Chapitre 2 - Obscurité - Partie 3

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Phel, assis dans un des sièges adaptables du transporteur, vérifiait, une fois de plus, dans les grandes lignes les étapes de la courte expédition. Par la grande vitre qui s’étalait tout le long de l’avant du véhicule, il aperçut Trabo s’approchant. Il se leva, se dirigea vers l’un des accès. Il ouvrit la porte, descendit les petites marches rétractables et le rejoignit. Arrivé à sa hauteur, il le déchargea d’une mallette.

« Merci, je ne sais pas si c’est psychologique, mais elle m’a paru peser une tonne, dit Trabo en se détendant le bras.

— Ce doit être dans ta tête, nos corps ont été forgés à résister à une gravité sensiblement plus importante », répondit Phel, retournant vers le transporteur.

Trabo monta à l’arrière du véhicule pour y déposer son matériel. La soute, large et spacieuse, était équipée pour une courte expédition. L’arrière du transporteur se composait de quelques caisses de rangement, d’un petit laboratoire d’analyse polyvalent et d’un espace de couchage pour deux personnes dont la taille conviendrait aisément à deux colons de corpulence moyenne. Au-delà, il fallait aimer la promiscuité. En cas de besoin, les caisses de rangement pouvaient laisser place à l’accueil de personnel supplémentaire. Au total, six personnes pouvaient utiliser le transporteur pour de courtes missions de reconnaissance. Deux autres transporteurs, plus massifs, étaient en cours d’assemblage sur le camp. Ils permettraient chacun de projeter une décurie à bonne distance du camp, avec une autonomie de plusieurs jours.

De retour dans la cabine de pilotage, Phel détailla à Trabo un peu plus l’excursion qu’il avait concoctée. Elle consistait à la récupération de roches et de minerais détectés quelque temps plus tôt sur un plateau situé à l’Est du camp de base Alpha. La mission de son compagnon serait de faciliter et d’accélérer l’analyse préliminaire des matériaux collectés. En outre, dans les premiers temps de la colonisation, il était formellement interdit de s’aventurer seul, pour des raisons évidentes de sécurité, en terrain inconnu.

« On est partis ? », lança Phel.

Trabo vérifia rapidement son PIM.

— Pas de retour de Vidar concernant ma dernière intervention, on peut y aller, répondit Trabo sur le ton de la plaisanterie.

Installé confortablement, Phel enclencha le pilotage automatique du transporteur en direction du site qu’il avait sélectionné.

— Dans un peu plus de deux heures, nous serons arrivés à destination. Je vais préparer quelques modèles d’analyse sur mon PIM, dit Phel.

— De mon côté, je vais dans la soute pour faire une petite sieste d’une vingtaine de minutes, » lui répondit Trabo, qui se leva et se dirigea vers l’arrière du transporteur.

Le véhicule démarra en silence. Seul le son de ses roues sur le sol rocailleux de Parelas-d était audible à faible distance. En quelques minutes, le camp embryonnaire ne semblait plus qu’un léger renflement sur l’horizon. La graine, elle, s’en détachait telle un ultime repère de la civilisation humaine.

L’après-midi était bien entamée. Dans le camp Alpha, l’activité des colons ne ralentissait pas. Tout restait encore à faire. Établir les lignes de ravitaillement, de communication et d’alimentation en courant étaient les premières priorités. Le confort et les loisirs ne viendraient pas avant un bon moment. Avant de partir du vaisseau mère, beaucoup de colons avaient profité de la multitude d’activités culturelles ou sportives disponibles à bord. Dans la tente du centre du camp Alpha, Meltia avait réuni quelques-uns des décurions pour faire le tour des différents problèmes et avancements de l’établissement du camp embryonnaire. Elle avait déjà en ligne Milo Vard dont le visage s’affichait sur les pupitres de contrôle.

« L’installation sur le camp avance à grands pas. L’activité ne semble pas faiblir. Tous les paramètres sont au vert, lança Milo Vard.

— Effectivement, l’ensemble des tentes ont été montées et alimentées en énergie. Nous avons pu progresser sans problème majeur. Pour certains secteurs, nous allons pouvoir passer sur les phases d’exploration aux abords du camp. Plusieurs sites préalablement repérés par les sondes seront visités. Trois ont été retenus, répondit Meltia.

Les trois décurions conviés, un homme et deux femmes, entraient dans la salle aux pupitres.

