Chapitre 1 : Sur le Départ

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Tête baissée, mains tremblantes, cela fait maintenant un bon quart d’heure que je subis les foudres de mon cadre. En un mois, je ne l’avais jamais vu aussi remonté qu’à cet instant précis.

Moi qui ai choisie de jouer la carte de l’honnêteté en lui annonçant mon départ avant qu’il ne l’apprenne pas par le DRH, et bien il faut croire que l’annonce n’est pas aussi bien passée que je l’aurais souhaité. Finalement, j’aurais peut-être mieux fait de laisser cette besogne à notre supérieur.

— Un mois, Roxane, ça ne fait qu’un mois et demi que tu es avec nous ! Comment peux-tu prétendre avoir tout vu ?

Depuis mon entrée dans le bureau, c’est bien la première fois qu’il m’interpelle. Jusque-là, il se contentait de parler, et moi je hochais simplement la tête de haut en bas pour ne pas le contredire davantage.

Je réponds nerveusement en me triturant les ongles :

— Loin de moi cette idée, Lucas. Je ne pars pas parce que je pense avoir fait le tour de ce qu’il y a à voir ici, je pars car je n’y ai pas ma place.

— Mais bien sûr que si tu as ta place ici, Roxane, s’agace-t-il en roulant des yeux. Il n’y a qu’à voir les enfants, ils t’adorent. Et puis, tu as vite trouvé tes marques. Sans compter que tu as fait du bon boulot sur le dossier de Dimitri.

Bien que je sache tout cela, le fait que mon cadre tourne autour de l’essentiel du problème commence à fortement m’exaspérer.

— Ne fais pas semblant de ne pas comprendre. Tu sais pertinemment qu’il ne s’agit pas des enfants.

Je vois un éclair de lucidité passer dans les yeux de mon cadre.

— C’est à cause du docteur Echurti ?

— Pas seulement, acquiescé-je à demi-mot. Arrêtons de tourner autour du pot et parlons du vrai problème, hein ? Je veux bien sûr parler de Marina. Personne ne restera dans ce service, tant qu’elle sera là.

Fini la jeune femme qui semblait apeurée il y a encore quelques secondes. Dès qu’il s’agit de Marina, je retrouve instantanément ma prestance naturelle. C’est fou l’effet épidermique qu’elle provoque chez moi. Bien évidemment, mon comportement ne laisse pas mon cadre indifférent. Le corps raidit par la colère, il se lève de son fauteuil, l’air furieux.

— Ecoute, Roxane, je n’ai pas pour habitude de m’énerver mais vos gamineries de cours de maternelle commencent sérieusement à me chauffer les écoutilles. Tu veux partir dans deux mois, très bien ! Alors écoute-moi attentivement ! Soit, tu fournis un effort avec Marina, et je n’entends pas parler de vous deux ces prochains mois, soit je vais être obligé de remonter à la hiérarchie ta relation avec notre interne.

« Mais c’est du chantage » s’insurge ma conscience. « Il a fumé quoi Ruminier pour être aussi désagréable ? ».

Je n'en fais pas cas et réplique :

— Mais…

— Il n’y a pas de mais, Roxane ! Tu veux une meilleure ambiance dans le service ? Moi aussi. Alors mets-y du tien. Et ne t’en fais pas, Marina aura le droit au même discours.

Je me ravise d’ajouter quoi que ce soit et sort sans demander mon reste. Autant dire que ce petit face à face m’a mise en jambe pour la suite de la journée.

Depuis ma révélation de la semaine dernière, lors de la réunion d’équipe, mes relations avec mes collègues ne se sont guère améliorées. Tous se contentent de me donner les informations primordiales pour le bien-être des enfants et c’est tout. Mes journées ressemblent à une lutte permanente de survie en plein désert.

— Bonjour, dis-je, nonchalamment, en entrant dans le bureau soignant.

