[1] Bienvenue chez nous ! (6/7)

16 minutes de lecture

[6.]

— La plus grande partie de notre travail consiste à superviser les prescriptions des internes et médecins du service.

Tandis qu’Alexandra s’avance d’un bon pas jusqu’à l’interrupteur de la double porte fermant l’accès au secteur A de cardiologie qu’elle actionne afin d’en commander l’ouverture automatique d’une brève pression des doigts, j’écoute attentivement chacun de ses explications, retranscrivant ce qui me semble le plus important sur mon petit carnet de poche. Nous nous faufilons entre les deux battants, évitant un duo d’aides-soignants visiblement en grande conversation sur les nouveaux protocoles de soins du service, et nous engageons sous les regards étonnés des infirmières de l’après-midi dans le secteur.

— Il est important que chaque entrée et chaque sortie du secteur soit couverte par un pharmacien.

Sans ralentir le rythme, Alexandra traverse le long couloir dans toute sa longueur jusqu’au poste de travail situé le plus au fond. Je dois presque trottiner à ses côtés pour ne pas perdre la cadence, légèrement essoufflée.

— Tu me suis ?

Je ne sais pas si la jeune femme parle au sens propre ou figuré du terme alors je me contente d’un simple hochement de tête, bien que je ne sois pas vraiment sûre d’être capable de continuer à réfléchir sur un tel rythme.

— Parfait. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, tu commenceras par le secteur A, le moins difficile car c’est le secteur direct des sorties d’urgences. Les entrées sont filtrées et ne se font qu’en fonction des disponibilités et toujours sur avis d’un interne de troisième ou quatrième année.

— Ethan, soufflé-je principalement pour moi-même.

— Qu’est-ce que tu dis ?

Je pique un fard et bafouille, surprise :

— Rien… rien, rien. Je disais simplement qu’il devait s’agir d’Ethan pour le secteur A, non ?

Alexandra hoche la tête, visiblement épatée que je puisse avoir déjà fait le lien après seulement une matinée dans le secteur.

— En effet, admet-elle. Il faut savoir que c’est avec lui que tu devras la plupart du temps interagir si tu as la moindre question ou remarque au sujet d’un patient car il supervise la plupart des opérations des autres internes en poste ici.

Je me renfrogne. L’idée de devoir travailler en grande partie aux côtés d’Ethan ne me plaît guère mais je vais bien être obligée de me faire à l’idée : il est purement et simplement hors de question que je change de service. Cela lui ferait sans doute trop plaisir et je ne veux absolument pas ruiner mes perspectives d’avenir à cause de lui. Je ne l’autoriserai pas.

Alexandra semble totalement imperméable à mes démons intérieurs et poursuit :

— L’ensemble des informations dont tu as besoin se trouvent dans ses dossiers.

La jeune trentenaire se penche en avant afin de récupérer une série de pochettes cartonnées assez similaires à celles récupérées par Ethan le matin même et visiblement triées par numéro de chambre. Ouvrant la première, elle dévoile une pile de documents impeccablement rangés et organisés par date et ordre alphabétique.

— Tout ce qui a pu être recueilli à l’entrée du patient à l’hôpital est consigné ici : compte-rendu médical, derniers examens, prises de sang… Et, bien entendu, ordonnances, s’il en possédait sur lui à son arrivée.

La chance doit se trouver avec nous car Alexandra extirpe deux pages manuscrites du dossier avant de les agiter devant mes yeux, victorieuse. Si nous n’étions pas entourées d’infirmiers et d’aides-soignants s’agitant en tous sens, j’aurai pu jurer qu’elle s’apprêtait à laisser échapper un « Ta-daa ! » de circonstance. La quantité de traitements inscrits sur ce qui ressemble fort à une ordonnance de médecin de ville me laisse dubitative. Je ne serai pas étonnée que le patient considéré soit atteint de presque toutes les pathologies chroniques possibles et inimaginables, si tant est que cela soit possible bien entendu.

— Ton premier rôle est de prendre en notes chacune des modifications qui a pu avoir lieu quant aux traitements du patient durant les six derniers mois. Personnellement, j’aime bien faire une photocopie des dernières ordonnances juste au cas où. Tu apprendras bien assez tôt que les « pertes » sont nombreuses au sein du CHU.

Je ne peux m’empêcher de sourire devant le sous-entendu flagrant de la jeune femme.

— Et ensuite ? demandé-je, impatiente.

Alexandra hausse les épaules.

— Ensuite… Le plus dur reste à faire. Viens, suis-moi, je vais te montrer.

