Chapitre 22

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C’est avec un stress palpable que je suis en chemin pour aller retrouver Jonathan dans le petit parc. L’air est frais et, bien que le ciel soit couvert, la luminosité est assez aveuglante. J’ai longuement hésité sur ce que j’allais porter, comme toujours en fait. Je me suis toujours dit que la tenue devait envoyer le bon message, le problème c’est que j’ignore toujours ce que je vais lui dire. J’ai finalement opté pour le plus simple de ce que j’ai pu dénicher de ma garde-robe. Un jean skinny noir, une blouse blanche, la veste en cuir achetée récemment et une paire de bottines. Même pour le reste j’ai fait simple : un chignon flou et juste un peu de mascara.

Avant de partir, j’ai eu la gentille remarque de Mathieu qui m’a laissé entendre que j’aurais pu faire un peu plus d’effort ce à quoi j’ai répondu que j’aurais simplement y aller en pyjama ou en jogging. Sachant très bien que j’en suis capable, il m’a finalement dit que je suis très jolie ainsi.

Mon cerveau, toujours à fond, cogite et improvise tous les scénarios possibles : moi courant au ralenti et me jetant dans ses bras et lui qui me fait tourner alors que nous rigolo à gorge déployée ou encore moi face à lui, le regard sur la première pâquerette que je trouve, bien trop timide pour affronter son regard, et lui qui remonte mon menton très sensuellement et qui …. Wow je m’égard ! D’autant plus que je ne suis absolument pas dans l’optique de me jeter à son cou. Résultat, un nœud énorme se forme dans mon estomac me donnant une sensation de nausée. Depuis que j’ai reçu ce message d’invitation, je n’ai pas arrêté de repenser à Jonathan, à Mathieu et à tout ce micmac qui embrouille complètement mon esprit depuis quelques jours. Au lycée, j’aurai donné n’importe quoi pour qu’un garçon comme Jonathan s’intéresse à moi. Il est beau, certes, mais il a surtout la tête sur les épaules, de la discussion à n’en plus finir et ce côté soucieux et bienveillant que beaucoup d’hommes ont oublié. Pourtant aujourd’hui, j’ai l’impression d’être une aveugle qui a recouvré la vue et qui découvre Mathieu sous un angle différent. C’est extrêmement perturbant quand on sait que pendant toutes nos années de collège et lycée j’étais une fervente défenseuse du mouvement qui vise à croire en l’amitié fille/garçon. Et j’y crois encore ! Parce-que quoi qu’il arrive, je ne ferais rien qui puisse mettre en péril mon amitié avec lui. Seulement, par respect pour Jonathan, il est clair que je ne peux me lancer dans une romance avec lui.

Les idées un peu plus claires, j'arrive au parc. Puisque j’ai un peu d'avance, je me dirige tranquillement vers le point de rendez-vous, je m'installe sur un banc et sors mes écouteurs pour lancer mon mix du moment. Le titre des Destiny's Child « Survivor » résonne à fond dans mes oreilles. Oui, ne me jugez pas, mais il y a de très bons tubes qui sont sortis dans les années 90-2000. Je vous avais dit que j’avais des goûts musicaux très hétéroclites.

Afin de tuer le temps, qui passe beaucoup trop longtemps à mon goût, je me mets à surfer sur Facebook. Je ne suis pas très branchée réseaux sociaux, je m’en suis toujours beaucoup méfier, mais j’ai tout de même cédé à la tentation de me faire un profil. Très concrètement, comme je préfère afficher mes photos sur le mur de ma chambre que sur celui de mon actualité, il y a très peu de chose sur mon profil. En gros, on y trouve mon nom, mon prénom et ma date de naissance.

