13 - Jen - Part 1

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Ce dîner est en train de devenir n'importe quoi. À la base, je suis là pour que nous réglions mon problème, pas pour me laisser séduire par cet artiste. Le jeu auquel nous jouons me paraît bien trop dangereux, je risque de m'y brûler les ailes si je continue. Il est hors de question que je me laisse avoir par sa gueule d'ange, surtout qu'il ne semble pas sérieux avec les filles, il vient de me le dire. Pourquoi ferait-il une exception pour moi ? Puis, c'est un musicien, le meilleur ami de Shawn de surcroît, ce qui fait que je ne dois absolument pas m'en approcher au risque de perdre pas mal de plumes. Mais quand il me lance son irrésistible sourire, digne d'une pub pour dentifrice, je fonds comme la calotte glaciaire sous le réchauffement climatique. Il connait son charme et il sait en jouer. Je dois absolument l'entraîner sur un autre sujet, mais je ne vois pas de quoi je peux lui parler.

Heureusement la serveuse me sort de ce mauvais pas en venant débarrasser nos assiettes. Quand elle se penche pour attraper celle de Jayden, elle le fait de manière très provocante. Ainsi penchée, il a une vue indéniable sur son décolleté. À croire qu'elle aimerait qu'il lui dévore les seins au milieu de la salle. Il pose sa serviette sur la table, avant de se mettre dans une position plus confortable pour reluquer ce qu'elle lui offre. Elle rassemble les deux assiettes sans le perdre du regard. Puis, elle déchire un morceau de papier sur lequel elle griffonne un numéro, avant de lui tendre.

Avec elle, c'est toujours le même scénario, au moment où elle vient ôter les assiettes du plat principal. Pete, Antonio et même mon père y ont déjà eu droit. À mon avis, elle cherche à séduire les clients pour se faire entretenir par la suite. Une vraie michetonneuse.

J'observe le spectacle en me demandant si mon compagnon de la soirée va se laisser prendre au piège. Vu ce qu'il m'a dit, il est plutôt du genre à profiter des femmes et là, elle s'offre sur un plateau d'argent.

— Si tu veux qu'on s'amuse un peu tous les deux, appelle-moi, roucoule-t-elle.

— Je devrais peut-être lui offrir ma place, plaisanté-je.

Jayden semble percuter ma présence et je ne peux m'empêcher de lui sourire.

— J'allais répondre à cette demoiselle que je suis déjà en très bonne compagnie et que ce n'est pas parce qu'elle me met sa grosse poitrine sous le nez que je vais la rappeler.

Vexée, elle me jette un regard noir avant de débarrasser nos assiettes.

— Tu n'as pas été très sympa avec elle, lui signifié-je, lorsqu'elle est assez éloignée pour ne plus nous entendre.

— Je peux toujours aller la voir pour me montrer plus sympa, mais je ne sais pas pourquoi j'ai la drôle d'impression que tu préfères que je te tienne compagnie au moins jusqu'à la fin du dessert. Histoire que tu ne finisses pas le repas seule.

— Ne va pas croire que tu m'es indispensable, le taquiné-je.

— Je pourrais peut-être appeler Shawn pour qu'il vienne me remplacer pendant que je m'occupe de la serveuse. Qu'est-ce que t'en penses ?

Voilà qu'il remet mon ex sur le tapis ! Je ne sais pas ce qu'il cherche à me prouver ou à se prouver, mais je commence à en avoir vraiment marre que la conversation tourne aussi souvent autour de mon ex.

— J'en pense que si tu prononces encore une seule fois son prénom, tu te débrouilles pour rentrer. Cette fois, je pars et je ne reviendrais pas sur ma décision !

Quand il éclate de rire, je me renfrogne dans mon siège, les bras croisés sur la poitrine, vexée.

— Tu sais que tu es vraiment belle en colère, me déclare-t-il.

Une douce chaleur vient irradier mes joues, sans que je puisse y faire quoi que ce soit.

— Vraiment ? m'étonné-je qu'il ait pu me faire une telle déclaration.

— Ouais... enfin, non... en fait, je ne voulais pas dire ça.

Je l'écoute s'emmêler les pinceaux, totalement amusée. Ça ne doit pas être souvent que le grand Jayden Miller, le séducteur invétéré, perd ses moyens devant une femme. Encore un privilège ?

— Donc, je suis moche ?

J'exagère exprès pour observer sa réaction et elle est immédiate. Il recrache la gorgée d'eau qu'il vient d'avaler, ahuri par ma question.

