Chapitre 14 : Rendez-vous à quatre

9 minutes de lecture

Je me réveille, haletante, à la suite d’un terrible cauchemar. Dans celui-ci, ma voiture tombait en panne sur un passage niveau et un train arrivait à grande vitesse. Lors de la collision, mon père, qui n’était pas présent jusque-là, est apparu miraculeusement. Juste après, à l’hôpital, on m’annonçait qu’il avait donné sa vie pour sauver la mienne. Qu’elle horreur !

Alors que je reprends doucement mes esprits, je prends conscience de l’endroit où je me trouve. Une chambre qui, au premier abord, ne semble pas très grande mais qui réussit tout de même à loger un lit et une grande penderie. Les murs sont totalement blancs, relevés par des boiseries peintes en gris, sûrement pour rappeler la couleur du contour du lit. Un lustre boule est suspendu au-dessus du lit et deux petites lampes de chevets, au socle carré et à l’ampoule énorme, viennent encadrer le tout. Deux rideaux rouges, qui occultent la lumière extérieure, apportent un peu de couleur. Surplombant la tête de lit, un énorme pêle-mêle de photo en liège amène un peu de vie. Je me surprends à détailler les clichés un par un. Sur tous, on y retrouve Robin tantôt grimaçant, tantôt déguisé, ou encore sérieux et même apaisé. Sur l’une des photos, il est entouré d’hommes et de femmes dont les traits du visage rappellent sensiblement les siens. Ils sont en ligne et tiennent chacun un bout de banderole où il est inscrit « Bienvenue au nouveau Echurti ». Je suis en pleine contemplation, quand le beau brun m'interrompt :

— C’était pour la naissance de mon premier filleul. Depuis, il y en a eu deux autres et la première petite-fille est en route. Il faut croire que l’on ne chôme pas chez les Echurti.

Il rigole tout en s’avançant pour me rejoindre sur le lit. Une fois installé, je me love contre lui.

— Et toi, tu en veux ?

— Jusqu’à présent, je n’avais jamais vraiment réfléchi à cette question. J’ai toujours été plus carriériste que père de famille. Mais, maintenant que mes études touchent à leurs fins et avec la bonne personne, pourquoi pas.

Je redresse la tête et plante mes yeux dans les siens. C’est incroyable toute la douceur que peut refléter son regard. Je me perds dans la valse de message qu’il tente de me transmettre. Soudain, je me sens désarmée et vulnérable face à tous les sentiments qu’il fait naître en moi alors je ne trouve rien de mieux à faire que de détourner le sujet.

— Alors il ne te reste plus qu’à trouver la bonne personne.

— On est bien d’accord là-dessus. Parce-que, lorsque j’imagine un mélange de nous deux, je me mets à paniquer. Tu vois le tableau ? Avec nos deux caractères de cochon, il va nous faire vivre l’enfer à l’adolescence.

Il se marre sans réserve et de mon côté, je joue les filles vexées. En réalité, intérieurement, je jubile. L’espace d’un instant ce beau brun qui tourmente ma vie depuis des semaines, s’est projeté dans le futur avec moi. Lui qui ne voulait pas entendre parler de mariage. Tout n’est peut-être pas perdu finalement.

Toujours dans ma petite bouderie, il cherche à me faire céder en s’armant de chatouilles qu’il me fait un peu partout. Sans que je ne puisse anticiper, il me fait basculer sur le dos, pour se positionner sur moi. Son visage est si près du mien que nos nez se touchent et je sens son souffle sur ma bouche. Mon corps se cambre, ma peau frissonne et la chaleur monte. Tout cela sans même m’avoir touché, il est doué. Mon cœur s’emballe, ma respiration se saccade, je le veux. La chaleur monte alors qu'il sussure à mon oreille :

— Je m’estimerais chanceux s’il avait ne serait-ce que la moitié de ta détermination et ton regard de petite furie en colère.

« Oh mais c’est qu’il deviendrait sentimental » se moque ma conscience.

Il ne m’en fallait pas plus pour fondre complètement. Je me jette sur ses lèvres et me laisse entraîner par la passion qui m’anime.