Pivotant sur elle-même, Alexandra s’avance en direction de la première porte face à elle, dont l’inscription indique le numéro douze. Fermant le poing, la jeune femme vient frapper quatre fois sur le battant. Un faible « Entrez » se fait entendre, signal qu’attendait visiblement Alexandra pour ouvrir la lourde porte et pénétrer au sein de la chambre du patient. Je ne peux m’empêcher de songer que les médecins n’avaient pas pris autant de précautions le matin même et l’idée que nous aurions pu violer sans ménagement la vie privée d’un patient me met mal à l’aise.

— Bonjour Monsieur Girard ! Comment vous portez-vous depuis hier ?

Le ton exagérément mielleux d’Alexandra se marie parfaitement à l’éclatant sourire qu’elle affiche sur son visage. J’ignore si cette attitude est feinte mais je m’en trouverais moi-même trompée si c’était le cas. Ce qui ne semble toutefois pas être celui du patient face à nous.

— Bien, bien, répond-il d’un air bougon.

Je me souviens rapidement des quelques informations échangées par les médecins au cours de la visite du matin sur les exécrables conditions d’existence du quinquagénaire face à nous. Informations confirmées par le fort embonpoint visible malgré l’ample chemise blanche d’hôpital et l’odeur mêlée de sueur et d’alcool dégagé un peu partout dans la pièce. Je retrousse le nez, agressée par tant d’effluves.

— Tant mieux, reprend Alexandra sans se départir de son calme. Dites-moi, nous ne vous dérangerons pas longtemps mais ma jeune externe ici présente et moi-même aurions besoin de faire un petit point avec vous sur vos traitements, est-ce que c’est possible maintenant ?

L'homme marmonne quelque chose que je ne comprends pas.

— Si ce n'est pas trop long.

— Cela ne le sera pas, confirme Alexandra. En fait, je vais vous faire la liste des médicaments prescrits sur votre ordonnance et vous me direz si vous les prenez encore ou non, d'accord ?

Monsieur Girard penche la tête en avant comme si l’exercice s’apprêtait à requérir presque toute sa concentration. Sans que je ne m’en rende compte, je me retrouve presque aussitôt obnubilée par l’imposant double menton de l’homme face à moi, tant et si bien que j’en oublie de noter une partie des questions posées par ma responsable de service. Sortant de ma léthargie, j’entends Alexandra énumérer un à un chacun des médicaments de la liste puis enchaîner sur quelques demandes annexes que je m’empresse cette fois-ci de noter sur mon calepin afin de ne pas les oublier. Dix minutes plus tard, nous sortons enfin de la chambre numéro douze et je ne peux me retenir plus longtemps de prendre une longue et profonde inspiration d’air conditionné. Sans que je ne m’en rende vraiment compte, mon corps tout entier s’était retrouvé en apnée durant presque toute la durée de l’entretien.

— Pas le plus coopératif lui, fait remarquer Alexandra en me lançant un regard amusé.

— Ça tu peux le dire…

La sonnerie du téléphone de la pharmacienne nous interrompt brusquement. Alexandra tire le portable de sa poche et, après un bref coup d’œil sur l’écran, annonce :

— Attends-moi ici, je reviens tout de suite.

Je la regarde s’éloigner jusqu’à ce que les battants de la porte d’entrée du service ne l’engloutissent avec un bruit de succion désagréable. Cinq minutes s’écoulent. Puis dix. Et bientôt quinze sans que je ne croise personne d’autre qu’une poignée d’infirmières suspicieuses occupées à faire le tour des chambres pour pratiquer les différents soins de début d’après-midi.

Sentant l’ennui me gagner, je décide de m’essayer à ma première analyse de dossier en solo. C’est à la fois étonnamment excitant et angoissant. Je fais défiler plusieurs profils de patients avant d’opter pour celui de la cinq, une septuagénaire ayant subi une simple intervention de pose de stent en urgence. Le cas me semble facile : pas d’antécédents, peu de traitements à l’entrée et un dossier médical presque sans bavure. Même l’ECG pratiqué le matin même ne présente aucune anomalie.

Je me penche par-dessus le bureau afin de saisir la pochette correspondante. Un brusque sifflement dans mon dos m’interpelle. Je me redresse rapidement, sentant le rouge me monter aux joues, et me retourne afin de faire face à l’importun. Ethan émet un ricanement narquois.

— Jolie vue, fait-il remarquer.