— Disons que tu n'es ni belle, ni moche, me répond-il très sérieusement.

— Quelconque, quoi ? Comme toi, en fait !

J'excelle de plus en plus dans l'art du mensonge. En réalité, cet homme est beaucoup plus que quelconque. Si je veux vraiment être honnête avec moi-même, je ne peux que comprendre pourquoi il parvient à mettre dans sa poche autant de femmes. Si ce matin, je suis restée en admiration devant sa musculature, ce soir c'est son visage qui retient mon attention. Ses yeux sombres brillent à cet instant d'une lueur espiègle. Ses cheveux en bataille, sa barbe de trois jours et ses deux piercings à l'arcade sourcilière lui confèrent un côté sauvage, terriblement sexy.

— Je suppose que tu préfères les grands blonds aux yeux bleus, comme Shawn et l'autre enfoiré.

Mince ! Je viens de me faire prendre à mon propre jeu.

— Et toi, je suppose que tu raffoles des grosses poitrines, vu comme tu bavais sur celle de la serveuse.

Il explose de rire.

— Je peux baver devant la tienne, si tu veux, me lance-t-il espiègle, en se collant à la table, pour mieux porter ses yeux vers mon décolleté.

— Non, ça devrait aller. Merci de ton intérêt pour mes seins, mais si tu pouvais relever la tête, ça m'arrangerait.

— Ce matin et la nuit dernière, tu semblais apprécier que je m'occupe d'eux.

Oh, mon Dieu ! Il a vraiment dit ça ?

Mal à l'aise, j'enroule mes bras sur ma poitrine pour la dissimuler à sa vue.

Qu'est-ce que je disais déjà ? Ah, oui ! Je dois cesser de jouer ce jeu dangereux avec lui, avant de me brûler les ailes.

— Vous donnez quand votre premier concert ? lui demandé-je, histoire de dévier la conversation.

La lueur espiègle dans son regard me rappelle la façon dont il me regardait ce matin, alors qu'il se rhabillait. Sans que je le veuille, des souvenirs de notre matinée viennent réveiller une douce chaleur dans mon bas-ventre.

Mince, j'ai l'impression qu'il a marqué au fer rouge les endroits où il a posé sa bouche sur mon corps.

— J'aimerais bien être dans ta tête, pour savoir à quoi tu penses. Ça semble plutôt agréable, vu la salive qui coule à la commissure de tes lèvres, me chambre-t-il en portant ses doigts des deux côtés de ses lèvres, pour me montrer de quoi il parle.

Il plaisante, j'espère ? Je porte aussitôt les miens à l'endroit désigné, afin de vérifier s'il dit vrai. Au moment où il explose de rire, je réalise qu'il vient de me berner et en beauté en plus. L'enfoiré !

— Tu n'en as pas de meilleur à me sortir, parce que celle-ci était vraiment de mauvais goût, répliqué-je en le fusillant des yeux.

— Si, mais vu que ça englobe ton ex, je ne suis pas sûr que tu apprécies. Puis tu as raison, j'ai envie de le laisser loin de nous pour le restant du repas.

Son regard encore plus sombre que d'habitude s'accroche au mien avec force et me rend incapable de détourner la tête. À travers ses prunelles, j'ai la sensation d'être une très jolie femme.

Nous restons ainsi plusieurs secondes à nous dévorer des yeux, sans un mot, enveloppés dans une sorte de cocon qui éloigne le monde extérieur de nous. À cet instant, je ne vois plus que lui et ça m'effraie. Il est hors de question de tomber dans le piège qu'il semble vouloir me tendre. J'ai bien assez donné ces cinq dernières années. Heureusement pour moi, une nouvelle serveuse nous apporte nos desserts, ce qui permet à cette bulle, un peu trop appréciable, d'éclater.

— Bon, alors ce concert ? lui demandé-je à nouveau en apportant une cuillère de crumble à ma bouche.

Il suit le mouvement de ma main et s'attarde un peu trop longtemps sur mes lèvres, en passant discrètement le bout de sa langue sur les siennes. Bordel, son jeu me rend dingue ! Ma peau se recouvre de chair de poule. Quand va-t-il cesser de s'amuser ainsi avec moi ? Parce que là, ça risque de devenir insupportable, s'il se met à éveiller ces drôles de sensation dans mon ventre.

Il se recule sur sa chaise, certainement pour observer l'effet qu'il me fait. Puis comme si de rien était répond à ma question.

