Chapitre 6 : La déclaration

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J’entre, telle une furie, dans le bureau médical, sans prendre la peine de vérifier qui est à l’intérieur.

— Tu as réellement décidé de me pourrir la vie ? hurlé-je sans ménagement. Qu’est-ce qu’il t’a pris d’aller tout raconter au DRH ? Tu veux briser ma maigre carrière, c’est ça ?

Je suis à bout de souffle. Ce petit sprint entre le bâtiment de la direction et mon service y est sûrement pour quelque chose, mais la colère qui m’anime est bien plus forte.

Alors que je reprends ma respiration, je constate avec soulagement que Robin est seul dans la pièce. Il est tranquillement installé face à son ordinateur et n’a pas bougé d'un pouce pendant ma petite scène.

— Tout ne tourne pas toujours autour de toi, Roxane, répond-il, très calmement, les yeux rivés sur son PC. Maintenant, si tu as fini ton monologue inintéressant, j’ai du boulot et je crois savoir que tu es attendue aux transmissions.

Son ton condescendent ne fait qu’accroître l’irritabilité que je lui porte à ce moment précis.

— Tu n’es qu’un sale connard ! m’emporté-je violemment. Et dire qu’il va falloir que je te supporte encore plus d’un mois. Car oui, tu as beau être allé te plaindre chez papa le directeur, ta demande a été rejetée ! Sur ce, à jamais !

Je sors en claquant la porte, oubliant complètement le lieu où je me trouve. Je me précipite dans les vestiaires pour me mettre en tenue, avant d’aller rejoindre les collègues. En sortant de la petite pièce sombre, je constate que Robin m’attend sur le palier, bras croisés, posture rigide. Avant que je n’ai le temps de faire quoi que ce soit, il se positionne fermement devant moi et me contraint à faire marche arrière. Nous voici à présent nez à nez, entre deux casiers.

Ses iris sont sombres, ses traits de visage sont déformés, tout en lui n’est que colère. Le voir dans un tel état me glace le sang. Il donne l’impression qu’il pourrait perdre le contrôle à tout moment. Je recule de quelques pas, espérant mettre le maximum de distance entre nous, mais je me heurte à la porte du vestiaire de Leya. Il comble la distance et tape violement sa main à quelques centimètres de ma tête, provocant un bruit métallique qui se met à résonner dans mon oreille gauche.

— Ne m’insulte plus jamais ! s’emporte-t-il d’un ton sec et agressif. Tes plaintes quotidiennes commencent sérieusement à me taper sur le système. J’en ai plus qu’assez d’être celui sur qui tu passes tes nerfs constamment et sur qui tu rejettes la faute de tout ce qui ne tourne pas rond dans ta vie. Alors maintenant, c’est toi qui va écouter tout ce que j’ai à dire !

Je ne l’ai jamais vu ainsi, aussi ferme et déterminé.

— Je…

Je me risque à le couper, mais il pose un doigt sur ma bouche pour me faire taire. Cette facette de « je joue les dominants » m’exaspère. Je sers les poings, pour m’éviter d’exploser et ainsi donner de l’ampleur au conflit qui se joue, et le laisse poursuivre.

— Tout ce qu’il s’est passé entre nous, tu l’as voulu tout autant que moi, il me semble, non ? En tout cas, à aucun moment je ne t’ai forcé ou mis un couteau sous la gorge pour que tu ne me cèdes. Alors arrête de faire de moi le grand méchant loup qui court inlassablement après le petit chaperon rouge. Tu parles, tu parles, mais à quel moment m’as-tu réellement écouté ? Tu es partie du principe que je ne t’aimais pas, que je me fichais de tes sentiments et que jamais rien ne serait possible entre nous car de toute façon je ne suis qu’un enfoiré qui joue avec les femmes. Tu t’es bourré le crâne avec tout un tas d’idées complètement erronées, incapable d’envisager que quelqu’un puisse tenir réellement à toi. De toute façon, aucune communication n’est possible avec toi car tu as très souvent tendance à penser à la place des autres. Enfin, c’est toi qui n’a cessé de venir vers moi pour mieux me repousser à chaque fois. Un jour oui, l’autre non, je n’arrive plus à suivre la tempête Roxane, qui change d’avis comme je change de boxer.