Je lui adresse sans vergogne un doigt d’honneur tandis qu’il pénètre à l’intérieur d’une chambre, prenant soin de m’assurer qu’il ne me verra pas. Lorsque la porte s’est enfin refermée sur lui, je grommelle avant de me pencher dans l’étude du dossier de la cinq. Comme je l’espérais, le cas de la septuagénaire est tout ce qu’il y a de plus simple ! Il me faut à peine cinq minutes pour tout retranscrire sur mon carnet de notes.

J'observe rapidement les environs. Je n'aurais certainement pas besoin d'Alexandra pour gérer ce genre de dossiers. Mais puis-je aller à l’encontre de ses directives et quitter mon poste ? J’observe ma montre. Une demi-heure vient de s’écouler sans que je n’ai toujours aucune nouvelle.

La porte de la dix se rouvre, laissant entendre la voix claire d’Ethan. Je frissonne. Je n’ai aucune envie de croiser à nouveau le jeune homme. Surtout sans paraître n’avoir bougé d’un pouce ! Prenant mon courage à deux mains, je me dirige donc rapidement vers la porte de la chambre numéro cinq. Je prends une profonde inspiration et toque quatre fois avant d’entrer, brusquement, le cœur battant.

La patiente est une femme d’âge mûr plutôt charmante, avec d’adorables yeux doux comme ceux des agneaux et un large sourire étincelant malgré les nombreuses rides marquant son visage.

— Bien le bonjour demoiselle, c'est déjà l'heure de ma piqûre ?

J’observe ma tenue, gênée.

— Oh non ! m'exclamé-je en souriant, comprenant la confusion, je ne suis pas médecin. Je suis simplement l’externe en pharmacie, Laura. Je viens pour faire un point avec vous sur vos médicaments. Si vous le permettez bien sûr !

Le visage de la femme s’éclaire.

— Oh mais oui, bien évidemment ! Venez donc.

Je souris largement en approchant, ravie que ma première patiente en solo soit un cas aussi facile. Je décide de répéter point par point le discours d'Alexandra. Même si l'entretien me prend légèrement plus de temps que prévu, n'étant pas encore vraiment rodée à l'exercice d’écoute et d'écriture à la fois, je parviens tout de même à recueillir tout ce qu'il me faut et, après avoir remercié chaleureusement la septuagénaire pour son accueil et sa coopération, je sors de la chambre, ravie d’avoir pu mener seule et à bien cette mission.

Alexandra est là, accoudée au poste de travail des infirmiers, le regard plongé sur l’écran de son téléphone portable. Je viens poser le résultat de mon travail près d’elle, la sortant de sa léthargie dans un sursaut.

— Ah, te voilà ! J'allais justement t'envoyer un message. Où est-ce que tu étais passée ?

Je souris largement en lui montrant le résultat de l'entretien.

— Je crois qu’on a tout ce qu’il faut pour la patiente de la cinq, annoncé-je, enthousiaste.

Alexandra jette un rapide coup d’œil à mes notes, visiblement surprise.

— Eh bien ça me parait parfait en effet, admet-elle. Si tu te sens prête, je peux te laisser travailler seule alors…

J’acquiesce en silence.

— Au boulot ma belle ! On se retrouve pour faire le point vers six heures et demi à la PUI !

La jeune femme m’adresse un clin d’œil malicieux avant de pivoter sur ses talons pour s’éloigner. Je me retiens de sauter de joie. Après les évènements de la visite du matin et du début d’après-midi, un peu de liberté ne peut que me faire le plus grand bien !

-

J’observe ma montre en retenant un soupir de soulagement. Six heures. Enfin ! La journée a été harassante et j’ai hâte de pouvoir rentrer chez moi prendre une bonne douche chaude.

Refermant la porte de la dernière entrée du jour derrière moi, je lance un sourire agréable aux deux infirmières assises derrière l’imposant comptoir en bois mais, sans doute trop occupées par leur discussion, aucune d’entre elles ne me répond. Je hausse les épaules, commençant finalement à m’habituer à ce genre de réaction, et recale mes dossiers sous mon bras tout en me dirigeant vers la double porte occultant le couloir. Je m’apprête à tendre la main pour appuyer sur la commande d’ouverture lorsqu’une voix dans mon dos m’interpelle brusquement, me faisant sursauter :

— Excusez-moi ! Mademoiselle !

J’arrête mon geste et me retourne, interloquée. Un homme d’un certain âge approche d’un pas rapide. A son visage, je crois qu’il a l’air paniqué. Super… Je n’avais pas vraiment prévu de jouer les psychologues après une telle journée… Je crois même que c’est moi qui en aurais sans doute le plus besoin !

