1. Brume matinale ღ

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C’était un matin d’automne. Une brume lourde et grise, frigorifiante et aveuglante envahissait la forêt. Les bois étaient vides, privés de la moindre trace de vie, figés dans un même espace-temps, comme sur une peinture. Une seule voiture traversait les sentiers. La mienne.

Je conduisais et au siège passager, était assis mon mari et à l’arrière, mes filles : Maria et Stella.

Toute ma vie, j’avais tout fait pour faire correspondre la famille que j’avais fondée aux normes imposées. J’avais épousé l’homme que j’aimais plus que tout. De là, étaient nées deux grandes et belles filles, bien élevées et nous vivions en plein centre-ville. J’avais un travail honorable d’institutrice, dans une petite école privée où j’étais aimée de presque tous mes élèves. Avec brio, j’étais parvenue à concilier ma vie privée à la professionnelle. Mon existence entière était réglée comme du papier à musique, j’avais « réussi ». Les autres m’aimaient pour mes qualités et seuls les défauts que j’acceptais qu’on me reconnaisse transparaissaient.

Mais jusqu’à quel prix ?

L’histoire de ma vie se basait sur une malédiction. Une saleté. Un secret inavouable.

Et jusqu’à il y a peu, je l’avais presque oublié. Mon mari et mes filles discutaient allègrement alors que moi, les larmes aux yeux, je dérapais avec violence sans préambule, afin d’éviter un cerf que la brume a trop longtemps camouflé, le véhicule a violemment percuté un barrage, tuant mon mari et ma fille sur le coup, et j’ai vu ma vie défiler sous mes yeux.

Alors, comment en étions-nous arrivés là ?

A cause d’une brume matinale… rien de plus. Ce cerf, peut-être n’avait-il jamais existé ? Était-ce mon imagination qui l’avait créé ? J’essayais de me persuader que tout cela était dû à la brume, pas à moi.

Aujourd’hui, n’était pas un jour comme un autre. C’était les dix-huit ans de mon aînée. Ma fille adorée… le jour de sa majorité était à l’image de sa naissance. Quand elle avait quitté mon ventre aussi, depuis la fenêtre de la maternité, j’apercevais cette même brume.

Ma chère Maria… nous pardonneras-tu de nous en être allés le jour de ton anniversaire ?

D’avoir quitté ce monde si brutalement et si injustement.

Me pardonneras-tu, tout court ?

Les sanglots s’échappaient naturellement de mes yeux. La douleur, la peine, les regrets. Tous m’assaillir aussi brutalement que les milles et un morceau de verres incrustés sur mon corps.

Alors que j’agonisais et tandis qu’avec fougue, l’ange de la mort séparait douloureusement mon âme de mon corps, je ne pouvais m’empêcher d’adresser un regard vers mon mari, enfin ce qu’il en restait. Le haut de son corps était piégé contre le tableau de bord mais je devinais non sans mal que son visage était couvert de sang.

Mon mari. Cet homme que j’ai aimé, jusqu'à lui consacrer toute ma vie.

J’aimais tout ce qu’il était. Le bon comme le mauvais. Et surtout le mauvais. Cette part sombre de lui-même sur laquelle je fantasmais tant, celle où j’arrivais à projeter tout mes démons sur les siens.

Chaque cellule qui composait son être. Ses yeux, dans lesquels je m’étais tant noyée. Sa voix, qui m’envoutait. Ses lèvres qui m’ensorcelait. Chaque mèche de sa si parfaite chevelure. Et tout ceci forme un tout qui a un seul nom à mes yeux : la perfection.

Comme je le vénérais comme un dieu, il était la seule chose qui me permettait de vivre, de tenir. Il rééquilibrait la balance de mon chaos.

Et le plus paradoxale était qu’il a été la cause même de tout ces chamboulements.

Le soir, je m’endormais le poids de son regard sur le mien. Le matin, je me levais et la première chose qui m’apparaissait à l’esprit était son visage.

J’étais certaine qu’il était tout ce qu’il me fallait.

Alors je l’avais eu. J’avais tout fait pour. J’étais prête à tout. A me mettre en danger, à me mettre en tort et même… à commettre l’irréparable.

Il n’en a jamais rien su.

Il n’a jamais su tout le culte que je lui ai voué durant 30 ans. Il n’a jamais rien su de tous les efforts déployés pour avoir le plaisir de le contempler ne serait-ce qu’une seconde. Il n’a jamais su tout ce que j’ai dû faire pour éloigner les présences malveillantes qui lévitaient autour de lui, de nous. Et surtout, il n’a jamais su tout ce que j’ai fait pour que je sois la seule et unique vraie femme de sa vie.

Et aujourd’hui, alors que son corps gelé dépourvu de de son âme que je m’apprêtais à rejoindre pour l’éternité, gisait près de moi, je lui racontais tout du début à la fin.

De notre première rencontre à ce jour fatidique.

Prenant le risque d’être entendue.

Pourvu que je puisse enfin me libérer du poids de l’obsession que je lui ai voué presque toute ma vie. Et que cet horrible fardeau libère enfin mon cœur meurtri.

Pourquoi maintenant, alors notre fille allait souffler ses 18 bougies ?

Était-ce le karma qui me punissait de l’avoir placé au-dessus de dieu ou je recevais mon châtiment pour les crimes que j’ai commis ?

Tout avait commencé un jour similaire.

Un matin où la brume envahissait la rue du centre-ville de sa fantomatique présence. Où on se repérait grâce à la lumière des réverbères encore allumés. Une matinée où elle semblait contenir tout le poids de la grisaille automnale.

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