31. Rituel d'automne

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Je l’avais traîné avec peine jusqu’au sous-sol de Maria et l’avais allongé sur le tapis au milieu, douillet et confortable pour lui. Installée sur le pouf à ses côtés à veiller sur lui, mon esprit ruminait d’idée et de plans en tout genre pour envisager la suite. L’antre de ma fille était le meilleur endroit où le cacher. A moins d’avoir la clé, il ne pourra jamais se sauver. Personne ne l’avais su mais j’appréciais me réfugier dans cette petite bibliothèque, en m’y enfermant à double tour.

Bordel… mais quel merdier !

Pourquoi avais-je agi si impulsivement ? De toute évidence, j’étais terrifiée. Alors je n’avais pas réfléchi. Mais j‘aurai pu au moins prendre le temps de me poser avant de… l’assommer avec un putain de rouleau à pâtisserie !

Bon, réfléchissons, Sofia… réfléchissons.

Je m’approchais avec prudence de lui. J’entourais son doux visage endormi de mes mains. Pourquoi je t’avoir fait ça, mon chéri ?

Il venait de prendre une douche, il était fatigué, il délirait… et il avait fait une mauvaise chute en glissant dans le bain, en le quittant !

J’analysais une nouvelle fois ses blessure. Je pouvais lui faire croire que la plaie du front venait du fait qu’il se l’était cogné contre l’ouverture d’eau et en tombant, son crâne avait percuté le rebord. D’où sa bosse.

Mais quel putain de merde !!

Je me retenais de m’asséner des claques et de m’arracher les cheveux.

Déjà qu’il se méfiait de moi à cause de Leïla, cette fois, maintenant que je l’avais agressé, c’était fini !

Il ne m’aimait plus. Il irait me dénoncer, je serai jetée en taule, je ne le verrai plus jamais de ma vie, lui et nos filles.

Non, non, une minute, j’étais sa femme et la mère de ses enfants, quand même ! Il ne me ferait pas ça ! Lui aussi, il m’aime… il me l’avait dit tant de fois.

Selon le dernier message de Zénaïde, le couple et les petites étaient toutes à la fête foraine, depuis quelques heures et s’apprêtaient à mettre les voiles pour déposer les filles dans le train, direction Angers. Voyons, leur train avait une seule correspondance. Elles arriveraient dans environ trois heures. J’avais donc largement le temps d’agir. Mais que faire ? Putain, c’était le brouillard…

Il fallait que je parvienne à le manipuler pour lui faire croire qu’il était juste tombé sous la douche. Il n’avait donc plus les idées très claires et s’était endormi sitôt qu’il avait rejoint son lit, assailli par la douleur.

Oui, c’était l’histoire parfaite… il devait y croire. Pourquoi aurais-je menti ?

A nouveau, je l’emmenais délicatement pour l’allonger sur notre lit.

Je m’empressais de déposer une serviette froide et humide sur son crâne et une autre au front afin de soulager les ecchymoses.

Putain… putain !

Il fallait que je règle cette histoire avec Leïla… quelle merde !

Lorsqu’il s’était réveillé, il semblait franchement perdu. J’en avais profité pour lui bourrer le crâne au maximum, en lui parlant avec empressement de sa mauvaise chute, de combien cela l’avait sonné et donc pourquoi il s’était endormi comme une masse juste après. Il avait à peine gobé mes paroles tant il était dans les vapes.

- J’ai fait une sacré chute, avait-il maugrée. Merci, Sofia…

Si seulement je pouvais lire dans ses pensées… là, j’étais incapable de deviner ce qui le traversait et quels souvenirs il gardait du moment où il s’était effondré. Et ça me frustrait tant !

- Tu veux qu’on aille chercher les filles ensemble ? Zénaïde arrive bientôt avec elles et le temps qu’on se rende à la gare… je conduirais et tu profiteras de l’air frais !

- Non… non, je vais dormir… je te raconte pas combien je suis fatigué, je délire totalement… et… tu pourrais demander à Zénaïde d’accompagner les filles, elle pourra boire un thé avant de partir. J’aimerai bien que tu restes. Je crois que seul, je vais encore faire une chute…

Il avait fini sa phrase sur un léger rire. Alors il me faisait confiance ? Tout irait bien ? C’est vrai, s’il se méfiait de moi, il aurait préféré que je sois loin pour enquêter à son aise. Ou voulait-il m’interroger ? Impossible, il n’était pas en état et par quel angle aurait-il abordé cela avec moi ?

Zénaïde avait eu la gentillesse de ramener Maria et Stella jusqu’à la maison. Elle devait très vite se sauver pour rattraper le prochain train direct pour Paris et être en forme pour sa journée du lendemain. De toute façon, nous allions nous revoir le week-end suivant, à l’occasion de l’anniversaire de Maria. Sa majorité. Nous nous étions donc vite quittés mais alors qu’elle s’éloignait, elle s’était d’un coup arrêtée pour me scruter un instant.

- Qu’est-ce qui t’arrive ? avais-je demandé, étonnée et amusée.

- Rien. Je te regarde, c’est tout, avait-elle hasardé. Et je me rends compte du temps qu’a passé.

Ça avait été notre dernier dialogue. Et l’ultime fois où nous nous étions vues, elle et moi.

