Insomnie

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Je n'arrive pas à dormir.

Je suis allongée sans bouger, le regard perdu à travers la fenêtre, dans la lumière tamisée du soir. J’ai toujours crains cette heure, où le monde semble suspendu entre le jour et la nuit. Ce soir, la frustration pèse sur moi, comme une enclume sur mon coeur brisé. Je n’arrive pas à trouver le sommeil et mon esprit se perd dans un labyrinthe d’émotions.

Lui, l’homme avec qui j’ai partagé tant de moments de complicité, et quelque-uns de sensualité, n’est plus mon amant. Pourtant, il dort à mes côtés dans ce grand lit. Il a tracé entre nous une ligne invisible. Cette limite est pour moi un mur de briques froid sur lequel je me cogne. Peu après que le sexe devienne un interdit, je lui ai confié ma difficulté de devoir considérer notre relation comme une amitié.

  • « C’est trop difficile », lui ai-je dit, mes mots se perdant dans l’air froid, à la terrasse d’un café.

Mais lui, il ne voulait rien d’autre qu’une amitié.

  • « Pourquoi une étiquette ? », m’avait-il dit lorsque nous étions amants.
  • « Restons amis », disait-il aujourd’hui,

comme si l’étiquette était devenue un rempart, comme si elle lui simplifiait la vie, comme si elle était une garantie contre la profondeur de mes sentiments. Il m’a dit qu’il comprenait ma souffrance mais voulait une relation "platonique". Pour moi, ces mots résonnaient comme une promesse inachevée, un espoir que je ne pouvais éteindre, un espoir qu'il n'éteignait d'ailleurs pas tout à fait, lui non plus, en me disant à la fois :

« La relation peut toujours évoluer » et « Je ne veux pas te donner de faux espoirs. ».

J’ai tenté plusieurs fois de prendre mes distances, mais je n'y arrive pas. Alors le désir me consume de l'intérieur.

Lors de nos premières vacances entre amis, j’avais réservé une chambre avec deux lits, pour éviter la frustration, pour me protéger de mon propre désir. Mais quoi que je fasse, il y a toujours des moments où je le désire, du plus profond de mon âme. Au détour d'une conversation, lors d'un regard ou dans un moment de tendresse.

Pour autant, je ne peux renoncer à ce qui éveille mon désir. Je ressens un besoin de douceur qu’il comble chaque fois qu’il me sert dans ses bras, un besoin de tendresse, de chaleur, de proximité que seul lui apaise. Il n’y a pas d’engagement derrière ces moments. Pour lui, ces gestes ne signifient rien d’autre qu’une forme de réconfort partagé. Pour moi, chacun de ses gestes a un poids et chacun des miens est une façon de dire « Je t'aime. ». Ces moments ne sont pourtant qu'une illusion, un lien fragile qui me maintient attachée à un rêve de complicité amoureuse qui n'existera jamais.

De son côté, il semble en paix, ou du moins, c’est ce qu’il laisse paraître. Il n’a pas les mêmes attentes. Pour lui, ces câlins, ces gestes tendres, sont simplement le reflet de notre amitié, de la complicité qu’il apprécie sans vouloir qu’elle devienne un fardeau pour lui, une obligation. Je comprends ses peurs, mais je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi il accepte ces moments intimes alors qu’il n’est pas prêt à laisser notre relation évoluer vers plus d’intimité. Pourquoi offrir de la tendresse, de l’affection, tout en me faisant comprendre qu’il n’y a pas de place pour autre chose ?

Peut-être qu´il n’est pas capable de s’engager officiellement dans une relation, d'accepter de répondre consciemment aux attentes d’une partenaire alors qu'il est capable de les combler naturellement quand il n'y est pas obligé. Je savais qu’il avait peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur, de perdre cette amitié, cette proximité et que ne pas s’engager était une façon pour lui de ne pas décevoir. Ses gestes tendres étaient peut-être aussi sa manière de maintenir un équilibre fragile, de me donner une sorte de compensation pour l'effort qu’il savait mien, de répondre à une partie de mes besoins pour ne pas me perdre, tout en me maintenant à distance, sans jamais se confronter à ses propres peurs.

Et moi ? Je me retrouve coincée dans cet entre-deux. Je ne peux pas renoncer à ces moments de proximité, à cette tendresse qu’il m'offre, même si je sais qu’ils ne sont qu’un réconfort temporaire. J'attends ses gestes, je les apprécie, m’en délecte même. J’espére parfois qu'ils deviendront le point de bascule. Je m’accroche à l’illusion d’une relation qui pourrait se transformer, de cette tendresse qui pourrait évoluer en quelque chose de plus intime. Mais chaque nuit passée près de lui me rapproche un peu plus de la réalité que je redoute : il ne veut pas de cette relation que j'aimerais, il ne veux pas de sensualité, pas d’érotisme, pas de sexe.

Alors je reste là, dans ce grand lit, à réfléchir au rythme de son souffle. Lui dort paisiblement pendant que moi, je me torture l’esprit. Les ambiguïtés s’accumulent, comme des couches successives de sentiments non exprimés. Les balades, les week-ends, les vacances, les discussions profondes, les tentatives de mieux se comprendre, de mieux communiquer. Notre relation est plus profonde et plus authentique que la plupart des relations amoureuses. Même si les discussions sont souvent à mon initiative, il ne les évite pas et semble heureux de ces moments de partage. Il ne voit pas que nos échanges frôlent parfois la thérapie de couple. Je me demande s’il est conscient de cette ambiguïté et la fait sciemment perdurer ou s'il est dans le déni et se contente de l’instant présent, sans se poser de questions. Ces moments sont-ils simplement une manière de me garder près de lui sans avoir à assumer ce qu'ils signifient pour moi ?

La nuit, dans l’obscurité de ce lit partagé, je me demande si j'arriverai un jour à m’éloigner. Pour l’instant, je reste là, dans l’attente, cherchant un signe, une parole, un geste me montrant que ce je vis a un sens.

J’espére qu’un jour il me regarde autrement. En attendant, je me contente de ce qu’il m'offre.

Je n'arrive pas à dormir.

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