3 - Shawn

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En moins de cinq minutes, je suis sur le parking de l'aéroport, où j'ai laissé mon Audi R8 pour la journée. Six cent vingt chevaux sous le capot de ce joli coupé de la même couleur que les yeux de ma petite femme, un vrai petit joyau. La puissance de son moteur me permet de passer à plus de 65miles/heure en moins de quatre secondes. Le rêve ! Jamais, je ne me suis senti aussi libre que lorsque je la pousse à pleine vitesse sur les routes désertes de l'Illinois.

J'en fais le tour afin de constater un éventuel dégât. Malheur à celui qui aurait osé ne serait-ce que l'érafler. Cette caisse, j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux, je la bichonne tous les jours, sauf quand je dois passer une nuit loin d'elle. Ce qui n'est d'ailleurs pas arrivé souvent depuis que je suis avec Jen. Je me suis toujours démerdé pour rentrer, même en pleine nuit, après un concert. Il n'y a que lorsque nous devions donner des interviews tôt le lendemain matin que j'évitais de faire l'aller-retour ou quand cette pouffiasse que je viens de dégager de ma vie, me faisait du chantage.

Un sentiment de dégoût me fait frissonner quand je repense aux nuits que j'ai passé avec Wendy. Même si nous n'avons rien fait, sous prétexte que j'étais lessivé, j'aurais largement préféré tenir Jen dans mes bras, que sentir celui de l'autre sur moi.

Je me glisse derrière le volant, en pensant à ce qui m'attend à l'appart. Mon pied risque de se faire lourd sur la pédale ce soir, pour rentrer au plus vite. Au moment où je démarre le moteur, Smells Like Teen Spirit, de Nirvana, emplit l'habitacle. Un bon morceau dans une bonne caisse, il n'y a que ça de vrai !

Ma voix se pose sur celle de Kurt Cobain, jusqu'au moment où mon iphone se met à sonner. Le nom de Jay s'affiche sur mon tableau de bord. Je baisse le son de mon autoradio avant d'enclencher l'appel d'un appui sur la commande de mon volant.

— Ouais, mec ?

— Comment ça s'est passé avec Johnson ? me questionne mon meilleur pote.

Au son de sa voix, j'entends bien que la situation le fout mal à l'aise. Il va devoir rendre des comptes à nos fans et je ne suis pas certain qu'il était prêt à gérer tout ça.

— Je l'ai virée. Vu ce que je lui ai dit, elle ne devrait pas revenir de sitôt.

— Tant mieux ! Je n'arrivais pas à comprendre comment tu pouvais rester avec elle, alors que t'as Jen.

Jay est le seul au courant pour Jen, même Dan, notre batteur n'en a jamais entendu parler. Je ne voulais pas que Wendy l'apprenne, c'est pourquoi j'ai tenu ma relation secrète. Si mon meilleur pote ne l'avait pas découvert fortuitement, le jour où il est venu me rendre visite, il ne le saurait toujours pas.

— Par contre, j'aurais préféré que tu me parles de son chantage plus tôt.

— Ouais, désolé. Je ne savais pas quoi faire. Je ne voulais pas faire couler le groupe.

Un ange passe, avant qu'il ne reprenne :

— Je vais me charger de la presse. Je vais les contacter et leur dévoiler toute l'histoire. Il vaut mieux qu'ils l'apprennent par moi, que par cette conne.

— T'es pas obligé, mec. On peut trouver une autre solution.

— Si besoin, je connais un autre bassiste.

Putain, j'espère qu'il n'est pas sérieux ! Je peux me passer de Dan, mais pas de lui. Le groupe, on l'a créé à deux et sans lui il ne signifie plus rien.

— Tu me balances encore une merde pareille et j'te jure que je fais demi-tour pour t'en coller une bonne dans la tronche ! Le groupe c'est toi et moi, pigé ?

— À mon avis, t'as d'autres choses à foutre que de revenir à Chicago, pour me balancer ton poing dans la gueule. J'suis presque certain que depuis que tu as décollé, tu ne penses qu'au moment où tu vas retrouver ta copine. Ça risque d'être bouillant ce soir sous votre toit, me chambre-t-il.

— Ouais, mais ça n'empêche que je ne veux plus t'entendre me sortir des conneries pareilles ! m'énervé-je.

— Promis, papa !

Il me cherche, le p'tit con ! Il a de la chance qu'on ne va pas se revoir avant lundi. J'aurais tout le week-end pour oublier ce qu'il vient de me dire.