Je parcours le fil des actualités qui se résume à quatre-vingt-dix pourcents des publications de Mathieu. Eh oui quand on a peu d’amis on revoit vite les mêmes têtes. C’est alors que je me rends compte qu’il est très actif : photo de lui en pleines révisions, photo de notre plat de pâtes carbonara, photo de sa séance de sport, photo de ce que je devine être sa bande de potes de promo… Ce qui me surprend le plus, c’est le nombre de personnes qui aiment ses publications et les commentaires qu’il y a. Par exemple, sous celle de lui et ses potes une nana a écrit « Vous êtes beaux les gars, mais vous-mêmes vous savez que Mathieu est le plus HOT… ». En réponse à ce commentaire une autre qui écrit « Mon Matt for ever… » et une deuxième a mis trois flammes dans son commentaire sans autres mots. Une pointe de jalousie vient me piquer lorsque je constate que Mathieu n’a pas simplement aimé les commentaires, il les a adorés… Les trois cœurs rouges s’imprègnent dans mon esprit lorsque l’on m’interpelle.

-Vous êtes Cara ? Demande-t-on en me tapotant l'épaule.

Je me retrouve face à une espèce de grand gaillard, type armoire à glace, chauve avec des lunettes aviator, me rappelant étrangement celles de mon père. Vêtu de noir de la tête aux pieds, au premier regard, il m’inspire surtout de la méfiance.

- Oui, c’est bien moi ? Réponds-je sur la défensive.

- On m'a demandé de vous remettre ceci.

L'inconnu me tend une enveloppe kraft sur laquelle il est juste noté mon prénom. Mon cerveau ne fait qu’un tour. En ce moment je n’apprécie pas vraiment de recevoir du courrier. Le seul détail qui me rassure légèrement c’est que l’écriture sur l’enveloppe est différente de celle de vendredi. L’homme commence à rebrousser chemin, mais je le retiens.

- Pardon mais vous connaissez la personne qui vous a donné cette enveloppe ? Questionné-je inquiète de la réponse que je vais avoir.

- Non, avoue-t-il nonchalamment, il m'a simplement dit qu'il s'appelle Jonathan.

Je le remercie, soulagée par cette révélation et je retourne l'enveloppe pour l'ouvrir.

- Il m'a peut-être préparé une surprise, pensé-je à voix haute.

Alors que je sors le contenu de l'enveloppe, ce que je découvre me brise le cœur.

Les larmes me montent aux yeux alors que je suis horrifiée par la photo qui s’offre à moi. C’est un cliché en noir et blanc, comme pris par une caméra de surveillance, sur lequel on y voit Jonathan attaché sur une chaise, le visage ensanglanté et déformé par des hématomes. Si je n'étais pas dans un lieu public, j'aurais sûrement hurlé de toutes mes forces. Un mot accompagne la photo :

« Et maintenant, tu me prends au sérieux ? ».

Cette découverte me paralyse. Mon cerveau est en off, il m’est impossible d’aligner deux idées cohérentes et, si je n’étais pas déjà assise, je me serais sûrement écroulée au sol. Mes larmes qui coulent à flot, inondent mon t-shirt ainsi que la photo qui est posée sur mes genoux. Tant d'images me viennent en tête. J'imagine Jonathan dans une pièce sombre, froide et humide située dans un bâtiment désaffecté de banlieue ou en sortie de ville. J’imagine sa douleur à chaque coup qu’il encaisse, ses hématomes qui lui brûlent la peau et ses liens qui le serrent et le rongent. J’imagine sa peur, sa solitude et sa colère d’avoir à affronter une telle situation juste parce qu’il a eu le béguin pour la mauvaise nana. La culpabilité s’empare alors de moi. Si je ne l’avais pas connu, si je ne l’avais pas laissé entrer dans ma vie et si je ne l’avais pas laissé s’attacher, Jonathan serait tranquillement en train de faire son footing dominical.

De longues minutes s'écoulent et je reste assise sur le banc incapable de me raisonner. Un tas de questions se collisionnent dans mon esprit mais une seule m’importe vraiment : pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi mon père m’en veut-il à ce point ? Pourquoi cherche-t-il à me rayer de sa vie et de celles de ses fils ? Le problème avec Samuel, c’est qu’il n’est pas du genre à fournir des explications, sinon en dix-huit ans j’en aurais déjà eu.

