[4] Prends garde... (6/7)

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[6.]

— Tu ne vas quand même pas retourner dormir toute seule en bas ? Tu n’as pas froid ? Je suis presque sûr que la PUI ne dispose pas d’un chauffage centralisé…

Il est vingt-trois heures passées et Ethan avale une nouvelle salve de M&M’s, l’air songeur. Je tombe à la fois physiquement et psychologiquement de fatigue mais je m’efforce de rassembler mes pensées avec une moue boudeuse afin de former une phrase cohérente, ramenant encore un peu plus mes genoux vers ma poitrine, comme une enfant lovée sur sa chaise.

— Je me sens très bien en bas ! protesté-je gentiment en étouffant un bâillement. Il n’y a presque pas de bruits à part celui des frigos de la pharmacie et il ne fait pas si froid que ça !

— Ah oui ?

Ethan m’adresse son plus beau sourire railleur. Je marmonne en plongeant ma tête entre mes genoux.

— Bon, ok… J’ai peut-être… peut-être un peu monté les radiateurs pour être honnête…

Ethan se retient visiblement de rire, tendant la main en direction du paquet de bonbons déjà bien entamé. Je n’en reviens pas de tout ce que ce gars est capable d’avaler à cette heure ! Lui qui ne semble pourtant jamais manger !

— C’est bien ce que je disais !

Je ressens une brusque envie de frapper l’épaule du jeune homme affalé sur le siège à quelques centimètres seulement de mes jambes afin de faire disparaître son insupportable sourire condescendant de son visage. Lorsque ses lèvres s’étirent encore pour découvrir ses impeccables dents blanches malgré la cigarette, je comprends que le jeune homme n’a pas eu besoin de lire dans mes pensées pour deviner la suite des évènements.

— Et si je te proposais mieux ? demande-t-il tout de même en lançant l’un des ronds en chocolat dans les airs avant de le rattraper habilement dans sa bouche.

J’ouvre de grands yeux stupéfaits ne sachant pas vraiment si je dois rire ou m’inquiéter de la proposition plutôt indécente de l’interne.

— Je te demande pardon ?

Ethan hausse négligemment les épaules, faisant sauter un nouveau chocolat dans les airs.

— Une meilleure offre, du genre : une chambre avec deux vrais lits un peu plus confortables que ton lit de camp provisoire, un chauffage plutôt exceptionnel je dois bien le dire et deux super couettes, tu en dis quoi ?

J’explose de rire. Ethan se retourne pour me dévisager, sidéré par ma réaction.

— Qu’il est tout bonnement hors de question que l’on dorme dans la même pièce toi et moi !

Le jeune homme semble vexé en glissant un énième chocolat dans sa bouche.

— Pourquoi ? demande-t-il tout en croquant calmement la coque du M&M’s, son regard rivé sur moi.

J’essuie tendrement le bord de mes yeux en réfléchissant rapidement à une excuse plausible à mon refus. Bien sûr, je ne compte absolument pas lui dire que c’est parce que je ne veux pas dormir avec lui, ou avec tout autre garçon que ce soit.

— Parce que je suis sûre que tu es le genre de gars à ronfler ou parler dans ton sommeil et que je tiens à passer une nuit à peu près correcte… expliqué-je donc sur le ton que j’espère le plus naturel au monde.

Le sourire carnassier qui illumine le visage de mon interlocuteur me fait me recroqueviller un peu plus sur ma chaise.

— Dis plutôt que tu as peur qu’il puisse se passer quelque chose entre nous hein ?

Je rougis brusquement et détourne les yeux en direction de mes ongles, espérant me soustraire à sa vue.

— Pas du tout !

Ethan hoche la tête, l’air peu convaincu toutefois.

— Si tu le dis… reprend-il tout en préparant un nouveau lancer. N’empêche que les lits sont vraiment hyper confortables et que…

— N’insiste pas, je n’irais pas !

Ma réaction subite détourne son attention et je rattrape de justesse le chocolat avant qu’il ne retombe sur son front. Tout en soutenant son regard étonné, je glisse le chocolat dans ma bouche d’un air provocateur. Le sourire moqueur d’Ethan refait son apparition.