— Par contre un conseil, vieux. Parle à Jen, aussi bien pour le groupe que pour Johnson. Tu devrais aussi lui parler de ton paternel. Je sais que t'as pas voulu mettre ton statut en avant, pour qu'elle n'apprenne pas toutes tes frasques, mais du coup, votre couple est basé sur des putains de mensonges. Si elle vient à l'apprendre par un de ces torchons, je ne donne pas cher de votre relation.

— Ouais, je sais, dis-je, défaitiste.

Je ne sais pas quelle serait la réaction de Jen, si elle venait à connaitre cette partie de mon passé, mais ça me fout la trouille.

— Vu ce que tu m'en dis, elle a l'air de tenir grave à toi, elle comprendra.

Même si c'est inutile, j'opine du chef.

— Je vais lui dire dès que je franchirai la porte de chez nous.

Je mets fin à la communication au moment où je franchis le pont George Washington. Avec cette circulation digne des heures de pointe, j'en ai encore pour une bonne vingtaine de minutes avant d'arriver sur l'Upper East Side.

À chaque feu rouge qui me ralentit, je grogne, mécontent. J'aimerais déjà me trouver entre les bras de Jen, l'embrasser à en perdre la tête et lui faire l'amour. Je dois lui parler, c'est vrai, mais j'attendrais que notre désir l'un pour l'autre se soit consumé pour tout lui avouer. Je lui dirais que je suis le fils de Maxwell Black, l'un des plus grands hommes d'affaires des Etats-unis. Je lui dévoilerai la popularité de notre groupe de ce côté de la Terre et qui commence aussi à percer en Europe. Je lui révélerai enfin ma relation toxique avec Wendy, des menaces qu'elle a eu à mon égard. Jay m'a dit qu'elle comprendrait et même si mon cœur manque plusieurs battements à l'idée que ce ne soit pas le cas, mon pote ne peut qu'avoir raison. Notre amour est bien trop fort pour qu'il s'éteigne pour si peu.

Ouais, bon, d'accord, ce n'est pas rien non plus. Je me demande ce qui m'a pris de ne pas lui en parler plus tôt. En neuf mois, j'aurais pu et dû surtout ne plus rien lui cacher. Putain de froussard !

Allez, vieux, ça va le faire !

Je me rassure comme je peux, alors que je m'engage sur la quatre-vingt-douzième.

Arrivé en bas de chez nous, j'enclenche la porte du parking souterrain. Hors de question que mon bébé dorme dehors ! Même si on est éloigné du Bronx, elle ne serait pas à l'abri d'un vandale.

Je me gare sur la place qui m'est alloué, à côté de la Fiat 500 de mon amour. Une fois le moteur coupé, je quitte ma caisse et pars en direction des ascenseurs. Mon cœur bat de plus en plus vite, au fur et à mesure que je me rapproche de la femme de mes rêves.

Arrivé à notre étage, je ne tiens plus. Dans l'ascenseur, je n'ai pas arrêté de penser à la façon dont j'allais m'occuper d'elle. Encore heureux que j'étais seul. Avec la trique que je me paye, j'aurais détesté avoir des regards mal placés fixés sur mon membre. J'ouvre la porte de notre appart et quand je la vois si désirable, dans son peignoir en soie rose, je meurs d'envie de me jeter sur elle. Sauf que je me retiens. Quelque chose dans son attitude m'alerte. Déjà, elle n'est pas comme tous les autres soirs assises sur le sofa, son joli petit cul est juste posé sur une chaise. Elle n'a aucun livre entre les mains, néanmoins un magazine trône sur la table. Puis, il y a ce regard qu'elle me lance au moment où je m'approche d'elle, comme un cri de désespoir qui vient percuter mon cœur. Ça sent mauvais, même si je ne sais pas encore à quel point.

Lorsque je veux l'embrasser, elle me refuse ce droit, en posant sa main sur mon torse.

Putain, qu'est-ce qu'il lui arrive ?

— Qu'est-ce qu'il y a, chaton ? lui demandé-je en jetant un coup d'œil sur le magazine.

Quand mes yeux se posent sur la photo, je comprends que ma question est des plus stupides. Mon pire cauchemar vient de prendre vie. Pourquoi ? Comment ? Qui lui a mis un tel torchon entre les mains ?

Je me fige et joue nerveusement avec mon piercing, dans l'attente de ma sentence. Je n'en mène pas large et mon cœur est sur le point de me lâcher.

— Dis... Dis-moi que ces photos ont été prises il y a longtemps.

Je ne l'ai jamais entendu si peu sûre d'elle. Son ton, sa façon de se tenir me déstabilise.