— On en donne deux sur Londres. Le premier est demain soir et le suivant deux jours après. Mais, je croyais que tu ne voulais pas entendre parler de musique actuelle, tu t'y intéresses d'un coup, comme ça ?

Je me mordille la lèvre, prise en faute.

— Oui, tu sais, c'est...

Je m'interromps, ne sachant pas vraiment comment lui expliquer pour quelles raisons, depuis cinq ans, je ne peux plus écouter une seule station qui diffuse de la musique actuelle.

— Hier soir, tu m'as dit que c'était à cause de ton ex, me vient-il en aide Maintenant, je sais de qui tu me parlais, mais ça fait cinq ans que vous n'êtes plus ensemble. Je ne crois pas que tu puisses connaitre nos chansons actuelles. Alors, pourquoi avoir cessé d'écouter de la musique ?

— Je n'ai pas vraiment cessé. J'écoute juste ce qui ne me rappelle pas lui. Au début, j'avais tellement mal que j'avais peur d'entendre sa voix à la radio, ça m'aurait encore plus blessée. Puis, il y a eu ma fille et après son envol vers les anges... j'ai tiré un trait définitif sur la musique actuelle.

En sentant les larmes me brouiller la vue, je relève la tête afin de les contenir derrière leur prison. Parler de ma fille me rend chaque fois vulnérable. Je ne souhaite à personne de vivre ce genre de drame. Un jour, on nage dans le bonheur, des espoirs pleins la tête, puis le lendemain tous les rêves se volatilisent sans même vous demander si vous êtes prêts ou non.

Je me masse l'arête du nez d'une main, tandis que l'autre garde sagement ma petite cuillère posée sur l'assiette.

J'aimerais tellement pouvoir ne plus rien ressentir quand je pense à elle, être libre d'en parler sans avoir l'impression qu'on m'arrache les tripes. Cinq ans que je tente de faire le deuil de mon enfant, partie rejoindre les anges bien trop tôt, en vain.

— Eh ! me rappelle la voix grave de Jayden.

Avant même de le voir, je sens sa présence à mes côtés. Ses doigts reposent sur mon avant-bras. Quand je baisse la tête, je le découvre accroupi à mes côtés.

— Ça va aller, tente-t-il de me rassurer.

Je lui souris, même si le cœur n'y est pas. Jamais, je ne pourrais me sentir mieux, parce que plus jamais je ne pourrais ressentir la joie d'être enceinte. Même si je trouvais l'homme de ma vie, il me serait impossible de porter son enfant. Ce jour-là, on ne m'a pas juste arraché mon enfant, on m'a aussi retiré tout espoir d'en porter un nouveau. Mon utérus a été trop abîmé pour que je puisse connaitre à nouveau ce bonheur. Personne ne connaît ce terrible secret. Même Antonio l'ignore.

— Tu veux qu'on rentre ? me propose mon compagnon de la soirée

Je porte mon intérêt sur nos desserts, qui ont à peine été entamés.

— On devrait finir de manger avant, lui suggéré-je.

— D'accord, accepte-t-il, avant de repartir s'assoir. Je suis désolé, je ne voulais pas te rappeler de mauvais souvenirs.

Il semble si sincère que je ne peux qu'accepter ses excuses.

Un silence s'abat entre nous. Au moins, notre jeu ne semble plus d'actualité pour le moment. Ça devrait me faire plaisir, cependant c'est l'inverse qui se produit. Durant les quelques minutes où je me brûlais les ailes, j'étais loin de ma réalité, loin de toutes les souffrances que la vie m'a infligée ces cinq dernières années.

— Tu accepterais de venir me voir sur scène ? me questionne-t-il après plusieurs longues secondes juste soutenues par le bavardage des autres clients. Je sais que ça l'amènerait à voir Shawn, mais j'aimerais vraiment que tu viennes. Tu pourrais rester avec Haley dans les coulisses, ça vous permettrait de vous retrouver toutes les deux.

Sa cuillère à mi-chemin entre son assiette et sa bouche, il attend, figé, ma réponse. Son regard me donne l'impression qu'il me supplie d'accepter. Je ne sais pas si je m'en sens capable. Pour le moment affronter Shawn va au-delà de mes forces, alors l'entendre chanter risque de me ramener là où je refuse d'être. Loin dans le passé. Sa voix m'a toujours ensorcelé et je crains que ça soit toujours le cas.