— Trouillarde !

— N’importe quoi !

— Si !

— Non !

Se mouvant sur sa chaise pour se tourner dans ma direction, Ethan se penche en avant, me jaugeant de ses yeux noirs et profonds si déroutants. Je tressaille en tentant de soutenir son regard sans vaciller. Une étrange sensation envahit mon corps tout entier sans que je ne parvienne à définir quoi. Lorsque le regard d’Ethan me quitte enfin, je sens une vague de soulagement décrisper chacun de mes muscles.

— Bien, soupire-t-il en venant reprendre position pour poursuivre son petit jeu de lancers. Alors explique-moi donc pourquoi tu préfères dormir dans une pharmacie sombre et froide, seule, alors que je t’offre presque un cinq étoiles ici, en service ?

J’inspire profondément tout en réfléchissant. Bien sûr, comme toujours, je ne sais pas quoi répondre. Il n’a pas tort et mon silence lui donne encore une fois raison. Je finis par pousser un long soupir désemparé, agacée.

— Tu ne respectes vraiment rien ni personne, fais-je remarquer.

Ethan roule des yeux face à moi.

— De quoi as-tu si peur au juste ? demande-t-il en se hissant sur un coude pour m’observer. De moi ? De mon intelligence légendaire ? Ou de ma beauté naturelle peut-être ?

Je ne peux retenir une petite tape amicale sur l’épaule du jeune homme en riant.

— Oh allez ! Avoue-le : tu craques pour moi, non ? Elles craquent presque toutes pour moi de toute façon…

Je sens mon cœur se resserrer au fond de ma poitrine. Elles craquent toutes pour lui… Bien sûr qu’elles craquent toutes pour lui et le fait qu’il en ait probablement conscience est encore plus douloureux. Ethan semble percevoir mon trouble car son regard me dévisage à nouveau, l’étincelle brillant dans son regard ayant cette fois-ci disparue au profit d’une expression plus intriguée qu’inquiète.

— Dis-moi à quoi tu penses s’il te plaît. Dis-moi ce qui te fait si peur…

Sa voix semble plaintive, presque comme une supplique. Je pose un regard douloureux dans sa direction, plongeant mes yeux dans les siens, à la fois si beaux et si terrifiants à la fois. Si peur ? Un milliard de bonnes raisons devraient me pousser à avoir peur de dormir avec ce gars, à commencer par la plus évidente d’entre elles : je ne le connais pas. Enfin, pas assez.

Je hausse les épaules.

— Je n’ai pas peur de toi, je mens, et je ne pense pas à grand-chose là, tout de suite.

— Ah.

Ethan hoche la tête en silence mais je sais qu’il ne me croit pas. Ses yeux détaillent en silence les traits de mon visage, s’arrêtant brièvement sur mes lèvres charnues puis il se détourne, croisant les bras sur sa poitrine, comme s’il réfléchissait à la meilleure façon d’amener les choses.

— Tu sais, la salle de garde n’est pas grande mais je peux t’assurer que les deux lits qui sont situés à l’opposé l’un de l’autre sont vraiment confortables. Et non, pour ta gouverne, je ne ronfle pas. Je ne parle pas non plus – sauf pour marmonner des protestations lorsqu’une fille vient plaquer ses pieds ou ses mains gelés contre moi en pleine nuit –. Et je ne fais même pas partie de ses gens qui bougent pendant leur sommeil donc tu vois, tu peux être tranquille, tu devrais passer une bonne nuit. Fais-moi confiance.

Je sens mes joues s’échauffer. Ethan sourit doucement à mon intention.

— Oh, et puis, je ne fais pas non plus partie de ces mecs particulièrement relous qui tiennent absolument à coucher pendant leurs nuits de garde avec tout le personnel de cet hôpital donc non, je ne te toucherais pas si tu ne le veux pas. Convaincue ?

Je me force à secouer la tête en riant, presque gênée par tant de confessions.

— Je te préviens que si ton foutu bipper me réveille en pleine nuit, je te jure que je le lance contre le mur le plus proche, c’est clair ? dis-je tout en me levant pour aller récupérer mes affaires à la PUI.

