14. Echelle céleste

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Lorsque j’avais appris la nouvelle, je n’avais ressenti absolument aucune émotion. Je n’étais ni attristée, ni réjouie. Ni satisfaite, ni ennuyée. J’ai simplement été prise d’une grande apathie et d’une froide indifférence, face à son sort. A cet instant, j’ai compris que je serai en réalité parfaitement capable, si devoir obligeait, d’assassiner une personne de mes propres mains. J’étais consciente que ceux-ci étaient maculés de sang, à présent. Et malgré tout, je continuais à vivre avec la même plénitude.

Après tout, je n’étais pas responsable aux yeux de la justice ou de la loi. Je n’avais pas ordonné à cette femme de sauter, n’est-ce pas ? Oui, je n’avais absolument rien fait de mal. Quant à la feuille, heureusement que je l’avais écrite au feutre en lettres capitales. Impossible de savoir ainsi de qui cela serait. Et puis un tel papier, il était certain qu’elle s’en était débarrassée dans la panique, après l’avoir trouvé. J’avais commis le crime parfait. Aucune preuve, pas de trace, rien pour me soupçonner, même dans les scénarios les plus improbables.

Les gens penseraient simplement qu’elle s’est tuée à cause de toute la pression qu’incombait sa position de fille aînée d’un homme d’affaire friqué. Souvent, il s’avérait que ces gosses de riches soient totalement inaptes à vivre en société ou même à vivre tout court. J’en savais quelque chose. J’étais une de ces gosses de riches.

Et puis de toute façon, au vu de la notoriété qu’avait acquis la rumeur de pot de vin et autres joyeuseté du style autour du salon de coiffure, personne n’allait s’étonner de sa disparition. Elle n’en pouvait plus de vivre dans ce secret honteux et a mis fin à ses jours pour s’en libérer. C’était l’histoire la plus crédible. La plus parfaite en somme.

Pourtant, je n’en avais même pas tiré la moindre fierté.

Après tout, j’étais innocente. Je n’avais rien à me reprocher. J’étais en paix avec moi-même. Tout cela ne me concernait en aucun cas.

Je n’avais rien fait… absolument rien.

- C’est moi, qu’ai tué Carole Litwin, mon amour, j’avais prononcé, à voix haute, en y mettant toute mon énergie, dans la voiture. Aujourd’hui, peut-être que ça serait avec elle que tu conduirais une voiture, en forêt, avec vos filles à l’arrière, si je n’avais pas été là.

Après l’annonce du drame, le vent avait commencé à véritablement tourner pour moi. J’avais attendu quelques semaines pour me rendre au restaurant où il travaillait. J’avais bien choisi ce jour : celui de mes 20 ans. Le 3 Avril.

Pour la première fois de ma vie, j’y étais allée à ses heures de service. Plus encore, avant de sortir de chez moi, je m’étais permise de m’appliquer une couche de rouge à lèvres. Cela n’était jamais arrivé auparavant que je sorte maquillée.

Lorsque j’avais pénétré l’enceinte du sympathique petit boui-boui, il était la première personne que j’avais vu. Au loin, je l’ai aperçu derrière son comptoir, en train de tendre des sacs à un couple en face. Je n’avais pas hésité une seule seconde à lui faire un immense signe de main, comblée de bien-être. A son tour, il m’avait repérée depuis la caisse. Là, mon sang n’avait fait qu’un tour et sans réfléchir, je me suis précipitée vers lui, euphorique. Malheureusement, je n’avais jamais réussi à gérer les spasmes et les chamboulements qui s’emparaient de moi, lorsque je le voyais. C’est sûrement pour cela que Zénaïde avait immédiatement compris que je l’aimais. Mais elle n’en avais juste pas détecté toute l’ampleur. Les sens palpitants, je m’étais lentement avancée vers lui, non sans dissimuler un gigantesque sourire.

