Chapitre 3 : place à la réconciliation

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Quand je rentre chez moi, je suis lessivée.

L’ambiance troisième guerre mondiale du goûter s’est poursuivie jusqu’au coucher des enfants. Une fois Orphé, Dimitri et Kimberly calmés, ce sont les autres qui ont pris le relais. Nous avons dû faire face à une bataille constante, jusqu’à notre départ du service à vingt-et-une heure quinze.

Je m'affale sur mon lit. Toute motivation m’a quittée. Je n’ai ni l’envie de manger, ni le courage de me doucher. J’aimerais simplement fermer les yeux et rayer cette journée de mon calendrier. Une de moins à faire avant le grand départ !

—Plus que sept semaines, me dis-je à voix haute, en fixant mon plafond.

C’est incroyable comme ce premier mois est passé plus vite que je ne l’aurais pensé. Le temps de m’acclimater aux enfants, aux collègues et aux humeurs de chacun, me voilà à moins deux mois de mon départ.

Une chose est sûre, ce sont les enfants qui vont le plus me manquer. Dans un autre temps, avec une autre équipe, je serais peut-être restée. C’est fou comme leurs histoires sont touchantes et comme on a envie de les protéger une fois qu’on les connait un peu plus. Chacun à leurs manières, ils m’ont fait relativiser la vision que j’ai de ma vie. Je peux m’estimer chanceuse d’en être là aujourd’hui et d’avoir la possibilité de les accompagner vers quelque chose de mieux, le temps de ces quelques semaines qu’il me reste. Je me secoue et m'active ;

— Allez Roxane ! Arrête le sentimentalisme et va manger.

Dans la cuisine, la table est dressée et mon assiette, fumante, m’attends sagement. Comment Florence fait elle pour toujours savoir exactement quand je vais me décider à venir manger ? Elle a un don ? Des caméras cachées ?

J’interromps mon questionnement au moment même où la première fourchette de pâtes carbonara atterrit dans ma bouche.

— Huuuummm

Je savoure tout en fermant les yeux. C’est depuis toujours mon plat favori et ce n’est pas près de changer. De surcroît, Florence est un vrai cordon bleu et les fait à merveille.

Alors que je m’empiffre disgracieusement de ma plâtrée de pâtes, elle apparaît dans la cuisine. Je suis surprise de constater qu'elle est encore ici.

— Il est tard, Florence, je vous pensais partie depuis longtemps.

Elle s’approche doucement dans ma direction.

— Je voulais juste être certaine que vous viendriez manger. Vous n’avez pas l’air bien ces derniers temps, mademoiselle. Vous semblez si triste.

Que ferais-je sans la bienveillance de cette femme ? Je me lève et prends ses mains.

— Je suis grande, maintenant, la rassuré-je en posant mes yeux dans les siens. Votre soutien me touche, mais votre fils en a encore plus besoin que moi. Rentrez chez vous, faites-lui un gros câlin pour moi et on se voit demain. D’accord ?

Elle hoche la tête, me souhaite une bonne soirée et disparaît dans l’entrée. Au même moment, mon portable vibre : Tanya.

Depuis cette fameuse soirée, ce fameux bisou, nous n’avons toujours pas repris contact. Pourtant ce n’est pas le nombre de messages ou d’appels de sa part qui manquent. Je ne me sentais pas prête à l'affronter, jusqu’à aujourd’hui.

— Ah Roxane, enfin tu me réponds. Ça fait des semaines que je cherche à te joindre…

Je replique du Tac au Tac :

— Et à aucun moment tu ne t’es dit que c’est simplement parce que je ne veux pas te parler ?

— Oh Roxy, on ne va pas s’embrouiller pour si peu…

En deux interventions, elle a réduit ma patience à zéro.

— Pour commencer, je t’ai déjà demandé de ne plus m’appeler Roxy. Puis la prochaine fois réfléchis aux conséquences avant de passer à l’acte.

Je raccroche sans même annoncer la couleur. Tanya dans toute sa splendeur : incapable de se remettre en question. Si tout ne tourne pas autour d’elle, rien ne va ! Seulement, en ce moment, je n’ai pas à cœur de gonfler son égo.

Á peine deux secondes plus tard, mon téléphone vibre de nouveau. Tanya revient à la charge.

— Arrête de m’…

— Je suis désolée, Roxane, me coupe-t-elle la voix tremblante. J’ai été la pire des amies avec toi, je m’en rends compte. Je suis tellement désolée pour le mal que j’ai pu te faire. Mais tu me manques. Ma meilleure amie me manque. Celle avec qui j’ai passé trois ans de galères. Roxane, je t’en prie, ne raccroche pas une nouvelle fois.

J’ai beau avoir beaucoup de rancune contre mon amie, entendre sa voix se briser de la sorte me fend le cœur.

— N’en parlons plus, tu veux bien ? Finis-je par concéder.

« Tu pardonnes bien trop vite » me sermonne ma conscience.

C’est certain, j’en ai conscience. Mais je ne peux continuer à accumuler les casseroles derrière moi. C’est bien trop lourd à porter. J’ai besoin de me libérer des rancunes pour avancer.