Bien que ce mot très simple soit adressé à l’ensemble de mon équipe, personne ne daigne me répondre. Chacun vaque à ses occupations, c’est pourquoi je décide de prendre place sur la dernière chaise libre qu’il reste.

Au bout de dix minutes, je commence à trouver le temps long et à m’impatienter. J’observe les différents petits groupes qui discutent autour de moi. D’un côté, nous retrouvons Paul et Marina qui rient aux éclats, de l’autre Leya, Astrid et Elodie qui parlent de chats et enfin, Eugène, Vanina, Eva et Brahim qui semblent être en désaccord sur la façon de faire cuire des oeufs au plat. Je ne vois pas en quoi il y a débat, mais je dois admettre que je ne cuisine pas souvent.

Agacée d’attendre indéfiniment que l’on me fasse des transmissions, je sors mon portable et commence à surfer sur Facebook. Je fais défiler les publications puis une photo retient mon intention. On y voit une femme positionnée dos à la caméra, chevelure au vent. Elle se tient à la rambarde d’un pont et fait face au fleuve Parisien qui s’étend à perte de vue sur le cliché. Le tout recouvert d’un filtre noir et blanc.

Pas besoin d’un visage pour reconnaître Tanya. Sa longue crinière parle pour elle.

En guise de légende, une citation de sa propre création : « Seule, face à l’immensité qu’offre ce monde, j’apprends à marcher sans toi… #R ».

Je m’amuserais presque à croire que ce message m’est adressé.

— Tu vas bien Roxane ?

Je relève la tête de mon téléphone, et constate que mon collègue métis s’est installé à ma droite.

— On fait aller, et toi Brahim tes vacances se sont bien passées ?

— Comme à chaque fois, c’est toujours trop court, plaisante-t-il.

Sans que je ne comprenne pourquoi, il se redresse, approche sa chaise et plante ses yeux azur dans les miens.

— J’ai cru comprendre que ces dernières semaines ont été compliquées pour toi, Roxane. Ne t’en fait pas, on ne reste jamais la dernière arrivée bien longtemps.

D’un mouvement doux, il pose sa main sur mon avant-bras. Bien que je ne sois pas du genre tactile, ce contact amical me fait un bien fou.

— Je te remercie, Brahim, seulement, je préfère te l’annoncer moi-même, je vais changer de service.

Un léger sourire s’étire sur son visage alors que ses yeux s’emplissent d’une pointe de tristesse.

— Je suppose que notre très chère collègue dont le prénom commence par un « M » n’y est pas pour rien ?

Je lève les yeux vers la dragonne en question pour vérifier qu’elle est toujours plongée dans sa discussion et valide d’un mouvement de tête.

— Tu ne seras pas la première qu’elle fait fuir, s’exaspère-t-il, le scénario se répète à chaque nouvelle arrivée.

— C’est une chose d’en être conscient, c’en est une autre de faire en sorte que cela change, répliqué-je amèrement. Pour beaucoup, vous êtes là, à vous plaindre de son comportement, mais personne ne fait rien. Seule Leya a osé se confronter à elle pour me défendre un minimum. Vous vous terrez dans un mutisme qui lui donne les pleins pouvoirs.

— Bon, Roxane, tu es prête à bosser ou tu veux un petit thé ?

La voix désagréable de ma collègue vient interrompre notre conversation. Tous les regards sont tournés vers Brahim et moi, comme on pourrait regarder les élèves dissipés d’une classe.

— Oh ça va, Marina, temporise Brahim, tu ne vas pas en faire tout un plat alors qu’il y a encore trois minutes tu parlais avec Paul de son dernier mec en date.

Elle va pour répliquer, mais Robin entre au même moment dans la salle. La vision de notre jeune interne me met instantanément mal à l’aise. Nous ne nous sommes pas vus depuis notre rupture de vendredi.

« Enfin, peut-on parler de rupture quand il n’y avait que de l’illusion entre vous ? », questionne ma conscience, passablement irritée par l’entrée du beau brun.