Je pourrais lui dire ce qu'elle désire entendre, je pourrais lui mentir, lui raconter que ces photos datent d'avant nous. Mais je reste là comme un con, à fermer ma gueule, parce que je ne me sens tout bonnement pas foutu de lui servir un autre foutu mensonge.

— Shawn, s'il te plaît, dis-le-moi.

Sa voix suppliante et ses yeux brouillés de larmes me clouent sur place.

— Je... Je...

Putain ! Il faut que j'arrive à sortir quelque chose, n'importe quoi !

— Je connais Wendy, je sais de quoi elle est capable. Alors, dis-moi juste que ces photos sont vieilles.

Je regarde à nouveau les clichés qui ont été pris la semaine dernière à Boston.

On avait un concert et l'autre conne a su que nous nous produisions dans cette ville. Elle m'a rejoint à la sortie de la salle et s'est jetée littéralement sur moi dès que j'ai quitté les coulisses. Bien sûr les paparazzis étaient là et nous ont mitraillés à maintes reprises. Je l'ai repoussé aussitôt, mais c'était trop tard.

Je déglutis difficilement.

— T'es avec elle ?

Je secoue vigoureusement la tête.

— Plus maintenant.

Et c'est la vérité, vu que je viens de la virer de ma vie.

— Mais ces photos sont récentes, n'est-ce pas ?

— Oui, soufflé-je d'une toute petite voix.

Ses lèvres tremblent, elle lutte pour ne pas craquer devant moi. Je tente une approche pour la prendre dans mes bras, mais elle me repousse avant de se rendre dans notre chambre.

Je me rue à sa suite. Je refuse de la perdre, je sais d'ores et déjà que mon cœur ne s'en remettra pas. Il est trop atteint.

Au moment où j'entre dans la pièce, elle est en train de se changer. Sous mon regard anéanti, elle enfile un jeans et un pull. Elle attrape son sac de voyage posé sous notre lit avant d'y fourrer quelques affaires en vrac.

Elle ne peut pas me lâcher, elle n'en a pas le droit !

— Chaton, je peux tout t'expliquer.

Elle me jette un regard si noir que j'en recule d'un pas.

— M'expliquer quoi, Shawn Black ? À quel point tu t'es éclaté à me mener en bateau ? Tu pensais que je ne découvrirais jamais ta double vie ?

— Elle me faisait chanter !

Elle éclate de rire. Contrairement aux autres fois, ce son ne vient pas me réchauffer de l'intérieur, il me refroidit. Je me sens con, je ne sais pas quoi lui dire pour la retenir.

— T'as pas d'autres conneries à me sortir ?

Son regard furibard me fait savoir tout le bien qu'elle pense de moi à cet instant. L'amour dans ses si jolis yeux azuréens a laissé place à toute la haine qu'elle éprouve à mon égard à cet instant.

— Je te déteste ! m'assène-t-elle, comme pour venir confirmer ce que je lis dans ses prunelles.

Ces mots me blessent de la même manière que si elle m'avait mis une violente claque.

— C'est faux, tu m'aimes tout comme je t'aime.

— Tu n'as pas le droit de me dire ça, Shawn ! Si tu m'avais aimé, tu ne serais jamais sorti av...

Sa voix se brise sur un sanglot. Je me hais de tant la blesser. Je voudrais qu'elle comprenne que sans elle, ma vie n'a aucun sens. Elle est la femme que la destinée a choisie pour moi. Nous nous complétons sur tous les points. Elle ne peut pas me laisser, sans elle, je ne suis plus rien. Je n'aurais plus aucun port d'attache, plus de bouée de sauvetage, aucun radeau. Le soleil disparaîtra derrière une épaisse couche nuageuse. Rien. Nada. Le vide. Le néant.

Mes démons se marrent déjà et n'attendent que son départ, pour m'entrainer une nouvelle fois dans cette spirale infernale.

Furieux qu'il puisse ainsi se moquer de moi, j'attrape Jen par les épaules et la force à se tourner vers moi.

— Tu n'as pas le droit de me laisser ! Si tu te barres, je ne réponds plus de rien ! J'te jure que j'vais tout fracasser...

Ma gorge se contracte et je peine à parler. Mon cœur pleure depuis l'instant où il a compris que son doux rêve allait prendre fin.

— Laisse-moi juste une chance de m'expliquer. S'il te plaît, la supplié-je.

Quand elle secoue la tête, je me jette à genou devant elle, en foutant ma fierté de côté. Je m'en tape carrément. Elle pourrait me demander de ramper à ses pieds, je le ferais.

