10. Cornedur (5/5)

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— Voilà, je devrais être suffisamment loin pour ne rien détruire de colère, cracha Cyn de vive voix.

Elle s'était enfoncée dans la forêt jusqu'à ne plus ni voir ni entendre quoi que ce soit appartenant à la communauté. Il lui avait suffit de suivre un sentier, puis de le quitter au profit d'un hors-piste déjà bien possédé par les attributs de l'automne.

Cynthia avait trouvé un régiment de marrons qu'elle s'était empressée de se faire griller en guise de dessert. Elle était partie sans prendre cette part-là du repas.

Plus jamais je laisserai cette pétasse me parler ainsi. Elle a tort. Je peux user de la magie sans raser tout un quartier.

Sa balade se clôtura quand une chose l'attira du coin de l'œil. Sur un arbre à l'écorce épaisse, un cercle l'observait. C'était en réalité une myriade de petits ronds les uns dans les autres gravés sur le tronc.

Cynthia supposa que c'était l'œuvre d'un artiste en herbe de la communauté.

Des dessins identiques ornaient l'arbre d'en face, puis celui d'après, et encore après. Les tracés formaient un chemin arboricole dont on ne voyait pas la fin, qui pourrait être le tronc juste avant.

Ça fait peut-être le tour de la zone.

Mais elle n'avait aucune envie de le savoir maintenant.

Son souhait était simple : Reproduire la volatilisation qu'elle a été tout à fait capable de faire.

Évitons de revenir en petits morceaux !

L'entraînement pris une bonne partie de l'après-midi et Cynthia testa absolument tout ce qui lui passa par la tête. Les feuilles aux teintes chaudes virevoltaient, portées par le flux de la jeune sorcière qui chauffait par l'effort. Cyn sentait que le but était aussi proche que loin de sa portée.

Aller, c'est pas si compliqué que ça !

Il lui sembla que le décor pâtissait de ses tentatives. Il fallut qu'elle stoppe sa pratique le temps de constater la carbonisation de branches basses et d'une poignée d'arbustes. Entretemps, le soleil quittait lentement son poste.

Bon... mieux vaut ne pas forcer. Ça a déjà fonctionné, alors il n'y a pas de raison que ça ne revienne plus.

Sur le retour, Cynthia frissonna en détectant une aura familière. Elle fit volte-face. Rien. Elle se retourna en direction de la communauté. Vehuiah était là, devant elle.

— Bonjour, Cynthia.

— Hello. Évite de me faire peur, ou je vais faire pleuvoir des arbres.

Qu'importaient les propos, l'ange ne devait disposer de la faculté ni de rire, ni de pleurer. Son visage restait figé dans une neutralité inébranlable. Pourtant, il savait moduler sa voix de façon à la rendre bienveillante, ce qu'il fit :

— J'ai vu que tu aidais spontanément les autres. C'est une très bonne initiative.

— On me considère déjà comme une destructrice. J'aimerais mieux qu'on ne me qualifie pas en prime de « parasite ».

Vehuiah hocha la tête.

— Il y a encore une certaine forme d'appréhension à ton égard, et je le regrette sincèrement.

— Merci, c'est gentil.

— Cependant, je crois que nous sommes sur la bonne voie. Ce n'est qu'une question de temps. Le temps peut tout arranger.

Il y a qu'un ange pour balancer ça...

— Si tu le dis... souffla-t-elle.

Ils poursuivirent ensembles sur un bout de sentier bordé de fougères.

— Tu n'as pas manifesté le besoin de partir, avança-t-il. Est-ce que tu te plais d'être parmi nous ?

— Je préfère être honnête, mais c'est que je ne sais pas trop où aller. J'ai visité toute la France, je pourrais passer à l'Europe, puis au monde, sauf que...

Elle hésita. Vehuiah patienta, le craquement de leurs pas en fond sonore.

— Je voudrais savoir une chose avant de me lancer.

Cynthia s'arrêta pour le confronter.

— Pourquoi avoir parlé des Huth, Vehuiah ? Qui suis-je pour que tu compares mon flux à ces ancêtres qu'on ne retrouve dans presque aucun livre ?

L'ange apprécia le chant des oiseaux le temps de quelques secondes.

— Ce rapprochement n'est pas anodin. Tu es une personne très puissante, Cynthia.

Pause.

— Les Huth étaient un peuple défiant. La sève du Tiaan Yora Ouadli leur a fait perdre la tête au point de les rendre dangereux, jusqu'à ce que le pire n'arrive. Ils réveillèrent le Nyiragongo, un volcan qui s'était endormi depuis le début de l'ère du Cénozoïque, et sa colère fut telle qu'il rasa la tribu avant que quiconque n'ait eut le temps de comprendre ce qu'il se passait. Les Huth périrent ainsi.