— Les transmissions sont terminées ? demande-t-il innocemment.

— Elles n’ont même pas commencé, l’informe Elise.

— Et bien qu’attendez-vous, s’impatiente-t-il, on n’est pas ici pour enfiler des perles.

Marina et Elise s’activent illico presto et, en moins d’un quart d’heure, nous avons fait le tour des enfants et des informations principales.

Un dernier regard d’encouragement de Brahim dans ma direction, et voilà que toute l’équipe du matin nous fausse compagnie. Robin, qui n’a pas levé les yeux sur moi de toutes les transmissions, les suit.

Je m’apprête à aller vaquer à mes occupations, quand Leya me retient par le bras.

— Attend, Roxane, m’interpelle-t-elle doucement, on peut discuter ?

En guise de réponse, je retourne m’asseoir sur ma chaise. Vanina, Astrid et Eugène sortent de la pièce pour aller s’occuper des enfants.

— Je voulais m’excuser pour mon comportement de ses derniers jours, annonce-t-elle doucement, une fois que nous ne sommes plus que toutes les deux. Je t’ai jugée au lieu d’essayer de te comprendre et j’en suis vraiment navrée. Seulement, je pensais que l’on devenait amies, et le fait que tu m’aies menti droit dans les yeux concernant ta relation avec Robin, alors que j’étais prête à t’épauler, ça m’a fait vriller. Pardonne-moi.

Un soupir de soulagement incontrôlé sort de ma poitrine et je sens mes épaules s’affaisser d’un coup. C’est comme si jusque-là je portais un lourd fardeau dont je viens enfin de me débarrasser. Finalement, des larmes se mettent à perler aux coins de mes yeux et un sanglot m’échappe.

— Oh non ma belle, ne pleure pas, me console ma collègue en me prenant dans ses bras.

— La fatigue, les tensions, les mensonges, les cris… c’est tellement dur de faire semblant d’être forte quand on veut juste tout envoyer promener, dis-je en reniflant au creux de son cou. J’ai vraiment hâte que tout ça se termine pour ne plus avoir à faire semblant d’être qui je ne suis pas.

— On ne te demande pas d’être quelqu’un d’autre, Roxane, m’informe la jolie brune d’une voix douce, tout en me tendant un mouchoir. Au contraire, j’aime la Roxane au fort caractère et ambitieuse.

— Ah oui ? Alors pourquoi personne n’accepte que ma place ne soit pas dans ce service. Pourquoi tout le monde me juge simplement parce que j’ai des envies différentes des vôtres ? Et pourquoi dois-je faire carpette face à Marina alors qu’elle passe son temps à me dévaloriser ?

— On a été trop dure avec toi, conclut finalement ma collègue. Il y a eu tellement de va-et-vient qu’on a espéré que cette fois on aurait enfin LA collègue qui resterait. Concernant Marina, on ne t’a jamais demandé de faire carpette, au contraire, ça me plait de ne plus être la seule à la remettre à sa place.

— Alors sache que Ruminier n’est pas de ton avis, l’informé-je amèrement. Pas plus tard que tout à l’heure, il m’a clairement dit que soit je temporise les tensions avec notre collègue, soit il rapporte ma relation avec Robin à la hiérarchie. Et, au vu de la personnalité de notre chère Marina, on sait pertinemment que temporiser revient à se laisser marcher dessus, car elle n’est pas du genre à mettre de l’eau dans son vin.

— Je sais bien, admet-elle défaitiste. Je suis désolée que Lucas se serve de votre histoire avec Robin pour apaiser les tensions dans l’équipe. Je te promets de faire le nécessaire pour t’épauler.

Son regard bienveillant m’apporte le réconfort qui me manquait ces derniers temps. Une lueur d’espoir germe dans mon esprit, espérant que ces prochaines semaines seront peut-être moins terribles que ce que je m’imaginais.

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