17. Carnaval abandonné

11 minutes de lecture

Le carnaval était sur le thème du printemps. Son organisation était la suivante : la matinée serait consacrée à une espèce de mini fête foraine composée de manège et de petits stands, en tout genre, certains dédiés à des achats de souvenirs ou objets divers, d’autres à des petits jeux ou encore à la vente de nourriture. Le soir venu, le carnaval à proprement dit, se déroulerait pas loin, derrière la mairie où pleins de gens déguisés avec les couleurs de la saison défileraient, en dansant et en chantant sur des musiques entrainantes et joyeuses. La ville organisait initialement cet évènement pour les enfants mais y conviait également les adultes pour passer un moment familial. Ou… entre amis. Comme nous.

Bien évidemment, à notre arrivée, je m’étais précipitée à la pêche au canard à son grand désarroi. Il me sondait l’air désemparée de mon manque de maturité mais au fond, il était amusé et observait attentivement la guerre sans merci que je menais contre des gosses pas doués et franchement peu habiles de leurs mains. A la fin, je l’avais pratiquement supplié de se joindre à nous pour affronter un ennemi de taille mais en fait, il était pire qu’eux.

A l’issu de moultes batailles où j’y ai dilapidé presque tout mon argent de poche, les enfants et lui tous déconfits me dévisageaient avec envie alors que je recevais fièrement ma récompense.

Une figure en forme de dinosaure !

- Elle aura un magnifique effet, au-dessus de mon lit, j’avais déclaré, en la caressant. Elle est jaune en plus. La couleur de la victoire.

Il avait éclaté de rire à ma déclaration enflammée et après cette mise en bouche, nous entamions notre exploration. Sur notre chemin, alors que nous arpentions et découvrions les différents mini-jeux proposés – comme des tirs sur ballons, des pêches aux canards, des concours de culture générale, etc. – ainsi que la diversité des petits cadeaux souvenirs.

- Tu sais qu’au Japon, pendant ce genre d’évènement, on pêche de vrais poissons dans des bacs. Enfin, ils sont fins et minuscules mais ils sont vivants.

- Sérieux ? avais-je gloussé, bah qu’est-ce qu’on y attend pour y aller ?

- Tu serais une créature aquatique, toi, dans une autre vie.

J’avais nerveusement ri. Oui, j’adorais ces petits animaux trop mignons. Sans prendre en compte la menace des prédateurs, je rêvais d’être un petit poisson naviguant librement dans le monde fantastique et mystique des océans, au gré de mes envies et de ma curiosité. Je pouvais passer des heures à les regarder, lorsqu’on allait à l’aquarium, quand j’étais plus petite.

- Et toi, tu voudrais être réincarné en quoi ?

Il avait pris le temps de réfléchir un long moment. Il semblait sérieusement impliqué et après quelques secondes que j’avais passé à le détailler minutieusement, admirant chaque plis de ses sourcils qui se fronçaient brièvement, il déclarait :

- En chat. J’adore les chats, ils m’font marrer. Je suis fasciné par leur regard et ces choses qu’ils ressentent et pas nous. Et surtout, ils dorment tout le temps, quand ils veulent.

- C’est un luxe que tu ne peux plus te permettre depuis que tu es à la fac de droit ? l’avais-je taquiné.

Il poussait un soupire de désespoir.

- Si tu savais… ne fais jamais du droit, Sofia. N’en fais jamais.

On s’était toisé un instant qui m’avait paru durer une éternité, droit dans les yeux et avions éclaté de rire, de bon cœur.

- On ne se s’entendra pas vraiment, par contre, je crois, dans notre prochaine vie, ceci dit, j’avais dit, d’un ton grave.

- Bah pourquoi ?

- Les chats aiment chasser les poissons pour les manger.

Sans se contrôler, il a pouffé de rire avant de répondre :

- Bah ! On s’amuserait bien, non ? Tiens, en parlant d’eux, je paris que je peux gagner le doudou en forme de chat, là.

Il pointait du doigts un stand de tir au ballon.

- Vas-y, surprends-moi.

Il m’attrapait par les épaules et faisait mine de me manger le crâne ce qui nous faisait nous marrer tous les deux. Puis on s’était avancé jusque-là. Lui, bombant fièrement le torse sous mes gloussements ridicules, devant son cinéma.