La sorcière l'écoutait lui, mais également ses propres songes.

Pas tous, selon la Brève Histoire de la Magie, et on en est là. Pourquoi ne développe-t-il pas ça ?

— La force des Huth a été reléguée au rang de légende, mais de nombreuses créatures obscures sont motivées à la faire revivre, poursuivit-il. Les chefs de file de ce mouvement ne sont autres que les démons, et certains sont convaincus que tu renfermes une part de ce pouvoir cataclysmique tant convoité.

Il posa les mains sur les épaules de la jeune fille, soudain surprise par le geste autant que par sa révélation.

— Je voyais juste, Cynthia. Tu n'es pas la destructrice que tu crois être. Les démons se trompent en supposant que tu leur seras un jour fidèle.

— Merci, euh... je ne sais pas trop quoi te répondre.

Vehuiah s'écarta d'elle. Pour la première fois, elle cru apercevoir un semblant de bonheur sur la face de l'ange.

— Tu dois avoir des choses de prévu, dit-il. Je ne te retiens pas plus longtemps.

Il s'adressa à elle pour la dernière fois.

— Ne te laisse pas manipuler par les critiques. Tu ne reflètes en rien ce que les autres pensent de toi.

Vehuiah parti en un battement de cils.

Cathy commence sa ronde par la chapelle, se répéta Cyn. Je vais partir par la ferme.

La sorcière avait très peu dormi cette nuit-là. Pourtant, elle était parcourue d'une incroyable énergie dès son réveil.

Le soleil ne se lèvera pas avant une bonne heure et Cynthia se sentait d'attaque à débuter la journée par des exercices de volatilisation. Les craintes de ses camarades encore fraîches dans son esprit, elle opta pour s'exercer dans les bois comme elle avait pu le faire la veille.

Évitons de croiser cette fichue renarde.

Pour ce faire, son flux se déploya afin de cerner les déplacements de la sentinelle. La fenêtre d'action déterminé, Cynthia se hâta de rejoindre les enclos où dormaient encore les bêtes, puis la forêt.

La jeune fille éclaira sa voie par une lueur gravitant autour de sa main. Elle aurait aimé retrouver ce coin spécifique qu'elle s'était appropriée pour son travail, mais dans la nuit, elle n'était sûre de rien.

Je crois qu'il y avait beaucoup plus de marrons par terre.

Elle porta son bras vers les arbres et reconnu les cercles qui ornaient leurs troncs.

Ah, je ne pense pas que ce soit le même dessin...

Toutefois, elle estima que ce spot correspondait à ses attentes. Cynthia commença aussitôt par quelques échauffements.

Elle n'avait pas encore entamé la manipulation que subitement, son instinct émit des soupçons. Cyn prit la peine d'écouter ce que ce dernier avait à lui dire : appliquer à ses sens une touche de magie.

Tout d'un coup, l'obscurité se fit moins dense. Sa peau n'était plus seulement caressée par le vent : elle ressentait les auras qui vivaient autour d'elle. Ses oreilles isolèrent les souffles des petits animaux assoupis ou nocturnes dans le périmètre de la sorcière, mais un en particulier retint son attention.

Plus gros. Très proche.

Cynthia remarqua la créature tandis qu'elle cantonnait ses efforts à sa discrétion. Elle enjamba une branche, puis une autre. Sur un tapis de mousse, l'animal endormit ne fut plus qu'à deux pas d'elle. Il inspirait et expirait aussi lentement que son sommeil devait être paisible.

Un... loup ?

Cathy-renarde n'avait qu'à bien se tenir. Le prédateur que Cynthia confrontait pouvait broyer d'un seul coup de mâchoire la tête de la métamorphe, et cela peu importait la forme de cette dernière.

Son pelage qu'elle devina sombre était constellé de gouttelettes de rosée. De temps à autre, il frémissait pour en chasser une fournée immédiatement remplacée par une autre. L'eau tombait sous ses pattes étendues, mais elle ne s'arrêtait pas là ; Les gouttes continuaient de rouler contre la gravité pour rejoindre les racines végétales environnantes, parfois à plusieurs mètres à la ronde.

La jeune sorcière s'était suffisamment émerveillée du spectacle quand son esprit tira la sonnette d'alarme.

Recule, Cynthia, mieux vaut ne pas le déranger...

Ses pieds heurtèrent une branche qu'elle s'était évertuée à éviter. Au craquement, le loup dressa les oreilles, les yeux soudains ouverts à la recherche de la source de son dérangement. Il se leva d'un bond tandis que Cyn cavala en arrière.

— Tout doux, je ne voulais pas t'embêter.

L'animal demeura stoïque face à elle, en panique et dans l'impossibilité d'interpréter les faibles grognements qui s'échappaient de sa gueule.