— Vous tombez à point nommé. Installez-vous, dit Meltia en indiquant de sa main ouverte des sièges vides à sa droite.

— Nous discutions tout juste avec Milo des trois missions à venir. Vous avez pu en lire les détails sur vos PIMs ?

Ils saluèrent Milo Vard et acquiescèrent en cœur.

— Très bien. Vous avez des questions ? Allons-y. »

La première requête émanait de la plus jeune des décurions. Elle souhaitait avoir l’autorisation de l’utilisation au sol d’une sonde supplémentaire pour le site que son équipe allait parcourir. Requête qui fut acceptée après une légère explication avec Vidar. Les deux autres remontèrent quelques demandes logistiques liées à l’établissement de leurs équipes respectives dans le camp Alpha.

« Je tiens à rappeler que toute découverte, d’importance moyenne à élevée, doit être transmise au plus vite sur le vaisseau mère tant que la réplique de l’Encyclopedia Humanis 55 Cancri ne sera pas répliquée sur Parelas-d, rappela Milo Vard aux décurions. D’ailleurs Meltia, j’ai vu remonter une information indiquant l’utilisation d’un transporteur par l’équipe de Lekia. Pourriez-vous m’en dire un peu plus ?

— Effectivement, cette équipe est plutôt en avance sur son installation. La demande émanait du géologue Phel. Il souhaitait observer une formation rocheuse située à l’Est du camp de base Alpha. Lekia l’y a autorisé et m’a tout de suite avertie. Concernant l’Humania, l’archiviste Celet n’a pu les accompagner, il finalise une des toutes premières parties de la réplique, détailla Meltia.

— Ils connaissent les procédures en cas de découverte importante. Leur archiviste a établi un lien indirect avec le vaisseau mère via un des satellites en orbite, ajouta-t-elle.

— Rien à redire. Ils ont effectivement rapidement progressé. Mais ne mélangeons pas rapidité et précipitation. Ces premières phases d’installation sont toujours empreintes d’une certaine excitation. Qui ont parfois, dans le passé de notre lignée, conduit à des situations funestes. La prudence reste la règle. Restons cependant positifs, je vous souhaite à tous de belles découvertes. », conclut Milo Vard.

Les pupitres de contrôle reprirent leurs fonctions initiales, affichant des données de toutes sortes sur le camp de base Alpha. Les décurions prirent congé. Au passage, l’un d’eux fit remarquer à Meltia : « Ils ne devraient pas tarder à arriver sur site », en indiquant une carte de la zone de Parelas-d qui montrait un transporteur se dirigeant à l’Est.

Le paysage rouge s’étalait face à Phel. La forte gravité avait, en plus de l’érosion, facilité le lissage du sol. À part le franchissement de certains dénivelés, le voyage en transporteur n’avait pas été chaotique. Au loin, une grande barrière noire dessinait l’horizon.

« Regarde Trabo, on voit la végétation parélienne au loin.

Trabo leva les yeux dans la direction que Phel indiquait.

— C’est fantastique, j’ai hâte que les biologistes nous remontent plus d’éléments la concernant. Les premières analyses effectuées par les sondes indiquent une certaine, et étonnante, ressemblance avec les algues.

— Dans cette zone désertique, c’est d’autant plus étrange. Et cette capacité de se mouvoir si rapidement est impressionnante, renchérit Phel.

— C’est vrai, son recul de la zone de débarquement a suscité beaucoup d’émoi à bord du vaisseau mère. D’autant plus qu’elle semble être la seule vie existant sur l’ensemble de la surface de Rød, ajouta Trabo.

— Ah! J’aperçois la zone d’arrivée. Je vais préparer la mallette d’analyse », dit Phel en se levant de son siège.

Le transporteur s’arrêta à l’endroit précis indiqué préalablement par Phel. Le voyage s’était passé sans encombre. Phel et Trabo sortirent les différents matériels de la soute. Phel regarda son PIM. Une simple balise indiquait la zone précise à fouiller. Les deux colons marchèrent dans sa direction. Ils installèrent du matériel aux abords du site de fouilles. Phel s’assura que son PIM était bien relié sur le canal que Celet leur avait attribué.

« Nous allons pouvoir commencer. Tu te sens d’attaque ?, demanda Phel.

— Pas de souci. Le matériel est prêt et calibré. C’est parti », répondit Trabo.