Les yeux fermés, la tête posée sur le torse nu de mon bel amant, je savoure cet instant de plénitude très vite interrompu par la sonnerie de mon téléphone. Un coup d’œil rapide sur l’écran me permet d’identifier l’émetteur : Tanya. Alors que je saisis mon téléphone, Robin s'indigne :

— Tu ne vas tout de même pas décrocher maintenant ?

— Si je ne le fais pas, elle me harcèlera jusqu’à ce que je cède. En fait, elle te ressemble sur pas mal de point.

Cette remarque me vaut une belle grimace du beau brun. Alors que je réponds, il quitte le lit.

— Ah bichette, je ne pensais pas t’avoir de si bonne heure. Tu serais partante pour un resto ensemble à midi ?

Elle parle si vite, que je ne comprends que la moitié des mots. Enfin bon, sacrée Tanya ! Pas de « Ça va ? » ni de « Quoi de beau ? », en somme, toujours droit au but.

— Désolée, je ne penses pas que ça va être possible. Je suis chez Robin.

Complètement euphorique, elle crie dans le téléphone.

— QUOI ! J’ai loupé un épisode me semble-t-il.

Et me voilà partie dans la narration interminable de tous les événements qui ont eu lieu ces derniers temps. De la convocation chez le DRH à l’embrouille avec mon paternel, tout est passé au crible. A la fin, elle parait soufflée :

— Bah dis donc.. Ta vie est aussi palpitante qu’une comédie romantique.

— Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne chose. J’envie clairement mon ancienne moi qui évoluait sans problème et en toute tranquillité.

Elle s'oppose d'une voix moralisatrice :

— Oh arrête un peu, Roxane. J’aimais beaucoup ton ancienne toi, mais avouons qu’elle était un peu chiante à toujours être d’accord avec tout. Maintenant tu t’affirmes, tu oses, tu défies les règles, tu te rebelles et tu assumes enfin ton caractère et qui tu es. N’est-ce pas plus libérateur ?

J’aurais bien aimé la contredire mais je ne peux qu’admettre qu’elle n’a pas tort. Malgré tout ce qui a pu se passer dans ma vie ces dernières semaines, je ne me suis jamais sentie aussi libérée. Même si parler sans filtre m’a apporté pas mal d’ennuis, je me sens enfin moi-même.

— Bon d’accord, tu as peut-être raison. Mais j’aurais préféré mille fois ne pas vivre tous ces désagréments.

— Dis-toi que c’est ce qui t’as rendue plus forte. Et puis, sans tout ça, tu ne serais pas en train de vivre cette belle idylle.

Quand est-elle devenue si bienveillante ? Cette femme que j’ai connue nombriliste et autocentrée est aujourd’hui bien plus ouverte à l’autre. En témoigne cette conversation qui dure depuis presque une heure sans que l’on ait parlé d’elle une seule fois. Comme quoi, tout le monde peut changer.

— Bon ! Dans ce cas, faisons un restaurant à trois : toi, moi et Robin.

Je suis clairement moins emballée qu'elle :

— Ce n’est pas un peu sadique de te faire tenir la chandelle de la sorte ?

— Puisque c’est moi qui le propose, je ne pense pas. Et puis, ce sera l’occasion de cuisiner un peu monsieur beau-gosse.

« Pas sûre que cela lui plaise » réplique aussi tôt ma conscience.

Elle enchaîne :

— Après, si cela te tranquillise, on peut inviter Liam.

« Erreur, erreur ! » clignote ma conscience.

— Je ne suis pas certaine que cela soit une bonne idée, vu que je l’ai embrassé à deux reprises devant Robin.

C’est vrai qu’elle n’était pas au courant de cette partie de l’histoire.

— Tu es devenue une vrai dévergondée, ma parole. Après si je peux te prodiguer un conseil, ne délaisse pas Liam. Je sais qu’entre lui et toi ce n’est pas l’amour fou, mais il tient énormément à toi et je pense vraiment qu’il préfère rester dans la friend zone que de tirer un trait sur toi.

