21. Ombres dansantes

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Après avoir présenté officiellement mon copain à mes parents, qui l’avaient reçu avec le même respect et grande gentillesse qu’ils témoignaient aux autres, dans les semaines qui avaient suivies notre première fois ensemble, j’avais naïvement pensé que j’abandonnerai enfin mon obsession pour lui. J’étais satisfaite de pouvoir le voir et lui parler, lorsque j’en avais envie. Plusieurs matins, je me réveillais chez lui, à ses côtés. Nous bavardions plus longuement et plus profondément. Nous riions régulièrement tout les deux. Nous nous embrassions et blotissions l'un contre l'autre au gré de nos envies. Et tous les soirs, je m’endormais enfin sur mes deux oreilles. Je ne me laissais plus aussi envahir par des idées noires. Sa seule présence et le son chaud de sa voix me rassuraient. J’étais la seule qui comptait à ses yeux.

Alors j’allais enfin réussir à l’aimer sainement ? Cesser d’obstinément ramener toutes mes pensées à lui ? Je l’aimais, c’était certain. Mais je ne voulais plus que cela soit un poids.

Sauf que je me trompais.

Me mettre en couple avait lui n’avait fait qu’aggraver mon problème. Mon obsession avait dépassé un stade que je n’avais jamais envisagé. Autrefois, je ne m’en rendais pas compte, j’en étais même fière. Cela me confortait dans l’idée que mon amour pour lui était réel. Ce n’est seulement que maintenant, dans la voiture accidentée, aux portes de la mort que je le réalise.

Lorsque l’été avait laissé place à l’automne, son année scolaire avait démarré, à l’école préparatoire à celle des avocats. J’avais également repris mon train de vie régulier à l’atelier. Contrairement à lui, je haïssais mes journées de travail et n’en tirais aucun plaisir, ni fierté et encore moins de reconnaissance. Au contraire, maintenant que Zénaïde avait réintégré l’université en master sur les métiers de la culture et bossait à mi-temps, je me sentais encore plus seule, piégée avec mes parents comme enseignants. Les cours avec ma mère se déroulait plutôt calmement alors que mon père avait toujours quelque chose à me reprocher et c’était comme si il se retenait à chaque occasion de me balancer la machine à coudre au visage. Je commençais à faire connaissance avec l’un de ses vrais visages : un bourreau de travail. Devant Zénaïde, il avait toujours cherché à faire bonne figure mais cette époque était révolue. Durant mes pauses ou lorsque je rêvassais dans mon coin, quand j’avais finie des commandes, je pensais à lui. A ce qu’il devait faire, avec qui il était, de quoi il parlait et à ce qu’il pensait. Je prenais tellement de plaisir à imaginer la vie qu’il y menait, et de combien je m’occuperais bien de lui, en allant chez lui que cela adoucissait mes rudes heures à l’atelier.

C’était dans ce contexte que j’avais également réalisé qu’il n’avait jamais vraiment oublié Carole.

Et même lorsqu’on s’était marié, qu’on s’était installé dans notre maison et que nos deux filles étaient nées, je savais qu’au fond de lui que cette femme continuait de le hanter encore. Il m’avait brièvement parlé d’elle et de leur relation – un plan cul assez sérieux au final, puisqu’il était en train de tomber amoureux d’elle – et d’à quel point son suicide l’avait secoué. Je m’étais jurée de le lui faire oublier. Elle ne méritait pas d’accaparer son attention et de lui provoquer une telle peine. Encore plus si elle prenait le dessus sur notre idylle. J’avais réglé le problème avant le drame en la tuant indirectement. Mais parfois, je constatais que sa boîte mail était ouverte sur de très anciens messages qu’ils s’étaient envoyés, des années auparavant, un onglet sur un vieil article relatant son histoire et sa mort. Rédigé de la main de ce connard de Romain Moscovitz. J’avais perdu contact avec lui mais ce n’était pas l’envie de l’étrangler avec son ordinateur qui manquait. Cet article demeurerait encore et continuerait de constituer un trait d’union entre lui et son histoire avec cette femme. Elle était partie si inexplicablement à ses yeux. Il avait besoin de comprendre. C’était un homme intelligent et il ne supportait pas que quelque chose lui échappe. Avec le temps, il le tolérait de moins en moins et son obstination lui avait valu sa place et son excellente réputation d’avocat intransigeant et tenace : il ne lâchait jamais l’affaire. L’éclat au fond de ses yeux qui brillait de perspicacité, je l’avais aussi retrouvé dans les iris noisettes de notre première enfant.

Finalement, j’avais compris que pour lui faire oublier cette femme, je deviendrais ce que lui inspirait cette femme.

Mon seul regret qui avait demeuré jusqu’à ma mort était de ne pas m’être occupée d’elle plus radicalement et violement et expérimenter le plaisir de sentir son sang couler entre mes doigts et l’effroi traverser ses yeux de biche.

Le noël de cette année-là tombait à pic, parce qu’il rentrait chez ses parents pour la période des fêtes. C’était donc l’occasion idéale pour que je fasse leur connaissance. La maison de son enfance n’avait rien à voir avec la mienne. Ici, l’amour et la paix régnait. Ses deux parents étaient présents, chaleureux et accueillants. Lors du réveillon, je n’avais aucunement ressenti la moindre gêne. J’avais été si bien intégrée à leur cercle et bien qu’ils formaient une famille de sept personnes, chacun respectait la présence et les mots de l’autre.

Et lorsque la soirée touchait à sa fin, je commençais à somnoler et me suis contentée de me réfugier contre lui. Accrochée à son bras, ma tête endormie contre son épaule, alors que la grande famille, encore debout et pimpante discutait avec animation, je regardais sur le mur en face nos ombres se refléter dessus. Le feu de la cheminée crépitait bruyamment produisant un agréable son aux oreilles. Son mouvement faisait danser lentement et suavement nos ombres. Il les faisait valser jusqu’à ce qu’elles finissent par se métamorphoser en une nouvelle version de nous… était-ce le sommeil qui me provoquait de pareilles hallucinations ?

A nouveau, nous étions dans ce même salon, avec les même personnes, à la même date, seulement deux ans plus tard.

Comme le temps passait vite…

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