Peurs enfantines

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Avec le soutien de  Nicolas Raviere 
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Le dessin est un mode de communication privilégié chez l’enfant. Contrairement au langage qui peut constituer au pire un blocage, au mieux un filtre déformant, l’expression graphique lui permet de s’exprimer avec spontanéité. Attention, tous les dessins d’enfant n’ont pas forcément une signification. Tout comme une histoire écrite par quelqu’un, il est parfois inutile, voire contre-productif de lui trouver un sens caché, car parfois la signification que l'on y trouve est juste celle que l’on veut lui donner.

Lorsqu’un parent inquiet vient me consulter pour me confier les problèmes comportementaux de sa progéniture, je demande systématiquement à son enfant de me réaliser un dessin «de ce qui lui fait le plus peur » . Au cours de ma carrière, j’en ai vu passer des phobies d’enfants. Dans les années 70, la mode était aux requins. Puis les clowns, dans les années 80. Dans le première moitié des années 90, les morts-vivants, et dans la seconde les chanteuses québécoises. Je plaisante, bien sûr, les enfants avaient également peur des dinosaures.

Mais depuis quelques années, une nouvelle thématique a fait son apparition dans les dessins d’enfants qui me sont soumis. C’est toujours le même type de schéma qui revient.

Une plaine de jeux avec un arbre au milieu. A côté, un enfant qui semble apeuré. Sur un banc, une vieille dame à l’air sévère.

Systématiquement, je réponds le même laïus aux parents, un peu technique au début, pour ensuite leur révéler l’incroyable vérité :

  • D’ordinaire, je fais appel à un logiciel qui analyse le dessin, afin de voir si votre enfant développe des troubles d'inhibition, un déséquilibre émotionnel, une grande impulsivité, une timidité paralysante, ou parfois une dépression naissante. Ensuite, je tiens compte des objets figurés et des relations entre eux, les couleurs, les formes. Enfin je dresse un portrait psychologique, tout en considérant les variables telles que la fatigue et la mauvaise volonté qui auraient pu influencer l’expression graphique. D'après moi, il n’est pas besoin de procéder à cette analyse technique poussée : le dessin n’exprime pas un problème psychologique ni une pathologie, il met en lumière la perception d’un danger réel. Voyez, cette plaine de jeux. Elle existe réellement, c’est le square Berthier, à une centaine de mètres d’ici, je parie que votre enfant s’y rend régulièrement. Et le grand arbre, ici, c’est le chêne qui se trouve au milieu. L’enfant apeuré, c’est le vôtre. Le banc, il existe bel et bien. La vieille dame assise dessus, en revanche, vous ne la rencontrerez jamais, j’en suis certain. Ce personnage est récurrent dans tous les dessins d’enfants que je vois depuis quelques temps. Il représente la source des tourments qu’éprouve votre fils et provoque ses mictions nocturnes. Si vous voulez mon avis de professionnel, cette vieille dame n’est pas un symbole. Il n’y a pas de sens caché à trouver. Votre enfant a dessiné… un fantôme.

Le mot «fantôme» fait toujours le même effet. Je vois se dessiner sur le visage de mon interlocuteur une mimique d’effroi, parfois une expression d’incrédulité qui s’efface vite face à mon regard sévère et terriblement professionnel. Avec ma blouse blanche et mon diplôme de pédopsychiatre encadré au mur, toutes ses réticences vis à vis du surnaturel s’envolent. Le parent repart alors chez lui avec son enfant, soulagé qu’il ne soit pas atteint d’un trouble mental mais tout de même perturbé par ce que je viens de raconter.

Un beau jour, l'équipe d'entretien des jardins municipaux est passée dans le square Berthier pour desceller le banc, je les ai vus faire du haut de mon cabinet. Derrière ma fenêtre, je m’amusais de voir les mamans de mes patients réunies pour assister au retrait de ce mobilier public. Je les imaginais bien se dire : «Plus de banc, plus de fantôme. Au moins, on aura essayé».

Le lendemain de l’intervention, un enfant a disparu dans le quartier, alors qu’il jouait dans le parc. Quelques jours plus tard, ce fut au tour d’un autre de se volatiliser sans laisser de traces. Cela a fait la une des journaux locaux, puis nationaux lorsque le nombre de disparitions s’est accru au point de devenir très suspect.

Du côté de mon cabinet, les consultations ont repris de plus belle, avec leur cortège de parents inquiets. Certains enfants ne parviennent plus à trouver le sommeil, d’autres adoptent un comportement anxieux ou développent des troubles divers du comportement.

Maintenant, lorsque je m’assois à côté des enfants pour leur demander de me faire un dessin, voici ce que je vois :

L’arbre est toujours là, au milieu du parc. Le petit enfant aussi, toujours apeuré. En revanche, le petit banc a disparu, tout comme le fantôme de la vieille dame, et un autre personnage a fait son apparition. Il porte un masque et tient un couteau dans la main.

«Il est sorti de derrière l’arbre. Il est libre maintenant».
Les enfants n'osent pas en dire plus. Je n'insiste pas, malgré l'effroi que je peux lire dans leurs yeux.

Lorsque les parents me demandent mon diagnostic, je me garde bien de leur répéter les propos de leur enfant, ils ne comprendraient pas. Je me contente d’une explication rassurante : «C’est très simple. Votre enfant est exposé à longueur de journées aux informations anxiogènes à propos de ces disparitions. Il développe une anxiété tout à fait normale dans ce genre de situation. Je vous conseille d’éteindre la télé et la radio, de ne plus parler de ces affaires autour de vous. De reprendre votre vie sans que votre propre peur déteigne sur les personnes vulnérables de votre famille»

Je ne leur montre jamais les dessins. Quant à la vérité, je me garde bien de la leur révéler. Pourquoi irais-je leur avouer que depuis la disparition du fantôme de ma mère, plus personne ne m'aide à contrôler mes pulsions meurtrières ?

ContemporainTragédienouvelle à chutebradbury challenge
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Table des matières

En réponse au défi

BRADBURY CHALLENGE 2017-2018 semaine 9/52

Lancé par Nicolas Raviere

Bonjour à toutes et tous !

Reprenant le principe d'écrire une nouvelle par semaine, et ce sur une durée d'un mois, renouvelable pendant un an, nous vous proposons le défi de cette semaine !

— rédiger une courte nouvelle, avec ou sans chute , 1300 mots maximum (soit moins de 5 minutes de lecture) ;
— durée 7 jours, vous postez quand vous voulez jusqu'au septième jour inclus ;
— date de cette semaine (7jours) : du lundi 6 novembre au dimanche 12 novembre 2017 inclus ;
— sujet : libre !

Soyez heureux.ses, créatifs.ves et motivés.es,

Pour en discuter toutes et tous ensemble, bienvenue là :
https://www.scribay.com/talks/17270/bradbury-challenge-2017--2018-vous-etes-toujours-la--

Pour accéder à toutes les nouvelles depuis le lancement rendez-vous là :
https://www.scribay.com/author/727823185/nouvelles--rbradbury--2017---2018

Bonne écriture, et à très vite,

Toute l'équipe !

Commentaires & Discussions

Peurs enfantinesChapitre16 messages | 6 ans

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