- Bonjour ! avait beuglé, la vendeuse, tenant un fusil en carton, dans la main. Oh !

- Ah Lucie, c’est toi ? il avait demandé, tout sourire.

Quoi ? c’était qui, elle encore ? Et pourquoi il semblait se réjouit autant de la voir ?

- C’est qui ? j’avais questionné, d’une petite voix, en évitant le regard de cette femme.

- Ah ! Lucie, je te présente Sofia, et Sofia, Lucie, ma voisine. Enfin, en ce moment pas trop. T’étais plus trop chez toi récemment, non ?

- Ouais, bien vu, fallait organiser tout ça. Mais après ce soir, je vais hiberner, j’te dis. Et salut, Sofia. T’es pote avec ce looser ?

- Eh ! Il était intervenu. J’ai gardé tes petites sœurs parce que t’avais la flemme, d’ailleurs, tu me dois encore trente balles, et encore c’est pas cher payé, et tu me traite encore de looser ?

Je me retenais de la fusiller du regard et riais avec eux mais en vérité, tout ce dont j’avais envie était de lui prendre ce putain de fusil, prier pour qu’il devienne réel et le lui planter. Depuis Carole, j’avais beaucoup plus de difficulté à refouler mes envies meurtrières envers ces potentielles rivales. L’idée d’en finir de manière définitive avec elles me parvenait aussi naturellement que l’oxygène dans mes paumons et je culpabilisais de moins en moins…

Une partie plus tard, il parvenait à remporter ce fameux doudou. Il me le tendait, en se frottant avec humilité le nez.

- Oui, oui, je n’ai aucun mérité, pardon.

- Tu te la ramène un peu trop, mec. Eh, Sofia, l’écoute pas faire son gars, je te jure, il est pas doué ! L’autre fois, ce looser s’est vautré dans l’escalier un dimanche matin à huit heures du mat’, il a réveillé tout le monde dans l’immeuble, parce qu’il croyait qu’on était lundi et qu’il était en retard.

La jalousie me consumait de partout, me provoquant des irritations au crâne et à la poitrine. J’en revenais pas de voir cette nana être aussi familière avec lui, pour une voisine.

- Oui, il est pas doué, j’ai confirmé, d’un ton un peu trop sec. A l’époque où il m’aidait dans mes devoirs de français, il s’est trompé et m’a donné son sujet de commentaire d’arrêt. Du coup… j’ai pas fait mes devoirs, pour cette fois.

Heureusement, personne n’avait relevé mon intonation un peu cynique.

- Oh putain !! hurlait-elle de rire, mais je te reconnais bien là, vieux ! Moi, ma sœur de 12 ans connaît presque tout le code pénal à cause de lui. T’imagine !

- Cache ta jalousie, toi, il avait craché à son intention.

- Non mais regarde ce rageux.

Au final, après quelques minutes de plaisanteries qui étaient pour chacune d’elles un poignard qu’on m’enfonçait dans le cœur, on s’en était enfin allé. Nous nous étions dirigés vers un manège et après quelques tours et quelques blagues ainsi qu’une vague conversation, nous nous étions séparés, puisque j’avais besoin d’aller aux toilettes. Celles-ci qui se trouvaient tout au bout de la foire, au rez-de-chaussée d’un immeuble ouvert au public pour l’occasion. A l’intérieur, les entrés étaient bien barricadés et gardés. Lorsque j’avais finie, je constatais que la bouche d’escalier menant au toit était ouverte. Par curiosité, je m’y étais aventure. Là-haut, j’avais une grande et belle vue sur ce festival. J’entendais des rires, des cris de joies et des éclats de voix. Cet endroit sentait le bonheur et la convivialité. Je regardais toutes ces têtes qu’il devait connaître. Ce petit coin du monde me faisait penser aux villages des dessins-animé. D’ailleurs, l’architecture ressemblait à celle d’un cartoon. Quelle chance il avait de vivre ici… je nous y voyais déjà, mariés avec un ou deux enfants, nous promener dans les rues de cette ville. Elle était parfaite pour notre futur petite famille.