— Pas pour lui, ajoute-t-il, comme s'il parvenait à lire en moi. Juste pour moi et, éventuellement, Haley. Je suis certain qu'elle apprécierait avoir une présence féminine. Elle est la seule fille à nous avoir accompagné. Laura est restée à Chicago et notre staff est composé que d'hommes.

— Qui est Laura ?

Il pince ses lèvres, comme s'il réalisait qu'il venait de commettre une bourde.

— La copine de Shawn.

Ne m'a-t-il pas dit que depuis moi, il n'avait eu aucune histoire sérieuse ? Une ride sur mon front lui montre mon incrédulité.

— Il est sur le point de rompre, ajoute-t-il. Si tu veux tout savoir, il ne lui a jamais été fidèle, car son cœur ne bat que pour toi.

Même si c'est le cas, je n'ai aucune envie de le savoir.

— Tu es en train de remettre Shawn en avant !

— Ouais, car c'est mon pote. Je voulais juste que tu saches qu'il t'aime encore.

— Tu veux que je parte en courant, c'est ça ?

Il me sourit, mais dans son regard, je peux lire que ça ne le fait pas rire du tout. Il veut que je reste.

— Non, si je m'écoutais, je voudrais te garder toute la nuit avec moi.

Inéluctablement, je pense encore une fois à mon réveil. Et si je n'avais pas été autant surprise, je crois que j'aurais apprécié ce moment. Ai-je envie d'une nouvelle nuit à ses côtés ? Je ne sais pas. Il est adorable et terriblement charmant et charmeur, mais de là à envisager de redormir dans ses bras, il y a un immense fossé, que je ne suis pas sûre d'être prête à franchir.

— Mais ?

Il ricane, comme si ma question était risible, alors qu'elle est tout à fait sérieuse. J'ai senti lorsqu'il me parlait qu'il y avait plus que ce qu'il voulait bien me dire.

— Quoi mais ?

— Quelque chose me dit que tu ne m'as pas tout dit.

— C'est possible, fait-il évasif en plantant son beau regard dans le mien.

Sous l'intensité de ses prunelles, mes joues s'enflamment, mon cœur palpite et des papillons prennent leur envol dans mon estomac. Ce type arrive à me mettre dans tous mes états, juste en posant ses yeux sur moi. Je suis mal embarquée si je continue sur cette lancée.

Mal à l'aise face à tout ce qui me traverse, j'attrape mon verre d'eau pour dissimuler derrière ce que je ressens. J'en avale une gorgée sous son regard pénétrant.

— Tu ne m'as toujours pas répondu, rompt-il le silence. Tu viendras au concert demain soir ?

— Je suis censée y aller avec ma sœur, mais je n'avais pas prévu que c'était SON groupe, réponds-je en mimant des guillemets sur le « son » pour qu'il comprenne mon allusion. Puis, elle et moi, sommes un peu en froid depuis qu'elle sait que...

Je n'ajoute rien. C'est inutile. De toute façon, il voit très bien où je veux en venir.

— Donc, c'est non, c'est ça ?

J'opine du chef.

Quand il pince ses lèvres et frotte sa barbe naissante, je réalise qu'il aurait vraiment aimé que je m'y rende. Je m'en veux de le décevoir, mais je n'ai pas le choix si je veux me tenir le plus loin possible de l'homme qui ma détruite.

— Comprends-moi. Jamais je n'ai pensé revoir un jour mon ex. Tu ne peux pas me demander de me rendre à ce concert, surtout après ce que tu m'as dit sur lui. Je n'ai pas envie qu'il essaie de me séduire à nouveau. J'ai assez donné.

— Pourquoi ? T'as la trouille de retomber dans ses bras ?

Si je brûlais sous son regard de braise quelques secondes plus tôt, désormais je suis frigorifiée sous la froideur de ses prunelles. Je ne pensais pas le vexer autant en refusant de me rendre à ce concert. En même temps, je suppose qu'il signifie beaucoup pour lui, sauf que je ne comprends pas pour quelles raisons, il tient tant à ce que j'y aille.

— Oublie ce que je viens de dire, me dit-il en posant sa cuillère, puis sa serviette sur la table. De toute façon, ça ne me regarde pas. Vu que notre problème est réglé, on devrait peut-être y aller à présent.

Sans même attendre que je finisse mon dessert, il se lève et rejoint le comptoir pour aller régler son addition. À contrecœur, j'abandonne ce qu'il reste dans mon assiette et trottine derrière lui. Vu son humeur de chien, je n'ai aucune envie qu'il se montre galant avec moi en payant pour nous deux.

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