Pardonne-moi, Gabriel. Si je dois me servir de la magie pour me défendre, je le ferais.

Le loup inclina la tête. Il se résolut à avancer vers la jeune fille.

Cynthia ne parvint pas à réagir autrement qu'en tombant pour de bon à la renverse, la faute à ses jambes tricotantes. La dernière image de sa rencontre fut le prédateur s'élançant droit sur elle.

Sa tête cogna durement la dalle de pierre qui stoppa sa chute.

Aïe... il a fallut que je me prenne le seul caillou de la forêt...

Forêt qui s'était totalement évaporée de son champ de vision.

Si ses yeux restaient rivés sur un ciel aux étoiles peu visibles, sa périphérie détermina des structures humaines conséquentes. Cyn attendit que la douleur dans se crâne ne se dissipe assez pour tenter une relève hasardeuse.

Ce qui la perturba le plus était cette absence sous ses doigts d'herbe, de terre, ou quoique ce soit d'autre appartement au registre de la nature. Autant d'éléments remplacés par des briques, de la pierre, des sirènes lointaines, la Tour Eiffel.

La Tour Eiffel ? radota son bon-sens tandis qu'elle contemplait le monument illuminé dans la nuit. Comment ça, la Tour Eiffel ?

Cynthia tint enfin debout. Non, elle ne rêvait pas : la Dame de Fer était là, de l'autre côté du pont d'Iéna, et la sorcière la regardait depuis la place du Trocadéro. Ses yeux s'écarquillèrent de surprise.

— Ça... ça a marché ! s'écria-t-elle. Je suis à Paris ! À PARIS !

« Nous aussi » lancèrent des passants surpris par son état d'allégresse, mais Cynthia ne les écoutait même pas. Au lieu de cela, son flux l'impressionna de nouveau et l'emmena d'un claquement de ses doigts jusqu'aux pieds de la tour star de la capitale.

— J'y arrive ! Je maîtrise la volatilisation !

Sa joie était telle que Cyn ne put se résoudre à s'arrêter là. Elle cibla Londres, puis se prit à admirer le Parlement avec une expression béate dans la minute suivante.

— Direction Venise !

L'eau qui s'engouffra dans ses chaussures l'étonna d'abord ; la ville côtière avait encaissé une tempête dont le surplus n'avait pas encore rejoint la mer Adriatique.

Cynthia s'en moqua. Elle choisit sa prochaine destination sans vraiment réfléchir, et se retrouva à fouler les marches du Parthénon d'Athènes de ses baskets dégoulinantes.

Elle s'assit un moment. Les collines grecques, presque insaturées et troubles, révélèrent un souci de taille.

Ça y est. Je me fatigue... mais ça devrait le faire.

Cynthia abusa de son récent pouvoir pour admirer le lever de soleil illuminer le lac de Constance, mais elle ne vit qu'une bouillie de lumière par dessus un monde en noir et blanc.

Je devrais rentrer. Aller, une dernière.

Plus loin, cette fois. Bien plus loin. Quelque part entre le Japon et les Etats-Unis. Son esprit décida, mais Cyn fut incapable de distinguer son point d'arrivée, seulement de sentir le goudron sous ses pieds, des cris, et...

Un tsunami sensoriel déferla sur elle, abandonnée par ses yeux. Des klaxons, l'odeur de l'essence, des bousculades et une langue qu'elle ne cerna pas dans sa terreur.

Cynthia s'effondra sur un sol humide les larmes aux yeux.

— Aller, téléporte-toi, bon sang !

Le beuglement des passants portait plus haut que sa propre voix. Le stress l'avait envahie. Impossible de déployer le flux dans ces conditions. Si la jeune fille ne s'extirpait pas au plus vite de ce chaos, elle était certaine d'y rester jusqu'à ce qu'un sauveur ne l'en tire.

— Vehuiah ! S'il te plaît...

Seule la foule répondit par son brouhaha.

Cyn tâtonna le béton, manquant de se faire écraser les ongles par le peuple pressé. Elle trouva un poteau d'acier — lampadaire ? Panneau de signalisation ? — où s'accrocher quand une main effleura son épaule crispée.

— Need help ?

Ses mots à elle ne purent franchir ses lèvres, et cela malgré son sort de compréhension linguistique qui s'enclencha à peine.

— Tu vas bien ? répéta le rempart entre elle et le monde.

— Non, articula-t-elle. Je ne vois plus rien. J'ai...

Elle déglutit.

— S'il vous plaît, aidez-moi.

— Pas de souci.

La main s'enroula autour de la sienne. Elle était grande - un homme, certainement - et d'une incroyable froideur, mais également douce et délicate.

Ce fut sous une escorte prévenante que Cynthia s'échappa de l'agitation.

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