Après un long moment de flottement, quand je réussis enfin à reconnecter quelques neurones, mon premier réflexe est de saisir mon téléphone pour alerter mes frères. Je tape un message conjoint que je veux le plus alarmant possible.

« On a une urgence ! Je suis au parc, rejoint moi. »

À croire que leurs téléphones étaient fixés devant leurs yeux car tous deux me répondent presque instantanément.

Quinze minutes plus tard, ils arrivent en même temps, Simon vêtu de son éternel ensemble chino /cardigan et Nate en tenue de sport intégrale. À les voir comme ça, rien ne laisserait présager qu’ils sont frères. Nate fait bien une tête de plus que Simon, et pourtant sa démarche lourde, conjuguée à son corps musclé et carré, donne l’impression qu’il risque de s’enfoncer dans le sol. Simon lui, à cette légèreté dans sa façon de se déplacer qui, avec sa corpulence plus svelte, lui donne cette allure charismatique. De les avoir là, face à moi, je ne peux que constater qu’ils n’ont que peu de ressemblance, même physique. En fait je dirais qu’ils ont tous deux hérité des yeux en amande de notre père, pour le reste, Simon doit surtout tenir de sa mère je suppose. Portant à cet instant précis ils affichent la même expression inquiète sur leur visage alors qu’ils semblent me chercher. Je les interpelle.

- Je suis là, crié-je en faisant de grands gestes.

Ils se tournent vers moi dans un même élan et leurs têtes se décomposent, surement à la vue de mon visage empli de larmes. Tous deux me rejoignent et ils s’assoient chacun d’un côté. Simon me prend dans ses bras et Nate, un peu moins à l’aise, me tapote l’épaule.

- Que se passe-t-il Cara ? me demande mon jumeau visiblement déconcerté de me trouver dans cet état.

Sans dire le moindre mot, je lui tends l'enveloppe que l’on m’a remise un peu plus tôt. Alors qu'ils prennent connaissance de son contenu, ils semblent tous les deux aussi horrifiés que moi.

- Il n'a quand même pas osé ! Intervient Nate après un moment de silence.

- Il semblerait que si, lui répond Simon furieux.

- Je reconnais qu’il peut être dur à certains moments, enchaîne Nate choqué, mais j’étais loin d’imaginer qu’il pouvait être aussi diabolique pour arriver à ses fins.

- C’est tout simplement parce-que tu as vécu avec lui trop longtemps, lui répond notre demi-frère tout en continuant de me consoler. A force de le côtoyer au quotidien, ses comportements ont fini par te sembler normaux.

- Dis que je suis aveugle aussi, rétorque mon jumeau en s’emportant.

- Ce n’est pas ce que je dis, se défend mon demi-frère. Qu’est-ce que tu peux être susceptible par fois !

Visiblement cette remarque ne calme pas le grand brun.

- Bien sûr ! Et bête aussi, ou en cas pas assez intelligent pour comprendre les sous-entendus du plus intelligent des deux fils Lafont.

- Ah non, Nate, tu ne vas pas recommencer avec cette histoire ?

Simon se lève brusquement, suivi de notre frère qui lui tient tête et poursuit :

- Je n’y suis pour rien si Samuel est le plus idiots de tous les pères et qu’il n’ait eu de cesse de nous comparer durant toute notre scolarité. Et ce n’est pas non plus de ma faute si j’avais des meilleures notes que toi. Chose qui, soit dite en passant, n’était pas bien compliquée puisque tes notes avoisinaient le huit jusqu’au lycée.

Complètement impuissante, car toujours troublée par le contenu de l’enveloppe, je les regarde continuer à régler leurs comptes.

- Eh bah excuse-moi de ne pas avoir eu l’enfance parfaite, avec une mère parfaite, qui s’investissait dans ma scolarité. A la place, j’ai hérité d’un zombi qui se couchait quand je me levais, et se levait quand je me couchais.