Mesurer la portée de l’affection que je lui vouais n’avait jamais été une priorité pour moi. Nous n’étions pas le genre de nana à nous étendre sur ce genre de choses. Mais je suis certaine d’une chose c’est que nous nous aimions réellement. Elle a été l’unique personne que j’avais aimée sainement et normalement.

Les filles étaient ravies de rentrer enfin et de nous revoir. Durant le dîner, elles n’avaient pas cessé de jacasser en racontant leur week-end. Maria n’avait pas encore cours le lendemain. Etant dorénavant à l’université, elle démarrait les cours en octobre, en informatique. Quant à Stella, scolarisée au CP, à l’école où j’enseignais, elle étudiait avec entrain mais rester à savoir quand elle se lasserai de ses cours. Comme j’étais connue pour être sa maman, à la récréation, elle avait tendance à se la ramener et se comporter comme la petite reine de la cour. Comme mes petites filles étaient grandes…

Mon mari était tout autant étourdi et cela se voyait à son regard vitreux et éteint. Il s’était très vite désintéressé du récit des filles. Finalement, il avait pris la décision de poser des jours pour se reposer, déjà qu’il l’évoquait depuis des mois.

Ce soir-là, à nouveau piégée dans les filets de l’insomnie, j’avais réfléchi à la suite. La vraie suite.

A présent probablement découverte, j’étais moins libre de mes mouvements. Et je réalisais que l’engrenage infernal de ma vie était éternel. Mon obsession grandissait avec moi. Elle m’empêchait de me concentrer et de vivre. Je croyais qu’il serait la source de mon bonheur et rien de plus. Mais au fil des années et surtout de mes meurtres, ma santé mentale s’était dégradée et mon humanité avait disparu. Je ne trouvais le bonheur et la tranquillité nulle part, même dans les plaisirs simples.

Tout les jours, je craignais la rivalité nouvelle. Du fait de son métier, il rencontrait énormément de personne de tout type. Parmi eux, sûrement des femmes, aussi brisées que moi. Je l’avais souvent soupçonné d’avoir préféré cette partie de moi-même plutôt que les autres. Cela lui donnait une raison valable de rester avec moi et ne pas quitter notre cocon. Et de ce fait, j’étais sûrement plus facilement remplaçable. Malheureusement pour moi, je n’étais pas son obsession. Seulement sa femme. Il n’était pas aussi téméraire que moi. Jamais je n’aurai pu attendre de lui que notre mariage soit réciproque sur tout les points. J’avais dû évoluer pour lui, son amour pour moi stagnait. Alors qu’à mes yeux, qu’il soit le jeune et pas doué étudiant en droit, le vendeur de smoothie ou l’avocat audacieux, il restait celui que j’aimais inconditionnellement.

Alors comment faire pour être certaine qu’il restera mien, pour l’éternité ?

J’avais beau me poser cette même question plus d’une centaine de fois, je ne voyais pas de réponse plus évidente que de le tuer, lui avant de mettre fin à ma propre vie. Mais que faire de Maria et de Stella ? Elles étaient jeunes et je me voyais mal laisser derrière nous des orphelines, sans personne.

Au point où j’en étais, plus rien ne m’arrêtait. J’étais prête à tout pour réaliser mon rêve le plus cher. Y compris tuer ma famille.

Après une semaine grise et morne qui était passée à la vitesse de l’éclair, nous nous préparions tous pour nous rendre chez les grands-parents de mes filles pour l’anniversaire de Maria.

C’était notre rituel à nous. Un rituel qu’on réalisait à chaque automne depuis 18 ans, à la toute fin du mois de septembre.

Je m’étais décidée : nous allions tous mourir sur la route.

Ainsi donc, voici le point final de mon histoire avec Etienne. Cette fois-ci, il était mort, avant même que je finisse mon récit. Il ne répond plus au moindre souffle. C’était la fin. Enfin, nous serions enfin ensemble. Stella était morte sur le coup, en même temps que Maria. La force de lui confesser une nouvelle fois mon amour me manquait et ces mots étaient restés bloqués dans ma gorge.

Je me meurs progressivement, soulagée et enfin apaisée des maux qui m’ont rongé toute mon existence. Mon âme peut partir en paix, je lui ai tout dit. En regardant pour la dernière fois mon bien-aimé, mort, le corps ensanglanté, je remarque sur le rétroviseur le visage de Maria, éveillée, totalement saine et sauve, les yeux grand ouvert, terrifiée, me regardant, avec incompréhension.

- Maman…

Et je m’éteins.

Je suis doublement soulagée d’avoir enfin fini l’histoire. Mentalement et physique, ce fut extrêmement prenant et j’ai souvent pensé à laisser tomber, l’histoire en elle-même a été dure à assumer du début à la fin (lol). Pour la petite info, c’était littéralement le tout premier et unique projet que je parviens à mener à bout. Et suis encore un peu dans le déni. Je suis heureuse que le writober ait pu m’aider à achever une histoire, autant donné que c’est un de mes rêves le plus cher. Elle n’est pas parfaite du tout, au contraire, je vais la réécrire bien sûr, changer beaucoup de point, en supprimer, corriger les fautes et tout ça ou en ajouter Merci pour les retours et les annotations, ça m’a énormément touché et aidé, merci beaucoup !! <33 bon courage à vous aussi pour vos projet et vos rêves :)

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