— Je n’ai aucun doute là-dessus. Et c’est clairement réciproque. Seulement, j’ai été si maladroite avec lui que je ne sais pas comment arranger les choses.

— Laisse-moi faire. Finalement, ce resto tombe à pic. Tu te charges de faire venir Robin quant à moi, je m’occupe de Liam. On se retrouve chez Pépé à midi trente.

Sans que j’ai le temps de dire quoi que ce soit, elle raccroche. Elle est bien gentille, mais comment je vais m’y prendre pour convaincre l’interne de passer tout un repas avec Liam, l’homme qu’il doit actuellement le plus mépriser.

« Bonne chance ! » se moque ma conscience.

En soit, il n’y a que deux options qui s’offrent à moi. La première : proposer un resto et ne rien dire pour Liam. La deuxième : jouer le chantage affectif et lui dire que j’irai avec ou sans lui.

« Il y peut-être une troisième option moins cash ? » propose ma conscience, pas franchement emballée par les deux précédentes. « Pour une fois que ça va entre vous plus de vingt-quatre heures, ce serait bête de relancer les hostilités ».

De toute façon, quels que soient les arguments que j’emploie, il va falloir que je me jette à l’eau rapidement car l’heure défile et midi et demi va vite arriver.

J’enfile à toute vitesse mes sous-vêtements et le tee-shirt que Robin à laisser au sol, pour partir en quête de mon bel amant. En sortant de la chambre, je n’ai qu’à suivre l’odeur agréable qui parvient à mes narines pour le trouver à s’affairer en cuisine. Adossée à l’encadrement de la porte, je l’observe sous toutes ses coutures. Vêtu d’un simple boxer noir, il se déhanche sur le rythme entêtant de Bad Habits, qui passe actuellement à la radio.

— Arrête de m’observer et viens danser.

Dans un déhanché, dont lui seul à le secret visiblement, il se retourne pour me faire face.

— Mais comment…

— J’ai su que tu étais là ? On va dire que la discrétion n’est pas ta plus grande qualité.

Il s’avance vers moi, tout en continuant de rire de sa petite blague, m’attrape la main et me fait tourner sur le tempo de la musique qui poursuit sa course. L’ambiance est légère et son humeur si joyeuse que je n’ai pas à cœur de tout saboter. Tout au long de ce début de matinée, je fais mon possible pour retarder l’échéance, bien consciente que cela ne joue pas en ma faveur.

« Lance-toi » s’impatiente ma conscience alors que je finis mon quatrième pancake. « Ce n’est pas parce-que tu vas finir l'assiette, qu’il va mieux prendre ce que tu as à lui annoncer. »

Je prends une grande inspiration et me lance, les yeux rivés sur l’assiette qui me fait face.

— Tanya nous propose de manger avec elle et Liam à midi.

Il manque de s’étrangler.

— Elle est drôle ta copine. Déjà que je n’ai pas franchement envie de la revoir, alors je ne vais pas en plus me farcir le mec qui te veux dans son pieu.

Sa réponse me blesse énormément. Je suis mitigée entre exploser de colère et arrondir les angles. Je me lève.

" Roxane, reste calme " temporise ma conscience. " Je te connaîs ! Quand tu te relèves de table ce n'est jamais bon."

Je prends une longue respiration et dit le plus calmement possible :

— Ce sont mes amis et je ne vais pas arrêter de les voir pour tes beaux yeux. Alors tu fais ce que tu veux, mais moi je vais à ce déjeuner.

« Bon, et bien Roxane a finalement opté pour l’option chantage affectif » déduit ma conscience, un peu surprise par la tournure de la conversation. « Pour le en douceur, on repassera. »

Je quitte la table et me dirige vers la chambre, ignorant au passage les bougonnements de mon interlocuteur. Je vais pour claquer la porte quand je l’entends m’interpeler.

— Parfait, je vais venir ! Tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser seule avec l’autre dragueur.

Un petit sourire narquois vient se dessiner sur mes lèvres. Certes je n’ai gagné qu’une bataille mais pour une fois notre différend ne s’est pas fini dans les cris et les larmes. Maintenant, espérons que le repas se passe sans encombre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Amandineq ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0