Mes poings se relâchent, alors que je prends pleinement conscience de ses mots. Mon cœur se sert. Il a raison, c’est évident ! Depuis que je l’ai rencontré, je n’ai eu de cesse de souffler le chaud et le froid, sans même m’attarder sur ses ressentiments. Il est vrai que je suis la reine des bornées et que j’ai une fâcheuse tendance à tout vouloir contrôler pour, finalement, tout saboter. Je le sais, j’en suis consciente, mais, bien que ce ne soit qu’une nouvelle excuse que je me trouve, il est difficile d’apprendre à aimer quand on s’est construite avec le décès d’une mère et les absences répétées d’un père. Alors, bien sûr, cela ne me donne pas raison, mais comment croire en l’amour quand vous avez vu votre père perdre la seule femme qu’il n’ait jamais aimé ?

— Depuis le début, tu avais décidé de mettre en échec cette relation, poursuit-il de plus belle. Toutes les raisons y sont passées : on est collègue, il ne faut pas que ça se sache, mon père est contre, tu as embrassé Tanya… et j’en passe. J’ai tenté de te comprendre, j’ai essayé de me mettre à ta place, mais j’arrive au bout de ce que je suis en mesure de supporter. J’ai subi, plus que de raison, car je me suis réellement attaché à toi.

Le temps d’un court instant, il se perd dans ses pensées. Son regard se radoucit et un sourire discret vient se dessiner sur son visage. Qu’il est beau ! Le temps semble comme suspendu. Je plonge mes yeux dans les siens et un frisson me parcourt le corps. Cette sensation même que je combats depuis notre première rencontre, me remémore tout ce que l’on a vécu. Car oui, même en si peu de temps, on a eu le droit à de vraies montagnes russes. Il revient à lui, me ramenant également à l’instant présent.

— Et finalement, je suis tombé amoureux, lâche-t-il, dans un murmure de confession. De ton sourire qui me transporte, de tes yeux si expressifs et, même, de ton caractère de cochon, qui a le don de me mettre hors de moi mais qui me défie à chaque instant car il m’oblige à être la meilleure version de moi-même. Depuis que l’on s’est rencontrés pour la première fois dans ce bureau miteux, je n’ai cessé de penser à toi. Alors oui, je me suis souvent imposé lourdement dans ta vie, mais merde Roxane, que faut-il que je fasse pour que tu te rendes compte que je t’appartiens ?

Mon cœur s’emballe, toute colère m’a définitivement quittée. Est-ce qu’il vient vraiment de me faire sa déclaration ?

— J’aime tout de toi. Tu es la seule femme au monde à avoir réussi à me mettre dans des états émotionnels aussi divers qu’invraisemblables. Je peux passer en une fraction de seconde d’un état de légèreté suprême à cette envie de tout casser. Et pourtant, je ne peux m’empêcher d’espérer qu’un jour je trouverais grâce à tes yeux car avant de te rencontrer, aucune femme n’a égalé les sentiments que tu as fait naître en moi. Ce doit être ça l’amour ! Accepter que la personne qui fasse naitre le pire de ce qu’il y a en nous, soit aussi celle qui nous rend meilleur.

Sa main passe du casier à ma joue, provoquant une douce chaleur contre ma peau. D’un mouvement de tête j’appuie ma tête contre sa paume pour amplifier les sensations. Mes yeux se ferment. Me voilà légère, comme si tous ces aveux avaient suffi à me libérer de la tension que me pèse depuis des jours.

— Je ne m’attends pas à ce que ce soit réciproque, conclut-il, tristement, alors que ses paroles me font revenir à la réalité. Mais j’aimerais que toute cette petite guerre cesse entre nous.

À la vision de ses yeux qui s’embuent, je perds définitivement la raison et viens presser mes lèvres contre les siennes. À peine le contact est-il établi qu’un état complet de bien-être m’envahit. Je passe mes bras sous les siens et mes doigts viennent agripper son dos musclé. Ce baiser est le reflet de tous les sentiments qui nous anime. Il est fort et doux à la fois, tendre et pourtant si brutal, aimant mais si désespéré. C’est non sans peine que nous nous séparons. Le temps de reprendre nos esprits, il vient coller ses lèvres sur mon front bouillant. Je lui chuchotte :

— Je t’aime

D’un doigt il relève mon menton pour que mes yeux retrouvent les siens. Un reflet nouveau illumine ses iris noisette : l’espoir.

— Je t’aime. Et plus jamais je ne douterai de tes sentiments.

Bien sûr, nous allons devoir aborder plein de sujets sensibles dans les prochains jours, mais au diable les problèmes ! Pour une fois dans ma vie, je veux vivre l’instant présent et me délecter de cet instant de bonheur qui me rend si légère que j’ai la sensation de planer.

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