-

Ethan ne m’a heureusement pas menti : bien que la pièce soit bien plus petite et bien moins lumineuse – sans doute à cause de l’unique minuscule fenêtre percée dans le flanc nord - que toutes celles du même étage, la chambre de garde contient bien deux lits se faisant face, situés chacun contre un mur. Si le premier – le plus proche de la porte – semble avoir été utilisé et défait, le second, plus éloigné, ne parait pas avoir été touché. Je me dirige donc sans réfléchir dans sa direction afin d’y poser mes affaires.

Ethan pousse un soupir en s’étirant avant de retirer l’épaisse blouse en coton blanc de ses épaules.

— Dure journée, hein ? raille-t-il tout en passant son pull à col échancré par-dessus sa tête.

— Putain de merde Ethan ! Tu ne vas quand même pas te déshabiller ici ?

Je pivote brusquement sur mes talons afin de me mettre dos au jeune homme torse nu, sentant le rouge me monter aux joues. Bien que je commence à apprécier l’idée de dormir avec Ethan, je n’avais encore tout simplement pas envisagé la possibilité de l’exposition de nos vies intimes… Merde, un peu de respect quoi !

— Pourquoi ? s’étonne le jeune homme, ce n’est pas à notre âge que l’on découvre l’anatomie non ? On a globalement fait les mêmes « soirées » je suppose donc – et j’espère - n’être ni le premier ni le dernier homme que tu verras à poil dans ta vie…

Je secoue la tête en poussant un soupir exaspéré.

— Ce n’est vraiment pas une raison valable !

J’entends Ethan râler en riant avant d’ajouter :

— Tu peux te retourner, je ne compte pas retirer mon jean tout de suite. Et si ça peut te rassurer, je vais prendre le temps de me brosser les dents, ce qui va me prendre quoi, deux ou trois minutes à tout casser, mais je ne serai donc plus dans la pièce et notre sainte vierge Laura aura donc tout le loisir de pouvoir se changer en toute intimité.

J’attrape l’oreiller posé sur mon lit et me retourne afin de le lui lancer en pleine figure, faussement indignée. Le jeune homme le réceptionne habilement en riant.

— Je ne suis pas une sainte vierge ! boudé-je.

— Excuse-moi, tu en as tout l’air pourtant !

Je me retourne à nouveau afin d’attraper le premier truc lançable à ma portée mais, malheureusement pour moi, le lit ne contenait qu’un seul et unique oreiller et je ne dispose donc plus que de maigres projectiles que je n’hésite néanmoins pas à jeter dans l’air froid de la pièce.

— Sors donc de cette chambre !

— Oui Vierge Marie. Bien Vierge Marie. A vos ordres Vierge Marie.

— Ethan !

— Je sors, je sors, ça va !

La silhouette grande et élancée du jeune homme se faufile à travers l’encadrement de la porte en riant. J’attends quelques secondes supplémentaires afin de m’assurer qu’il se soit bien éloignée en me laissant seule avant de me déshabiller avec précipitation pour enfiler mon vieux bas de jogging et mon pull. Je me félicite intérieurement d’avoir choisi une paire de dessous en dentelle fine présentable, même si mon « colocataire » ne sera pas prêt de les voir ce soir.

Je termine de me coiffer lorsque le froid de la pièce m’envahit subitement, m’arrachant un frisson. Je contrôle rapidement le curseur du radiateur de la salle de garde et constate avec soulagement qu’Ethan doit au moins être aussi frileux que moi, à en juger par la température programmée à l’écran. Je me glisse donc dans le lit avec enthousiasme, prenant soin de remonter la couverture jusque sur mes épaules, bien trop heureuse de retrouver un peu de chaleur après cette dure journée de labeur.

Je consulte l’écran de mon téléphone portable. Dix minutes se sont presque écoulées et Ethan n’est toujours pas revenu. Je ne peux m’empêcher de l’imaginer en train de discuter avec la belle blonde au teint buriné et un flot de sentiments contradictoires m’envahit. Mais qu’est-ce qu’il m’arrive franchement ? Je me penche pour brancher le chargeur de mon téléphone à la prise la plus proche et profite de mon laps de temps de repos pour faire un peu de tri dans ma boîte mail.

