Chapitre 10 : Les jumeaux en détresse

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Pour la première fois depuis mon embauche, la semaine est passée à vive allure et, surtout, elle s’est faite sans un seul accrochage.

Même si on fait très attention avec Robin lorsque l’on est au travail, le fait d’être au clair avec les sentiments de chacun, et de ne plus avoir cette pression que nous imposait le mensonge, nous permet d’évoluer plus sereinement dans notre couple.

« Ou plutôt début de relation » me rappelle ma conscience, prudemment.

Certes, mais la légèreté que cela provoque chez moi me donne l’impression de flotter sur un nuage douillet. Je me sens bien et enfin libre d’être en harmonie avec mes sentiments.

De ce fait, depuis le début de la semaine, on ne se quitte plus. Chaque soir, en sortant du travail, le beau brun vient directement à la maison, pour le plus grand plaisir de Florence qui en profite pour lui faire une démonstration de l’étendue de ses talents culinaires. Comme toute parenthèse de bonheur, cette petite routine est sur le point d’être perturbée par le retour de mon père qui rentre de déplacement. Le problème étant que je doute fortement que la présence répétée du beau brun dans son domicile, le ravisse grandement. Moi-même, je préfère que mon père en sache le moins possible, pour le moment, sur les relations que j’entretiens avec le bel interne. Non pas que j’ai honte de lui, ou de notre relation, mais au vu de nos débuts chaotiques, j’entends déjà les remontrances de mon paternel.

Pour pallier ce revirement de situation, Robin a gentiment proposé de m’accueillir chez lui pour le week-end. Comme il n’est pas de garde, et que je ne travaille pas, il a proposé que l’on face des trucs de couples normaux comme aller au cinéma, au restaurant et autres sorties en tout genre. Il m’a même proposé d’aller faire du shopping ensemble, ce qui m’a surprise car je ne lui connaissais pas ce côté « Fashion victime ».

Face à l'inattendu de sa demande, j’ai accepté sans pour autant être totalement certaine que c’est une bonne idée. Je ne lui ai rien dit, seulement je comptais sur le retour de mon père pour prendre du temps pour moi. Non pas que je me lasse de mon amant, seulement je ne veux pas que l’on aille trop vite et que l’on prenne le risque de tout gâcher. Et puis, ce ne sont pas les sorties proposées qui me gêne, soyons honnête, c’est d’entrée dans son espace personnel. Chez moi, Florence est présente constamment, ainsi, c’est comme si j’étais toujours sous surveillance, prête à me raccrocher à la première personne qui passe en cas de déception. Allez chez lui, reviens, pour moi, à sauter dans le grand bain sans savoir nager, je risque de me noyer à tout moment. Je sais, je fais toute une histoire pour rien. Ce n’est qu’un week-end et je ne pense pas que Robin soit du genre à me garder dans une cave, mais je n’ai juste pas envie de tout faire vriller au bout d’une semaine. Cela étant, il avait l’air tellement heureux quand je lui ai dit « oui », que maintenant je n’ai plus à cœur de lui faire de la peine et puis, je crains qu’il se plaigne de nouveau que je souffle le chaud et le froid.

Enfin, je n’ai pas le temps de régulariser ma situation, que je suis attendue pour le rituel du vendredi après-midi. Cette semaine, la réunion promet d’être mouvementée puisque François nous a annoncé que l’on va devoir accueillir deux nouveaux enfants et, comble de surprise, ils sont jumeaux. J'ai à peine le temps de prendre place dans la salle, que notre chef de service démarre :

— Bien ! Comme je vous l’ai annoncé en début de semaine, aujourd’hui je souhaite vous parlez de la situation de Timéo et Dario, deux enfants de six ans, que je vois depuis maintenant bientôt deux ans.

Il prend le gros dossier qui lui fait face et poursuit.