— Parfait, réplique-t-elle aussi sec, beaucoup plus enjouée. Tu es la meilleure.

— De toute façon ça n’a plus d’importance, puisqu’il ne se passera plus rien avec Robin et je pars pour Bordeaux dans un mois et demi.

— Pardon ?

Elle a crié tellement que fort le téléphone m’a échappé des mains, pour venir se fracasser sur le sol. Le temps que j’inspecte les éventuels dégâts, elle poursuit.

— Roxane Elena Touerya, qu’est-ce que c’est que cette histoire de déménagement ?

C’est bien rare que l’on m’appelle par mon nom complet. Même quand mon père est extrêmement fâché, il ne prend pas la peine de me citer complètement.

— J’ai reçu une offre la semaine dernière pour un poste aux urgences du CHU de Bordeaux.

— Mais…Mais, pourquoi si loin ?

— Oh ça va ce n’est pas le bout du monde non plus ! Ce sont les seuls à m’avoir contactés, une offre pareille ne se refuse pas.

— Il y avait sûrement d’autres options, s’offusque-t-elle. Regarde, un poste se libère dans mon service. Tu ne veux pas devenir ma super collègue-copine ? Je suis sûre que ma mère appuiera ta candidature, elle t’adore !

C’est sûr que c’est une offre alléchante qui m’éviterait d’avoir à tout quitter mais ma décision est prise.

— C’est gentil, Tanya, mais je me suis faite à l’idée de partir et je pense que c’est ce qu’il y a de mieux à faire. J’ai besoin de mettre de la distance entre moi et certaines personnes. Si je devais rester, ce ne serait qu’une boucle infernale sans issue.

— Si ton choix est fait, alors je vais avoir le droit de dragouiller monsieur l’interne beau-gosse ?

J’entends bien à sa voix qu’elle plaisante, mais ce n’est pas forcément un sujet sur lequel je souhaite m’étendre.

— Fais ce que tu veux ! De toute façon, vu la façon dont il s’est joué de mes sentiments, il est maintenant clair qu’il ne se passera plus rien entre nous.

— Comment ça ?

Bien que je ne souhaite pas forcément revenir sur le sujet, je ne peux m’empêcher de le faire. Les mots sortent plus vites de ma bouche que je n’ai le temps de réfléchir.

— J’y ai cru, Tanya, je te le jure. J’ai réellement pensé qu’il était différent des autres, et ce malgré toutes les mises en garde que l’on m’a faites. Finalement, il m’a laissé plonger, et m’accrocher avant de me faire comprendre que lui et moi, on n’est pas sur la même longueur d’onde.

— Je ne sais pas ce qu’il a bien pu te faire pour que tu sois aussi défaitiste, mais je sais ce que j’ai vu à la soirée et crois-moi on est bien loin du cliché de l’interne qui cherche un plan cul.

— Ouais c’est bien pour ça que vos bouches ont fini en collision ! rétorqué-je sans même réfléchir.

Un long moment de silence s’installe après ma réaction à vif. Bien que je n’aie pas mon amie en visuel, je devine son embarras.

— Roxane, à cette soirée j’ai complètement merdé. Je ne me cherche pas d’excuses, loin de là, mais dans mon service ça n’allait pas et j’avais besoin de me changer les idées. Dès que tu as dit interne et beau gosse, j’ai tout de suite imaginé qu’il serait exactement comme les autres, une proie facile. Alors j’ai jeté mon dévolu sur l’homme qui te plaisait pensant que cela t’ouvrirait les yeux sur sa vraie personnalité et, qu’en contrepartie, je passerais un peu de bon temps. Mais sache que la seule raison pour laquelle il a cédé, c’est parce que nous étions tous complètement éméchés et que je n’ai eu de cesse de lui rabâcher qu’il ne te plaisait pas. En tout cas crois-moi, il est bien plus accroché que tu ne le crois, où qu’il ne veut bien te le dire. Ce soir-là, il ne t’a pas quittée du regard, puis il n’a cessé de revenir vers toi après.

Après cette longue plaidoirie de la part de mon amie, je suis complètement bouleversée. Non pas concernant mon avis sur le beau brun, mais plutôt d’avoir enfin le fin mot de cette soirée qui a été un vrai fiasco. Mon cœur se serre et il me faut une longue inspiration pour ne pas laisser mes émotions déborder.

— Je pense qu’il a cherché à se persuader qu’il voulait quelque chose de sérieux mais que je n’étais simplement pas la bonne.

— Roxane, hurle ma meilleure amie. Des paroles peuvent tromper mais pas un regard ! Et celui qu’il posait sur toi lors de la soirée, ce n’était pas celui d’un mec en chaleur. Je te promets, on rêve toutes qu’un homme nous regarde comme il le faisait avec toi. Avec tendresse, bienveillance, désir…bref fais ta tête de mule si cela te chantes, mais ton discours ne fais qu'écarter, le problème pas le régler.

J’acquiesce, plus pour lui faire plaisir que par réelle conviction et surtout pour mettre un terme à cette conversation qui me brouille le cerveau. Il y a deux minutes, j’étais persuadée que mon choix de partir était le bon. C’était il y a deux minutes.

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