J’ai le temps de consulter presque entièrement chacun des messages et répondre à tous mes sms sans qu’Ethan ne reparaisse. Après un bref contrôle de la programmation de mon réveil, je me glisse un peu plus sous les draps, les paupières lourdes de sommeil. Il doit être près de minuit et je commence sérieusement à fatiguer. Je ne suis décidément pas faite pour les gardes, songé-je en sentant le sommeil me gagner.

J’ignore combien de temps je me suis assoupie mais la porte de la salle de garde s’ouvrant en grinçant me tire d’un demi-sommeil sans rêve. J’entrouvre une paupière afin de vérifier l’identité de l’importunant, reconnaissant presque instantanément la silhouette d’Ethan dans l’encadrement. A en juger par le concert de chuchotements pressés dans la pièce, je comprends que le jeune homme est en train de se disputer avec quelqu’un. Quelqu’un que je n’aperçois pas de l’autre côté de la porte malgré mes plissements de sourcils.

— On en reparlera plus tard, je suis fatigué, annonce froidement Ethan. Laisse-moi dormir maintenant.

J’entends plusieurs protestations outrées lui répondre mais, sans paraître s’en formaliser, le jeune homme referme sèchement la porte, mettant fin de façon plutôt impolie à la discussion. Je frissonne. Adossé contre la porte, je vois Ethan froncer les sourcils. Fais semblant de dormir, m’intimé-je, fais semblant de dormir.

Un glissement sur le sol. Merde ! Il approche ! Je ferme les yeux, forçant ma respiration à reprendre un rythme convenable. Derrière mes paupières closes, je sens le jeune homme approcher, réfléchir, s’accroupir. Il agite délicatement une main dans l’air froid, dégageant autour de moi un parfum agréable, suave, envoûtant. Je m’efforce de ne pas bouger d’un iota. Bordel, qu’est-ce que j’aimerais pouvoir ouvrir ne serait-ce qu’un œil !

Ethan semble hésiter. Sa main frôle la mienne tenant encore mon téléphone portable. Ne pas tressaillir, ne pas tressaillir… Ses doigts agrippent le cellulaire pour le dégager doucement de mon étreinte. J’entends le son d’un objet posé sur la table de chevet et je dois retenir un soupir de soulagement en songeant qu’il n’a pas cherché à le consulter. Ce que j’aurais pourtant fait dans le cas contraire…

Du mouvement près de moi annonce qu’Ethan s’est éloigné. Avec une prudence presque excessive, je me décide à ouvrir à demi mes paupières. La silhouette du jeune homme se dessine dans la pièce dans un jeu d’ombres et de lumières. Je me sens rougir à l’idée de l’espionner ainsi, à ses dépens, mais je me justifie en songeant que cela sera sans doute aussi l’une des rares occasions à se présenter. Et je dois bien l’admettre : Ethan Barbier est vraiment plutôt beau garçon. La finesse de ses muscles, l’élancement de sa silhouette, la beauté de sa peau… Tout en lui aspire à l’attirance et une attraction irrépressible, irrésistible…

Un déclic retentit et la pièce se retrouve plongée dans le noir complet. Je ravale de justesse un couinement de contrariété. De l’autre côté de la pièce, Ethan cesse brusquement son mouvement. Je serre les paupières. Putain, mais qu’est-ce qui m’a pris déjà de faire ça ? Je me surprends à prier pour que le jeune homme ne se décide pas à rallumer la lumière. De longues secondes s’écoulent dans une sorte de silence terriblement oppressant puis je l’entends à son tour se glisser dans son lit en soupirant. J’expire de soulagement. Un léger ricanement brise le silence.

— J’aurais dû me douter que tu ne dormais pas… murmure Ethan.

Je préfère ne pas répondre, un sourire étirant mes lèvres pulpeuses. J’entends le jeune homme pousser un nouveau soupir en se tournant et je ferme les yeux, m’endormant presque instantanément, exténuée par tant d’émotions.

***

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