— Ils m’avaient été adressés par l’école, il y a trois ans, pour des carences éducatives, des retards de développement et une agressivité constante envers leurs camarades. À cette période, leurs deux parents étaient sans emploi et monsieur était en cours d’instruction par la justice pour une enquête à la suite d’un cambriolage dans une supérette. Un non-lieu avait été émis faute de preuve. Lorsque je rencontre les parents, ils se montrent tout de suite très méfiants, ne faisant confiance à personne car, je cite « on vit dans un monde de balance ». Ils ont également beaucoup de mal à comprendre la démarche faite par l’école, estimant que leurs deux garçons vont très bien et allant à l’encontre de tous les arguments que je peux leur donner. Pour eux, l’école les a catalogués à cause du jugement de monsieur et la maitresse a arrêté de s’occuper des garçons, ce qui est la raison de leur retard d’apprentissage. Étant livrés à eux même, à l’école, ils se sont réfugiés dans la violence pour passer le temps.

— Oui, c’est ce qu’ils disent tous, intervient Eugène, à voix basse.

François ne tarde pas à répliquer, mécontent d'avoir été interrompu.

— Je sais !

Eugène, honteux, vire au rouge écrevisse. Sans un mot de plus, il se reconcentre sur sa feuille.Le médecin reprends plus rapidement :

— Donc, je disais ... L’alliance avec cette famille a été très compliquée, si bien, qu’après ce rendez-vous, il a été impossible de mettre en place quoi que ce soit au niveau du suivi. Face au refus de soins et à la dégradation du comportement des garçons à l’école, une information préoccupante a été faite il y a deux ans. L’enquête sociale n’avait mené à rien car les parents répondaient aux besoins fondamentaux de leurs enfants, qu’il n’y avait pas d’absentéisme scolaire et aucune marque de maltraitance. La situation a évolué il y a plus d’un an, quand l’un des jumeaux est amené aux urgences pour une fracture au poignet droit. Il est accompagné par madame qui raconte qu’il est tombé de vélo. En regardant le dossier, le pédiatre se rend compte que Dario vient de façon très fréquente pour « chute à vélo ». En examinant le petit garçon, il constate plusieurs ecchymoses sur le torse, le dos, les bras et la hanche. Madame lui explique qu’il se bat souvent avec son frère « Oh vous savez comment sont les enfants, docteur ». Interpellé par la situation, le pédiatre en réfère aux services sociaux en faisant une nouvelle IP. Après une longue enquête, il est révélé que monsieur est en cours d’instruction pour deux nouveaux cambriolages, dont un lors duquel le gérant a été poignardé. Depuis plusieurs mois, il est tombé dans l’alcool et est très rarement sobre au domicile, pouvant faire preuve d’une extrême violence envers madame et les enfants. Même l’école a été très surprise par cette nouvelle, car l’enseignante n’avait rien remarqué d’anormal, hormis la violence déjà présente des garçons. De là, ils ont été placés en urgence, au Foyer de l’enfance, en attendant une décision du juge des enfants.

C'est au tour de ma collègue Leya d'intervenir :

— C’est affreux !

— C’est bien pour ça qu’il nous faut les aider, lui répond Lucas.

Le médecin, fixé sur son objectif, poursuit son monologue coûte que coûte :

— Donc, face à l’urgence de la situation, nous ne pouvons pas rester sans rien faire. D’autant plus que les jumeaux font preuve d’une grande violence au foyer, refusant tout : école, atelier, sortie, douche… La situation devient intenable et ils nous ont demandés d’intervenir d’un point de vue sanitaire pour voir ce qu’il est possible de mettre en place en termes de traitement ou d’atelier thérapeutique. Comme il n’y a pas de place dans le deuxième service de pédopsychiatrie, nous allons accueillir les deux, ici.

Un mouvement de contestations se fait entendre dans la salle. Chacun y va de sa propre opinion.

— De toute façon, vous n’aurez pas votre mot à dire, s’énerve le médecin. Moi-même, on m’a forcé la main. Les décisions viennent d’en haut. Alors autant vous y contraindre et faire en sorte que tout se passe bien. Avec Lucas et Robin, nous avons repensé l’organisation. Pour vous expliquer tout ça, je leur laisse la parole.