Sa moue un peu fatiguée et un tantinet préoccupée ne m’avaient pas échappée. J’en avais très vite deviné les raisons. J’ignorais à cet instant ce qu’il s’était précisément passé entre eux mais s’ils s’étaient vu déjà au moins plus de deux fois, je comprenais qu’il se sente concerné par son sort. Mais il n’avait pas à s’inquiéter. J’allais lui faire oublier cette intrue. Bientôt, il ne verrait que moi et il se rendrait compte de combien elle ne le méritait pas et qu’elle ne représentait rien pour lui : jamais elle ne l’aurait comblé comme moi je pouvais le faire.

- Sofia ! Je t’ai proposée en décembre de passer et t’es jamais venu. Je t’entendais plus !

Je riais nerveusement. Mais à l’intérieur, j’étais tellement aux anges que je parvenais même pas à le montrer clairement. J’étais troublée par le mélimélo d’émotion contradictoires qui se bousculaient dans la tête.

- Désolée, j’ai eu pas mal de choses à gérer…

- Tes cours se passent bien avec tes parents ? Viens, assieds-toi sur un des tabouret, il m’a intimé en me l’indiquant.

Celui-ci formait avec les autres une rangée devant le comptoir. Il s’est éloigné de la caisse pour rester en face de moi. Heureusement, le restau était vide, il n’y avait aucun client pour le solliciter.

- Oui. Ça va. Enfin, on est au milieu de la première année et tout ce qu’on étudie… je le sais déjà. Alors, parfois je m’ennuie. Je sais pas trop qu’est-ce que je vais faire après ça, alors je suppose que je dirigerai la chaîne avec mes parents.

Il me couvrait de son regard bienveillant et attendri : ce regard dont lui-seul avait le secret. L’unique qui pouvait me faire vibrer.

- Tu es jeune et tu as le temps de décider de ça. Ne crois pas les gens qui disent que la vocation sonne comme une évidence, dit-il.

Je lui souriais de reconnaissance.

- Merci. Honnêtement, s’ils ne m’avaient pas suggéré de devenir apprentie là, j’aurai plutôt retenter le bac pour un master MEEF. Mais bon… et pour toi, tout roule ?

Son regard se faisait plus mystérieux. Il plissait les yeux, un sourire espiègle au lèvres.

- Toi, t’as des choses à fêter ! j’avais lancé.

- J’ai déposé mon dossier à l’IEJ en en attendant d’être accepté, je passe mes partiels dans trois semaines, alors je prie pour que tout se passe bien. Mais apparemment, je n’ai pas à m’inquiéter.

J’avais mis un peu d’impulsion sur mon bassin collé au tabouret pour avancer vers lui et lui avais asséné une petite tape amicale à l’épaule.

- Bien sûr que tu n’as pas à t’inquiéter ! Tu es le meilleur futur avocat du monde !

Les joues légèrement rosés à ma remarque, il s’était concentré de se gratter l’arrière du crâne.

- Arrête, tu me flatte.

Je profitais des petits secondes de silence qui avait suivit pour sonder son regard. Son prunelles noisettes profonds, comme j’aimais m’y plonger… je prenais toujours le temps d’admirer chaque détail de son visage angélique. Jamais je m’en étais lassée.

- Bon, aller, maintenant que tu es là, qu’est-ce que tu désires ? N’hésite pas, met tout ça sur mon ardoise.

- Ah c’est gentil… euh bah… un smoothie à la cerise, ça suffira, j’ai déjà mangé.

Il s’était retourné pour se diriger vers les cuisine où il avait épelé ma commande avant de revenir, les sourcils froncés.

- Mais attends, c’est ton anniversaire aujourd’hui, non ?

Quoi, il s’en était souvenu… comment ? Je perdais presque mes moyens. Si bien, que le cœur battant la chamade, j’étais parvenue à articuler difficilement :

- Euh oui mais, j’osais pas le dire, enfin, je ne pensais pas que tu t’en rappellerai. C’est rien, c’est un détail.

- Ne sois pas toute gênée. Pardon, j’avais oublié. Ah mais c’est pour ça le rouge à lèvres !

Il avait remué son doigt dans ma direction, taquin. Rouge de honte, j’avais maugrée :

- Non, non, enfin si mis voilà.