À l’aide de la foreuse portative, Phel entama la roche parélienne. Cela lui remémora instantanément des souvenirs de ses années passées dans les mines de Sikrat sur Baure. Il y avait repris le travail de sa mère, géologue elle aussi. Il s’était spécialisé sur une roche particulière, endémique de Baure. Elle combinait des propriétés supraconductrices inédites. Les analyses montrèrent qu’elle pouvait être utilisée pour améliorer les systèmes électroniques. Le site 4HE, sur lequel il se trouvait en compagnie de Trabo, l’avait tout de suite intéressé. Une roche présentant des similitudes avait été détectée par les sondes. Après une bonne heure de travail, Phel ressortit un échantillon de ladite roche. Trabo avait analysé, pendant ce temps, d’autres éléments rencontrés lors de la percée, dans les strates supérieures.

« La voilà ! », s’écria Phel. Il était comme fasciné. À première vue, elle avait les mêmes reflets métalliques que la roche baurienne. Sa densité était différente. Au contraire de celle de Baure, elle affleurait presque sous le sol de Parelas-d. Phel et Trabo ramassèrent les différents matériels qui ne pouvaient rester sur site. Ils partirent en destination de la soute du transporteur. Depuis son PIM, Trabo avait calibré les différents outils d’analyse du transporteur.

« Je ne doute pas de ton empressement d’analyser cet échantillon. Tout est prêt, dit-il.

— Merci infiniment Trabo, j’ai hâte d’en savoir plus sur elle, dit Phel dont on sentait toujours l’excitation dans la voix. Pourtant les résultats ne seraient pas disponibles immédiatement. Et sa patience allait être mise à l’épreuve.

— Va te reposer un peu. Je te préviendrai dès la fin de l’ensemble des analyses, dit Trabo. Mieux vaut que tu sois en pleine forme pour annoncer cette découverte, ajouta-t-il.

— Tu as raison. Je vais profiter un peu du confort du transporteur. Sinon, tu m’aurais sur le dos toutes les cinq minutes, répondit Phel.

— C’est bien pour ça que je t’y invite », sourit Trabo.

De retour dans la cabine de pilotage du transporteur, Phel s’accorda quelques instants de rêverie en observant l’horizon rouge et sombre de Parelas-d. Il vérifia les différentes analyses établies par Trabo. Plusieurs roches étaient communes à celles trouvées sur les différentes planètes colonisées par la lignée 55 Cancri, dans des proportions différentes et des configurations diverses. Sentant la fatigue, il referma son PIM et appuya sa tête sur un des rebords du siège. Il ferma les yeux et s’endormit.

Le PIM de Lekia l’avertit d’une communication entrante de Phel et Trabo. Elle l’accepta.

« Salutations à vous, comment se déroule votre expédition ?

— Tout se passe bien. Nous avons déjà, à mon avis, effectué une belle découverte, dit Phel avec empressement. Outre bon nombre de roches diverses et communes, j’ai trouvé une roche semblable à la roche baurienne sur laquelle j’ai travaillé quelques années. Avec une particularité : on l’a trouvée à faible profondeur et à profusion sur ce site, ajouta-t-il aussitôt.

— Ce type de roche n’avait pas permis de… commença à demander Lekia.

Dans le transporteur, la communication cessa.

La soute devint sombre. Une légère lueur apparaissait vers la cabine.

Trabo déboula dans la soute, l’air terrifié.

« Phel ! Les algues sont apparues d’un seul coup ! »

La cabine se verrouilla automatiquement.

Il referma la porte de la soute rapidement.

« Rentre dans le caisson étanche à ta droite et mets ça ! », cria-t-il à Phel, lui tendant un casque pour respirer en environnement hostile, attrapé à sa gauche.

Phel se leva. Enfila sur sa tête le respirateur. Passa une jambe.

Il eut à peine le temps de se retourner que Trabo le poussa violemment à l’intérieur du caisson. Phel sentit une vive douleur dans sa jambe gauche. Il n’eut pas le temps de se retourner que le couvercle se referma sur lui. Sa combinaison se mit à briller. Il serra les dents pour ne pas hurler. Un bruit sourd venait de retentir. Puis le silence s’ajouta à l’obscurité du caisson auréolé de la luminosité de sa combinaison. Il sentit l’effet des anesthésiants qu’elle lui injectait. Phel sentit à peine vaciller son esprit.

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