J’ai continué à profiter de la fraîcheur, en me faisant le tour du toit avant de trouver une jeune femme, assise sur le bord, tranquillement, comme si ses pieds ne côtoyaient pas le vide, en train de fumer. De derrière, je l’avais tout de suite reconnue. Lucie. Elle discutait au téléphone. Je ne comprenais rien à ce qu’elle racontait tant son débit de parole dépassait le seuil de la normalité…

La voir animait en moi une telle rage… la même que lorsque j’avais vu Carole l’embrasser.

Penser à elle et à la haine sans limite que je lui vouais me faisait presque suffoquer. Cette fille… elle prenait un risque inutile. Elle pouvait à tout moment tomber, par inadvertance, au moins coup de vent trop fort. Je plaçais mes deux mains face à son dos. Un coup et elle ne représenterait plus le moindre danger. L’immeuble faisait sept étages. C’était suffisant pour tuer n’importe quel inconscient.

- Ok, bah bisous, je te rappelle. Je t’aime.

Tout de suite, je m’étais très vite reculée, le plus silencieusement possible, malgré la panique qui m’avait submergée. Je voulais m’en aller, comme une voleuse mais je l’entendais m’interpeller.

- Oh ! Je te connais non ? elle a braillé.

Lentement, je me tournais vers elle, un sourire poli au visage.

- T’étais avec l’autre péquenot qui me sert de voisin, nan ?

Bordel, mais qu’est-ce qu’elle avait à l’insulter comme ça ? C’est pas parce qu’elle avait raté sa vie qu’elle devait s’acharner sur lui. Sérieux, mais qu’est-ce que j’étais conne de la craindre. Quelle débile elle était.

- Ouais, Sophie, c’est ça ?

- Non, Sofia.

- Ah d’accord ! C’est un très joli nom.

- Merci.

- Tu t’es perdu ? Ouais, je sais, il est pas très galant comme gars, t’es seule et il t’a laissé pour draguer ?

Sa dernière phrase contenait beaucoup de sarcasme et d’ironie. La pétasse, elle me narguait ouvertement.

- Non, j’étais aux toilettes.

- Oh. Tu vas le rejoindre là ?

- Euh… oui. Du coup, au revoir ?

- Ouais, profitez bien. Ah mais attends. Dis-moi, t’en pince pour lui ?

- Quoi ?

- Arrête, j’ai un mec aussi ! Ecoute, je le draguais pas tout à l’heure. J’ai vu comment tu me regardais tout à l’heure. Encore un peu et tu me giflais. Et je comprends. Enfin, j’aimais pas quand des petites meufs lui tournaient autour. Donc je voulais te rassurer. Il m’intéresse pas. Je suis trop intelligente pour lui, de toute façon.

Contre toute attente, elle avait réussi à me faire exploser de rire. Sincèrement.

- Ah bah tu souris, ça fait plaisir ! elle avait lancé, familièrement. T’es plus jolie comme ça. Aller va, t’as ma bénédiction, Sophi…a.

J’essayais de feindre l’ignorance mais il fallait reconnaître qu’elle était franchement perspicace.

- Vais te dire un secret mais le répète pas. Il voyait une meuf y a pas longtemps. C’était pas sérieux mais elle s’est suicidée y a quelques mois… bon, je te rassure, il s’en est remis depuis. C’était pas sérieux, je t’ai dit. Mais… ça peut quand même laisser des traces, enfin il a l'air encore un peu... secoué. Alors, prenez votre temps, ok ?

Je la remercie pour sa confiance, non sans glisser une petite phrase bateaux sur la mort de Carole avant de m’en aller. Alors que j’allais le rejoindre, j’ai été coupée dans ma course par un appel téléphonique de ma mère qui m’expliquait qu’il y avait un problème à l’atelier et que je devais revenir d’urgence. Poliment, je l’avais rassurée en la promettant de rentrer vite mais je n’avais qu’une envie : cogner mon portable au sol et hurler de frustration. J’allais manquer ce carnaval et perdre ma journée avec lui à cause de cette connerie au magasin. Bordel de merde ! J’avais vraiment une vie de merde !

Et j’avais mal refermé mon cardigan. Mais il est où ce bouton à la con ! Qui avait cousu ce gilet de merde ?!