Un silence de mort envahit la salle alors que les deux intéressés se lèvent. Notre interne se racle la gorge et commence :

— Alors, tout d’abord, en ce qui concerne la référence. Il nous a paru important de ne pas multiplier les interlocuteurs c’est pourquoi il n’y aura qu’un seul médecin référent pour les deux garçons et deux soignants qui seront sur les deux situations. Nous avons nous-même désigné les référents, en prenant en compte le nombre de situations que chacun d’entre vous a déjà. C’est pourquoi les référentes seront Roxane et Leya. Quand Roxane partira, c’est sa remplaçante qui prendra la situation.

De ce que Leya m’avait expliqué à mon arrivée, c’est bien la première fois que les références sont imposées. Habituellement chacun se positionne en fonction des situations qu’il a déjà. Mais bon, à situation exceptionnelle, management exceptionnel.

S'il y en a bien une qui semble surprise, s'est Elisa. Avec sa mèche rouge qui lui pend sur les yeux, elle conteste :

— Mais ce ne serait pas plus judicieux de mettre quelqu’un qui va rester ?

Imperturbable, Robin lui répond :

— Justement, comme Leya est aussi sur l’affaire, cela permettra de guider la nouvelle personne. Le médecin référent sera François.

Je suis presque déçue. Autant, avoir un nouvel enfant en référance ne me dérange pas le moins du monde, car il est normal d’équilibrer les tâches au sein de l’équipe. Autant, j’avoue avoir pris goût à nos petits rendez-vous cachés dans le bureau de l’interne, entre deux discussions autour de Dimitri.

« Oh ça va, tu le vois déjà bien assez comme ça ! Et puis de toute façon, tu ne lui as pas déjà dis oui pour aller chez lui ? » me rappelle ma conscience d’un ton sarcastique.

C'est l'intervention de notre cadre qui me ramène à la réunion.

— Pour ce qui est de l’organisation générale. Sachez que Marina a été mise à pied trois mois et que par la suite elle sera envoyée chez les adultes.

De longs soupirs de soulagements se font entendre dans la salle. Seul Paul s'indigne de la situation, créant l'étonnement général :

— C’est tellement injuste ! Ok, elle n’a pas toujours bien agi avec les collègues, mais elle a toujours été très professionnelle.

Moi qui pensais que mon collègue avait fini par se détacher de la dragonne, je me suis fourvoyée. En tout cas mon cadre n'a pas l'air d'apprécier l'intervention de mon collègue car il ne manque pas de le remettre à sa place :

— Si cette décision a été prise, c’est qu’il a été estimé que c’est la meilleure chose pour tout le monde, Paul. De plus, il semblerait que ce soit elle qui avait rompu le secret professionnel en prévenant le foyer de l’enfance de choses dont nous n’étions pas sûrs, lors de l’affaire de Dimitri. Donc personnellement, je ne trouve pas que ce soit très professionnel. Après, si tu veux la rejoindre, ils recherchent des éducateurs en service adulte.

Alors c’était elle ! Quelle garce ! Elle m’aura vraiment tout fait. Heureusement pour moi, la roue finit toujours par tourner.

Sans broncher, Paul finit par se rasseoir, sûrement conscient qu’il n’y a plus rien à défendre concernant notre ancienne collègue. Quel soulagement de me dire que je vais finir mon CDD sans elle et ses petits coups bas. Quand je vois les bienfaits que ça a eu sur l’équipe cette semaine, je regrette presque d’être sur le départ.

— Enfin, tout ça pour vous dire qu’au vu du départ de Roxane et du non-retour de Marina, des intérimaires vont être embauchés pour pallier le manque d’effectifs. Ainsi, je vous demande à tous, d’être accueillant si vous voulez qu’ils restent. Je ne tolèrerais plus aucun écart de comportement.

Si l’ambiance n’était pas déjà morose, elle serait sûrement glaciale. Non pas que ce soudain élan d’autorité de notre cadre me gêne, mais j’aurais apprécié qu’à mon arrivée se soit aussi tranché, cela aurait sûrement évité bien des contrariétés. On ne va pas refaire le passé.

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