— Cela fait presque une demi-heure que je demande à voir un médecin au sujet de ma femme, poursuit l’homme d’une voix grave où pointe l’agacement.

— Je… je ne suis pas… protesté-je.

Mais il ne me laisse pas vraiment le temps d’achever et poursuit :

— Je n’ai pas eu de nouvelles depuis que Lydie est remontée du scanner tout à l’heure. J’aimerais juste savoir si tout va bien, vous comprenez ?

Je lance un coup d’œil aux deux infirmières toujours occupées à bavarder à mi-voix, espérant attirer leur attention mais je comprends rapidement que c’est peine perdue. Je retiens un grommellement de contrariété. J’aurais vraiment préféré ne pas avoir à gérer ce genre de choses dès mon premier jour. Je ne suis sans doute pas encore prête pour ça…

Prenant une profonde inspiration, je me redresse toutefois du mieux que je peux afin de faire face au patient et plante mon regard dans le sien en reprenant, aussi sûre de moi que possible :

— Je ne suis malheureusement pas médecin Monsieur. Je ne peux pas répondre à vos questions mais, si vous le désirez, vous pouvez toujours me donner le nom de celui qui s’occupe normalement de votre femme et je vais lui faire passer le mot de venir vous voir.

Je suis assez fière de ma réponse. Simple, claire, efficace. Plutôt étonnant au vu du mal de crâne persistant que je me coltine depuis deux bonnes heures.

— Vous ne pouvez rien me dire ? répète l’homme en écho à mes propos, interloqué.

Pendant quelques secondes, je suis prise d’un affreux pressentiment et je m’apprête à pivoter à nouveau sur moi-même pour m’éclipser rapidement le plus loin possible lorsque l’homme reprend, d’une voix encore plus grave :

— Mais, excusez-moi, vous portez bien une blouse non ? A quoi vous sert-elle si vous n’êtes pas médecin ? Vous êtes qui au juste ?

Mon assurance se fissure entièrement. Je reste bouche bée. Non, je ne suis pas médecin et alors ? Cela ne me donne-t-il pas le droit d’être aussi un tant soit peu considérée ? Une colère sourde et douloureuse me brûle la poitrine. Mais la colère n’est en rien une arme efficace, me réplique ma conscience et je ne peux que lui donner raison. Cet homme est avant tout un mari et un mari désemparé. Le mépriser et l’injurier ne serviraient qu’à augmenter sa colère. J’inspire donc à nouveau profondément avant de répondre, le plus calmement possible.

— Je suis désolée que vous ayez pu être induit en confusion mais je ne suis pas interne en médecin mais en pharmacie et mon rôle n’est pas de…

— Je me fiche royalement de votre rôle ! Je vous ai dit que je voulais voir un médecin bordel de merde !

Les hurlements du patient me prennent par surprise et je suis obligée de faire un pas en arrière cette fois pour mettre un peu de distance entre nous. Son visage est rouge de colère et il serre les poings. La situation est totalement en train de m’échapper…

Semblant réagir pour la première fois à ce qu’il se passe autour d’elles, les deux infirmières bondissent enfin de leur siège pour venir me porter secours.

— Qu’est-ce qu’il se passe Monsieur Petit ? demande l’une d’elles, de sa voix douce et mélodieuse, une voix que je lui aurais bien envié si je n’étais pas encore sous le choc.

— Il se passe que j’ai demandé à voir un médecin pour ma femme il y a de ça plusieurs heures et que personne dans ce foutu service n’est capable d’accéder à ma demande ! Non mais vous vous rendez compte ! Où va-t-on ? Si vous n’êtes pas capable d’assurer correctement votre service, je vais demander à ce que ma femme soit transférée le plus rapidement possible hors de cet hôpital !

— Allons allons Monsieur Petit, tente de temporiser l’autre infirmière en venant presser l’épaule du patient avec délicatesse, on vous a déjà dit tout à l’heure que votre femme était entre de bonnes mains. Les médecins sont juste actuellement un peu débordés mais ils ne vont pas tarder à venir vous voir, j’en suis sûre.

La première infirmière s’écarte afin de venir se pencher sur moi, les sourcils froncés.

— Va chercher le docteur Barbier tu veux ? Dis-lui que c’est pour une urgence, murmure-t-elle sans quitter des yeux sa collègue occupée à ramener docilement le patient devant la chambre de sa femme.