— S'il te plaît.

Je joue avec mon piercing, attendant, le regard suppliant sa décision.

— D'accord, finit-elle par accepter, mais ça ne changera pas ma décision, Shawn. Tu n'avais pas le droit de jouer avec moi comme tu l'as fait.

Elle s'assoit en tailleur sur notre lit, son sac posé devant elle et attend que je me lance. Je me relève et me met à faire les cents pas entre la porte et la fenêtre, en glissant mes mains dans mes cheveux. Je cherche le courage dont j'ai besoin pour lui avouer toute la vérité.

— Je m'appelle Shawn Black. Je suis chanteur et guitariste dans un groupe.

Elle émet un rire jaune.

— Vraiment ? Je n'étais pas au courant ! Si c'est pour me sortir ce genre de débilités, tu peux arrêter immédiatement, je ne t'écouterai pas, Shawn !

Je me tourne vers elle et la supplie du regard de me laisser poursuivre sans rien dire.

— Je m'appelle Shawn Douglas Black et je suis le fils aîné de Maxwell Black.

— Et ?

— Mon père est PDG de la société Exwell.

J'attends sa réaction à l'énonciation de ce nom. Elle hausse les épaules en levant les paumes vers le plafond. Visiblement, elle ne voit pas du tout où je veux en venir. Je me demande si elle est vraiment connectée à la réalité ou bien si son chagrin est si profond qu'elle n'arrive pas à faire le rapprochement avec ses cours de marketing.

— Exwell est une des dix plus grosses sociétés mondiales, lui expliqué-je afin qu'elle réalise où je veux en venir.

Ses yeux s'agrandissent de surprise.

— Je suis leader des Diamond Angels. J'ai créé le groupe, il y a sept ans avec mon meilleur pote, Jay que tu connais. Si au début, on ne jouait que dans des petites salles, on a fini par faire notre nom dans le monde de la musique. Nous avons même commencé à percer en Europe.

Je m'arrête un instant pour que mes paroles aient le temps de s'imprégner en elle.

— J'ai connu Wendy Johnson, avant de te connaitre et de tomber amoureux de toi. À l'époque, je faisais pas mal de conneries. Si j'ai mis un mois avant de t'appeler, c'est parce que j'étais en désintox. Tu me plaisais tellement que je voulais que tu me voies sous mon meilleur jour. Je n'ai jamais joué sur mes sentiments. J'ai vraiment craqué sur toi dès le moment où mes yeux se sont posés sur toi. Tu étais si belle, si souriante. Mon cœur qui ne battait plus depuis longtemps, s'est remis en branle.

— Arrête, Shawn ! Je ne suis pas restée pour t'écouter me faire une déclaration !

Je mordille mon piercing, avant de poursuivre, dépité qu'elle n'accepte pas de m'entendre lui déclarer à quel point je l'aime depuis la première seconde où nos routes se sont croisées.

— Quand j'ai voulu quitter Wendy, elle m'a fait du chantage. Jay a commis un meurtre plus jeune.

Horrifiée, Jen se recule et plaque ses mains sur sa bouche.

— C'était de la légitime défense, mais j'avais la trouille et je l'ai toujours. Si l'affaire s'ébruite mon rêve se brise. Wendy l'a appris je ne sais comment et elle me menaçait de tout révéler à la presse si je la larguais. J'ai mis un terme aujourd'hui à cette foutue relation, qui n'en jamais été vraiment une. J'avais peur que tu l'apprennes et de te perdre ensuite. Je t'aime, Jen.

Des larmes perlent sur ses joues. Elle les chasse d'un revers de la main, avant de se lever et d'attraper son sac. Je la regarde s'éloigner de moi, sans pouvoir réagir. Sur le seuil de la porte, elle se retourne et ses yeux dans les miens, elle me lance :

— Je m'appelle Jenny Hollister, mais tout le monde m'appelle Jen. Mon père est l'un des plus grand hôtelier mondial, le rival direct du père de Wendy Johnson. Tu as toujours su qui j'étais, peut-être ignorais-tu que Wendy et moi nous détestions, mais pour le reste je ne t'ai jamais menti. Au revoir, Shawn Black.

Ses paroles me figent sur place. Telle une statue, je suis incapable de bouger. Au moment où j'entends la porte d'entrée claquer, je m'écroule en larmes au sol. C'est terminé. GAME OVER.

Jay a eu tort. Elle ne m'a pas compris et elle est partie. Mon cœur vient de chuter à mes pieds et il refuse de se relever.

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