Le regard de Nate est empli d’amertume alors que celui de Simon continue de le défier.

- Parce-que tu crois que j’ai eu l’enfance parfaite, moi ? crache Simon, dont la colère ne cesse d’augmenter. Je te rappelle que depuis que je suis en âge de tenir un balai et une serpillère, le soir, après les cours, je faisais la fermeture du café de ma mère et je m’occupais du ménage pendant qu’elle faisait ses comptes. Pendant que toi tu faisais quoi ? Une semaine à Dubaï, quatre jours de ski à Courchevel, un week-end casino à Deauville… et j’en passe. Alors ne viens pas te plaindre, surtout pas à moi !

A entendre les reproches qu’ils se font, on se demande comment ils arrivent encore à se supporter aujourd’hui. Visiblement, il n’y a pas que moi qui ai été abimé par les agissements de Samuel.

- Ah ! je le savais ! fait Nate, en pointant Simon du doigt. Tu as toujours été jaloux. Tu…

Je n’ai pas à cœur d’affronter une querelle fraternelle, alors je me décide à intervenir avant que cette discussion ne dégénère.

- STOP ! FERMEZ-LA ! VOUS NE PENSEZ PAS QUE LE MOMENT EST MAL CHOISIT !

J’ai crié si fort que j’ai fait s’envoler tout le groupe de pigeons qui picorait à l’autre bout du parc. Alors que je reprends mon souffle, un silence de mort s’installe. Tels deux petits garçons pris en flagrant délit, ils me fixent sans broncher alors que je poursuis passablement irritée par leur comportement :

- Ok, Nate, Samuel a été intransigeant avec toi ! Ok, Sinon, Samuel a fait souffrir ta mère et cela a entraîné des répercussions sur toi. Et moi, eh bah il m’a abandonné. Et maintenant on fait quoi hein ? On s’entretue pour les beaux yeux d’un père qui nous a tous les trois négligés ou on s’allie et on fait de notre mieux pour retrouver mon voisin ?

Un éclair de lucidité passe dans les yeux de mes frères alors qu’ils prennent conscience qu’ils ont été trop loin. Après un bref instant à s’excuser mutuellement, nous nous reconcentrons sur la raison de notre présence ici.

- Notre paternel est peut-être sans scrupule, mais il ne peut pas être au-dessus de toutes les lois, décrété-je, logiquement. Il y a forcément un recours auquel on peut s’accrocher car je n’ai pas l’intention de le laisser s’en prendre à un de mes amis sans rien faire.

- D’accord, approuve Simon. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ?

- On le chope à la sortie de la fac et on le questionne, ironise Nate, pensant surement détendre l’atmosphère.

Visiblement, il a fait mouche car Simon ne tarde pas à rétorquer :

- Non mais attend, Nate, notre père est capable de séquestrer et maltraiter un jeune adulte et tu penses qu'il va répondre gentiment à nos questions ? Tu es certain de le connaître si bien que ça ?

- Je cherche juste une idée.

- Eh bah se ce n’est pas la bonne, renchérit Simon.

Je vois mon jumeau se vexer et je souris en constatant que Simon n’avait pas tort quand il disait que je lui ressemble niveau caractère car j’aurais agi exactement de la même façon que mon jumeau si j’avais été à sa place.

- Tu sais, je pense que nous n’avons pas trente-six solutions, Cara. Nous n’avons qu’un seul recours légal possible.

- Simon à raison, appui Nate.

- Alors, on va faire fi de toutes les taupes et autres ordures que Samuel a placées partout ?

- On n’a pas le choix, Cara, m’interpelle Nate. On va faire ce que toute personne censée ferait à notre place. On va passer par des moyens légaux et aller déposer une plainte. Avec cette photo à l'appui, on sera forcément pris au sérieux.

C’est ainsi que l’on s’est mis en route vers le commissariat le plus proche.

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