Comprenant que son ton ne souffre pas de refus, je hoche la tête et disparais rapidement à travers la double porte battante. Je suis encore fébrile et je sens mes doigts trembler en cherchant désespérément mon badge dans ma poche. Je l’extirpe péniblement et l’insère dans la fente du lecteur ouvrant la porte de la salle des internes. Cette dernière se déverrouille avec un déclic sonore et je me précipite plus vite que je ne l’aurais voulu à l’intérieur de la pièce. J’espère de tout mon cœur y trouver Alexandra mais cette dernière n’y est pas. En revanche, Maude et Claire me lancent un regard étonné.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? interroge Maude, les sourcils haussés.

Je secoue la tête afin de reprendre mes esprits et ralentir les battements de mon cœur. Pas de quoi paniquer, me sermonné-je.

— On a un souci avec le mari de la six je crois. Il veut parler au docteur Barbier de toute urgence. Vous savez où je peux le trouver ?

Maude et Claire se retournent d’un même mouvement et je me fige lorsque leurs deux regards se posent sur la silhouette d’Ethan. Ethan Barbier ? Bien entendu ! Je laisse échapper un petit rire goguenard. Il ne manquait plus que ça bien sûr…

— Tu as entendu Ethan ? demande Claire, un patient demande à te parler.

— Oui j’ai entendu, réplique le jeune homme sans quitter l’écran de son ordinateur des yeux.

— Et donc ?

— Je termine ce que je fais et j’y vais.

— Pas sûre que les infirmières arrivent à le retenir encore longtemps, l’informé-je. Il avait l’air vraiment contrarié de ne pas avoir eu de nouvelles.

— Parce qu’ils croient qu’on n’a que ça à faire ? Allez leur donner des nouvelles toutes les deux minutes… Si certains internes ont le temps de faire une pause pipi toutes les heures, ça n’est malheureusement pas mon cas.

J’encaisse le coup. Décidément, je ne comprends pas cet homme.

— Excuse-moi, dis-je d’une voix plus amer que je ne l’aurai voulu, ce qui me vaut un coup d’œil étonné de la part de Claire et Maude. Mais c’est quoi ton problème avec moi hein ?

Ethan lâche enfin la contemplation de son écran, hébété. Je crois lire de l’étonnement dans son regard d’un noir profond.

— Il n’y a aucun problème, lâche-t-il, glacial, tu te fais des idées.

— Ah oui ? Ne me raconte pas de conneries tu veux ! Tu as passé ta journée à me regarder de travers ou me lancer des pics ridicules au sujet de mon incompétence. Qu’est-ce qui te gêne au juste ? Tu te penses supérieur c’est ça ?

Je suis sur le point d’exploser. L’angoisse, la fatigue et la colère ont raison de ma patience et je serre les poings, ivre de rage et de déception face au comportement désinvolte de l’interne. Ce dernier se détourne, comme ennuyé par la tournure prise par la situation.

— Je te répète que tu te fais des idées. Tout va bien, détends-toi. Je ne te regarde pas de travers et je ne passe pas mon temps à te vanner, j’ai d’autres choses à faire crois-moi. Tu n’es pas le centre du monde, loin de là.

Je sens des larmes bouillantes me monter aux yeux. Pas le centre du monde ? Cette réplique a le don de me briser en mille morceaux sans que je ne sache pourquoi.

— Pas le centre ? répété-je d’un ton glacial, très bien. Eh bien, tu sais quoi ? Je crois que nous avons définitivement un problème toi et moi. Et le mien, c’est que je ne te supporte tout simplement pas, voilà tout.

J’ai bien conscience de passer pour une gamine capricieuse en cet instant mais c’est la seule chose que je sois capable de dire. Sans lui laisser le temps de répondre cette fois-ci, je rassemble mes affaires, attrape ma bouteille d’eau et sors sous les regards médusés de Claire et Maude. La porte s’est à peine refermée dans mon dos que j’entends Claire demander ce qu’il se passe. Je ne prends pas le temps d’écouter la réponse d’Ethan. Je la connais et n’ai pas envie de l’entendre. Mon cœur se serre au fond de ma poitrine. J’ai l’impression d’étouffer. Pourquoi est-ce que ça fait si mal ? Je ne le connais pas, je ne sais rien de lui. Pourtant, chacune de ses remarques a le don de me faire me sentir encore plus petite et chétive que la précédente.

Je retiens difficilement un sanglot. Bordel de merde ! Je suis véritablement exténuée et j’ai besoin de dormir, de penser à autre chose qu’à tout ce foutu merdier autour de moi. Alors je prends une profonde inspiration et je me dirige d’un pas traînant jusqu’à l’escalier dérobé menant à la PUI afin de mettre un terme définitif à cette horrible journée.

***

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