il était aussi très cultivé. Il se nommait Julian. Il s’affichait poète et apprenti saltimbanque car, suivant des cours de comédie en parallèle de l’université. Valentin imagina que, comme lui, il avait dû baigner dès sa plus tendre enfance dans un milieu artistiques et intellectuel pour disposer d’une telle érudition et d’un tel esprit critique. L’étudiant connaissait notamment par cœur de nombreux passages de son premier roman. 


    Autant intrigué qu’attiré par ce très beau garçon, Valentin l’invita peu après à diner.  L’étudiant accepta en lui adressant un regard plein de sous-entendus.  Les deux hommes purent ainsi continuer leur conversation débridée dans un petit restaurant où l’écrivain avait ses  habitudes. Là, le jeune homme lui avoua qu’il n’était autre que le fils du peintre Thomas Pickett et de la poétesse lesbienne Léda.  


    Ainsi, il avait eu des nouvelles de son ancien complice de débauche. Le peintre avait rompu depuis cinq ans avec Miles. Après une période difficile, l’artiste vivait une nouvelle histoire avec un restaurateur du Village. 


    Le diner fut très animé entre les nombreuses anecdotes et mots d’esprits de l’un et de l’autre.  Cependant, alors que Valentin, totalement sous le charme, avait déroulé toutes ses tactiques habituelles pour amener le beau gosse jusqu’à son lit, ce dernier s’était dérobé sous prétexte d’un autre rendez-vous.


    Cette situation avait laissé le romancier déçu et frustré. Il commençait à douter de son pouvoir de séduction. C’était sans doute cette barbe de gourou qui le vieillissait. Il décida de la couper pour gagner dix ans mais, se ravisa aussitôt sous prétexte de sombrer à son tour sous les dictats de la jeunesse. De retour chez lui, il avait contacté Zach via Skype. Il lui conta par le menu sa rencontre du jour.  


    - Il a tout pour me faire morfler mais, je ne sais pas si j’ai autant envie de souffrir que ça.

    - Tu sais que la souffrance peut être constructive. Souviens-toi que William n’avait jamais été aussi bon que lorsqu’il avait souffert de t’avoir aimé sans retour. 

    - Oui, c’est bien ce qui me fait peur. J’ai l’impression qu’il va jouer avec moi comme je l’avais fait avec Will. Je connais déjà par cœur toutes ses ficelles. Et, cependant, même avec toute cette expérience, j’ai envie de me laisser embarquer pour des tas de raisons.

    - Eh bien vas-y. 

    - Ce soir, je me fais l’impression d’être un de ces vieux vampires millénaires qui veut aspirer l’esprit de l’époque d’un nouveau-né au monde la nuit.


    Le jeune vampire ne mit pas beaucoup de temps avant de reprendre contact avec son ainé. Cette fois Valentin l’avait invité chez lui espérant secrètement que dans l’intimité du lieu, le jeune homme tomberait plus facilement à sa merci. 


    Julian était arrivé tardivement après son cours de théâtre. L’antre de Valentin à Greenwich Village était un lieu chaleureux débordant de livres et d’œuvres d’art.  L’étudiant s’y sentit de suite à l’aise. Il s’affala de tout son long sur le canapé en cuir vieilli du salon puis, attrapa la bière que lui tendait l’écrivain. Ce dernier ne cachait pas sa joie de revoir le beau gosse même s’il en avait volontairement rabattu sur les tentatives de séduction. Le jeune homme fut un peu décontenancé par cette attitude inattendue  mais, il n’en fit rien paraître. 


    Alangui sur le divan, Julian lisait à haute voix des passages d’un ouvrage controversé et dirigeait par moment son regard bleu-vert terriblement provocant vers Valentin. Ce dernier le regardait à peine comme s’il avait peur de se brûler les yeux en fixant le soleil.  

    Ce soir-là, le jeune homme portait un tee-shirt blanc avec un col en V largement échancré qui laissait entrevoir la toison brune qui caressait son torse. Ses bras, musclés sans excès, étaient ornés de quelques rares et mystérieux tatouages.  A ses poignets pendaient et s’agitaient des bijoux ethniques. Il arborait une légère barbe sombre qui donnait du caractère à son visage parfait de statue antique. Ses cheveux châtain foncés bouclés étaient coupés courts dégageant son regard clair et perçant. De l’ensemble de son être émanait un sentiment de confiance en soi et de profonde force virile. Valentin se pinçait pour ne pas lui sauter dessus et arracher sauvagement tous ses vêtements. Nerveux, il se déplaçait fréquemment dans la pièce sous peine de succomber à ses irrépressibles pulsions. 


    Alors que la soirée était plus qu’avancée, les propos devinrent plus légers et intimes. Julian avoua qu’il n’avait pas de petit ami attitré mais, qu’il avait une vie plutôt agitée ce qui n’étonna pas son interlocuteur. Il quitta Valentin en lui promettant de revenir la semaine suivante.  


    Ce badinage dura quelques semaines encore. Valentin, certain de l’issue, était patient.   Il était persuadé que le jeune homme avait pour objectif de le faire languir au maximum. Il savait aussi que sa nouvelle tactique de séduction distillée par petites touches allait aussi finir par payer. Il attendait seulement que le jeune homme face le premier pas et tombe dans ses bras comme un fruit mûr chauffé à blanc par l’incandescence de son rayonnement intellectuel et physique. 