- Non mais en fait si, mais en fait, voilà ? Et c’est censé signifier quoi ? Il te va bien. T’es jolie, comme ça, Sofia.

Mes pensées fusaient dans mon esprit, sans logique ni retenu. Il avait bien dit ce que j’avais entendu ? J’avais tellement de peine à y croire que j’avais laissé mes joues virant au cramoisie répondre à ma place.

Un homme imposant était apparu devant l’entrebâillement d’une porte réservé au personnel, très discrètement, sans qu’on ne le remarque.

- Eh ! Greco, il avait lancé à voix haute à son intention. Tu peux te libérer plus tôt aujourd’hui !

Il semblait sérieusement soulagé à cette nouvelle.

- Ah ouais ? Oh bordel merci ! enfin, je veux dire mazette ! merci !

- Tu finis ta commande et tu peux te sauver..

Le type a quitté son refuge pour faire brièvement le tour du restaurant. Malgré son air autoritaire et le fait qu’il utilise son nom de famille, il semblait diriger cet endroit avec bonté et indulgence. Le son d’une cloche a retenti depuis les cuisine. Il est allé récupérer mon smoothie et me l’a tendu.

- Smoothie d’anniversaire, avait-il ricané. T’as 20 ans, maintenant, n’est-ce pas ?

- Merci ! Et, c’est ça. Enfin…

- Bon, je dois me sauver, Sofia. Je serai bien resté un peu avec toi mais je dois rejoindre des gens pour réviser. Mais reviens vite, ok ? Attends, tu sais, quoi ? Bouge pas.

Il avait quitté le comptoir en appelant un de ses collègues pour le sommer de le remplacer à la caisse et s’était engouffré à l’intérieur des vestiaires.

Je profitais de son absence pour avaler d’une traite ma boisson. Bon sang mais qu’est-ce que j’aime le smoothie à la cerise. C’était sa boisson préféré à lui, aussi. Et quel bon goût il avait.

Le type le remplaçant avait rejoint le comptoir, trainant des pieds avec nonchalance et m’avait détaillé quelques secondes.

- Vous ai déjà vu, ici, j’crois.

- Ah bon ? je lançais, feignant l’innocence la plus totale.

- Ouais, vous prenez toujours des smoothies à la cerise.

Bordel mais c’était qui ce mec ? Il allait tout lui balancer ? Et qu’est-ce qu’il penserait après ? Il comprendrait combien je l’aime et à quel point je veux me sentir proche de lui. Putain, mais pourquoi je n’avais pas baissé les yeux comme je savais si bien le faire.

- Ou peut-être que non, je confonds. C’est une gamine, d’habitude. C’est juste que vous lui ressemblez.

- Ah…

Heureusement, le serveur s’était totalement désintéressé de moi et je finissais d’une traite la boisson.

Quelques minutes plus tard, il était enfin revenu me sauver. Il était habillé normalement, portait son sac à dos et un casque pendait autour de son cou. Il était prêt à partir. Et moi aussi.

- Tu as finie ? il avait demandé.

- Oui, je peux t’accompagner, si tu veux.

- Viens.

Quand on était sortie, il avait dégainé son téléphone portable et m’avait proposé le graal :

- Tu veux que je te donne mon numéro ?

C’était bon. Enfin, ma chance était de mon côté. J’allais enfin commencer à l’attirer lentement vers moi, pour toujours. J’y étais presque.

Une fois nos coordonnés échangées, il m’avait proposé de me raccompagner mais je lui avais plutôt conseillé de se dépêcher à rejoindre son groupe de révision. Là, au lieu de me saluer poliment et courtoisement d’un signe de main comme d’habitude, il a approché de son visage du mien pour gentiment m’y déposer une bise sur la joue.

- Salut ! Et profite de ton anniversaire !

Et il s’est éloigné. En plus d’être le jour de mes 20 ans, je pouvais affirmer sans aucune hésitation que à cet instant, j’avais considéré que c’était le plus beau jour de ma vie. Comme si un escalier se présentait devant moi pour me mener au paradis, un monde où je serai avec lui pour toujours. Comme une échelle céleste.

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