J’inspirais un bon coup, espérant retrouver mon calme en ruminant ma discussion avec Lucie. Bordel, mais quand je pensais que j’avais failli enlever cette fille à ses sœurs, à ses parents et son copain alors qu’elle n’avait rien à se reprocher. Cette salope de Carole m’avait rendu folle.

Respires, Sofia respires. Tu ne lui avais rien fait. Elle était saine et sauve, à présent.

Je l’avais enfin rejoint, alors qu’il était paisiblement assis sur un banc, un peu à l’écart des stands.

Je l’avais appelé et après l’avoir rejoint, je lui expliquais en long et en large la situation. Heureusement, il avait accueilli cette histoire avec patience et m’a gentiment rassurée. Chaque jour, et toujours plus, je m’attachais à lui. Il m’était si doux et si tendre. Tout l’inverse de tout ce que j’avais toujours obtenu.

Il m’avait raccompagné au magasin et en arrivant, nous trouvions ma mère qui m’attendait soucieusement à l’entrée. Dès qu’elle m’avait aperçue, le soulagement avait pris le dessus sur la perplexité.

- Qui est-ce.. ? Attendez… votre visage m’est familier. Ah ! Monsieur Greco !

- Ravi de vous revoir madame. Mais appelez-moi par mon prénom et vous pouvez me tutoyer, vraiment.

- C’est moi qui suis ravie ! Alors, qu’est-ce que tu deviens ?

- Eh bien… toujours le même, enfin, là, j’ai finie ma M1 et j’attends les résultats.

- Je suis sûre que tu vas y arriver ! Tu es très intelligent, comme jeune homme. Je savais pas que vous vous reparliez avec Sofia. Tu ne m’as rien dit.

- Je… j’y ai pas pensé, ‘man.

- Passes un jour prendre un café. Là, on doit gérer une affaire mais si Sofia a tes coordonnés, qu’on fixe une date !

Il souriait poliment en remerciant ma mère. Je savais qu’il avait beaucoup de sympathie pour elle et que c’était réciproque. C’était pour cette raison que nous voir ensemble ne la gênait nullement. Elle était convaincue dans son esprit qu’il était un sain, n’ayant que de bonnes intention. Autrement, elle n’aurait jamais été autant réjouie de me voir avec lui. Devais-je préciser que parfois dans le ton de la plaisanterie elle parlait presque de lui comme son futur beau-fils.. ?

- Bon, on doit y aller, reprenait-elle. Sofia a dû te le dire. Je t’attends, d’accord ?

Et elle s’en était allée suite à un courtois serrage de main.

- Elle est toujours aussi gentille, ta mère, observait-il.

Et il avait bien raison. On pouvait même dire qu’elle avait vraiment le cœur sur la main. Mon père la traitait de sainte à qui on offre le bon dieu sans confession. Je savais que ce n’était pas un compliment, autant donné ses opinions religieuses et sur ce genre de « sainte nitouche ». Je ne disais rien mais tout les jours voir ma mère se faire maltraiter moralement ainsi par mon père me brisait le cœur. Mais elle comme moi nous nous murions dans le silence pour mieux l’accepter, je supposais.

- Oui, elle est adorable.

- Bon, je vais me sauver. Bon courage !

- Tu retournes au carnaval ?

- Non, je crois que je vais plutôt rentrer faire une bonne sieste. Je suis vraiment fatigué. Mais ça m’a fait plaisir de te voir. A la prochaine, Sofia, porte-toi bien.

Il m’avait à nouveau embrassé la joue. Mais alors qu’il allait partir, il s’écriait :

- Attends, j’ai un truc à te donner !

Il fouillait son sac et en sortait un paquet enroulé dans du papier cadeau.

- Ton cadeau en retard.

- Oh…

J’étais restée sans voix, oubliant complètement de le remercier.

- Je… fallait pas.

- Mais si, ce sont tes 20 ans, quand même !

- Merci… c’est tellement gentil. Je… je l’ouvrirais ce soir, après le taff, ok ? Et je t’appelle.

- Pas de soucis ! Je comprends, aller bosse bien !

Il me frottait brièvement l’épaule avant de s’en aller.

Comment le laisser partir ? J’avais envie de me dépêcher de le rattraper. Envoyer au diable mon père et l’atelier pour rester toute ma vie avec lui.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Maya baragouineuse ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0