    Un soir, comme le romancier l’avait prévu, Julian n’y tenant plus passa à l’étape suivante. La nuit qui suivit fut fantastique  et Valentin en fut bouleversé bien plus qu’il ne l’aurait imaginé. 


    Le lendemain, l’étudiant joua le vieil habitué même s’il n’avait jamais connu une telle complicité charnelle. L’expérience de Valentin dans le domaine avait totalement comblé son jeune partenaire. Après cette nuit torride, les deux hommes ne se quittèrent plus ni en pensées, ni physiquement. 


    Valentin dut se rendre à l’évidence. Il était tombé éperdument amoureux pour la première fois. Il ne pensait pas qu’une telle chose pouvait lui arriver à lui. Pour la première fois de sa vie, la vie d’un autre avait plus de valeur que la sienne. 


    Julian même s’il s’en défendait avait lui aussi complètement craqué pour l’écrivain. C’était très violent de part et d’autre.  La passion était tellement forte qu’elle fit peur à l’entourage du jeune homme. Son père, notamment, qui connaissait fort bien Valentin s’inquiétait de l’état dans lequel il allait retrouver son fils lorsque l’écrivain se lasserait de lui. 


    Le peintre demanda un rendez-vous à Valentin. Cela faisait plus de dix ans que les deux hommes ne s’étaient pas vus. Thomas ressemblait maintenant à une version moderne de Léonard de Vinci. Son visage s’était creusé mais, il avait gardé ses yeux verts/bleus perçants qui lui rappelait Julian.


    - Val, mon fils n’est pas aussi fort que toi à ce jeu-là. Sous des dehors plutôt virils et sûr de lui, il est hyper sensible. J’ai très peur pour lui. 

    - Thomas, contrairement à ce que tu penses, j’aime ton fils. Et ne t’inquiète pas, il se lassera de moi bien avant que ce ne soit l’inverse.


    Thomas était un peu soulagé. Il jugea sincères les propos de Valentin. Mais,  il avait bien l’intention de rester vigilant tout en encourageant son fils à abandonner cette liaison qu’il considérait comme dangereuse à terme. 


    Cependant,  le jeune homme n’écouta pas son père et poursuivit sa relation passionnelle avec Valentin. 


    La lune de miel dura plusieurs mois mais, les choses commencèrent à se compliquer lorsque le jeune homme qui multipliaient les castings fut engagé pour une série télévisée à succès. La jalousie commença à s’insinuer dans le couple. Valentin débarquait à l’improviste sur le tournage, envoyait des dizaine de SMS chaque jour, laissait des messages plus ou moins hystériques à toute heure. Après quelques mois de ce régime insupportable, excédé, Julian avait fini par rompre.


    Valentin avait pris la nouvelle avec philosophie. Il avait décidé de laisser partir son jeune amant. Il ne voulait pas que les merveilleux souvenirs vécus ensemble ne se transforment au fil du temps en un cauchemar glauque. Par ailleurs, la passion dévorante qu’il avait connu  avait complètement annihilé sa créativité. Elle s’était comme brûlée vive pour alimenter le moteur qui faisait vivre cette passion. Il était temps pour lui que tout s’arrête et que les choses reprennent leur cours normal. Il avait tout fait pour que Julian le quitte. 


    Il souffrit néanmoins de cette rupture comme il l’avait prédit. Mais, après quelques mois de déprime, il reprit les chemins de l’écriture comme pour exorciser le mal qu’il s’était lui-même infligé. 


    Il produisit plusieurs mois plus tard un magnifique recueil de poésies en réalité augmentée qui marqua une fois de plus le monde l’art par sa beauté et sa modernité. C’était une ode à l’amour et à la beauté des hommes. Un objet connecté très sensuel qui réagissait au toucher et à la voix. La référence à sa violente passion pour Julian se dévoilait derrière chaque mot , chaque son, chaque image…


    Le jeune comédien, devenu entre-temps une vedette de l’écran, vint lui rendre visite peu de temps après la publication. Il avait été profondément ému par l’œuvre de Valentin. La dédicace en première page s’adressait directement à lui même si son nom n’était pas cité. C’était la dernière phrase qu’il lui avait prononcé avant de le quitter : « Je veux que tu sortes de ma tête sans en claquer la porte ». 


    Valentin songea que jeune homme était toujours aussi sublimement beau et sexy. Julian trouva pour sa part que Valentin était plus lumineux que dans ses souvenirs. En effet, l’écrivain avait rasé sa barbe de gourou et avait coupé court ses cheveux. Son magnifique visage angélique était marqué de quelques fins sillons creusés par la vie mais, il était toujours aussi parfait. Par ailleurs, il avait abandonné ses tenues bobo pour des vêtements de créateurs qu’il habitait de sa classe naturelle. C’était comme si après des épreuves, l’écrivain était redevenu lui-même sans masque, sans faux semblant. 


    Il ne fallut que quelques dizaines de minutes avant que les deux hommes, toujours aussi amoureux, ne retombent dans les bras l’un de l’autre. 


    Après une nouvelle merveilleuse nuit partagée ensemble, les deux anciens amants décidèrent de reprendre leur relation. Une relation apaisée cependant. Bien moins destructrice que la précédente.  

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