Les trois vœux d'une petite fille

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 Aussitôt, elle se retrouva à l’intérieur d’une vaste pièce au centre de laquelle trônait une grande table, digne des nobles seigneurs. Autour d’elle, d’épais murs de pierre se dressaient et, non loin, un beau feu de cheminée dansait avec frénésie. Repensant aux paroles de l’apparition mystérieuse, elle alluma la première bougie avec son allumette embrasée. Elle observa la flamme sur le cordon. Elle était aussi petite et fragile que si elle était restée sur le morceau de bois, mais aussi plus simple à manipuler. Si elle la mettait en sécurité, elle pourrait perdurer longtemps. Elle prit la bougie en main et sourit. Elle décida de la déposer au-dessus de l’âtre de la cheminée.

 Elle choisit ensuite de faire le tour de sa nouvelle demeure. Le château était grand, très grand. Aussi gigantesque qu’elle avait pu l’imaginer dans ses rêves les plus fous. De ses fenêtres, elle pouvait voir le petit village duquel elle venait. Son palais était de loin la plus belle propriété des alentours, peut-être même plus que le château de leur seigneur.

 Surexcitée de se sentir à l’abri et au chaud, elle voyagea à travers les couloirs, découvrant des chambres à n’en plus finir, et des pièces qu’elle pourrait utiliser à sa guise. Mais à courir ainsi, elle se sentit vite fatiguée. Pire, la faim commençait à la tenailler. Elle n’avait plus mangé depuis la veille, et si peu. Elle retourna donc dans la première salle et attrapa sa boited d'allumettes avant de craquer la troisième.

 Aussitôt, sur sa table, apparut une grande corne dont sortaient mille plats et mets. La petite écarquilla les yeux et faillit en oublier la fragilité de sa flamme. Mais avant de commettre l’impair, elle se détourna du festin qui l’attendait, et alluma la seconde bougie de la flamme de son allumette.

 Une fois celle-ci en sécurité près de la première, elle se précipita à sa table. Jamais elle n’avait mangé autant que ce jour-là. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait repue. Il y avait des aliments qu’elle n’avait jamais goûtés, et certains même dont elle ignorait l’existence. Au fur et à mesure qu’elle se servait dans la Corne, de nouvelles victuailles en sortaient et débordaient. Elle avait là une source de nourriture infinie.

 Quand elle ne put plus rien avaler, elle s’appuya bien fort contre sa chaise, aux anges. Elle se sentait si bien ! Mais un appel venant du dehors la ramena soudain à la réalité.

 Elle aurait reconnu cette voix rauque et colérique entre toutes. C’était son père. Soudain angoissée et effrayée, elle faillit tomber de sa chaise. Elle s’approcha de ses fenêtres. Devant la grande porte de son château, il était là, levant le poing au ciel. Il lui criait après, exigeant qu'elle lui ouvre.

 L’enfant se précipita vers le couloir d’entrée, prise de panique, avant de s’arrêter subitement devant le portique qui la séparait de son tortionnaire. Si elle lui ouvrait, que ferait-il ? N’allait-il pas à nouveau la battre, comme à son habitude ? Lui crierait-il dessus ? Et dans sa colère, ne risquait-il pas d’éteindre les bougies ?

 Aussi, pour la première fois de sa vie, la petite fille décida de ne pas obéir à son père. Même si ses cris devenaient de plus en plus insistants. Même s’il élevait la voix. Même s’il la menaçait. Même si, après un moment sans réponse, il commença à sangloter et à lui demander pardon. La jeune fille resta impassible et résista à ses pleurs, comme il l’avait toujours fait pour elle. Et, finalement, les cris cessèrent. Elle courut jusqu’à une fenêtre pour le voir partir, tête baissée, jusqu’à sa misérable bâtisse.

 Ne sachant si elle avait bien fait de tourner le dos à sa seule famille, la petite fille décida d’aller se coucher. Elle trouva une grande chambre, avec un bon lit douillet et confortable, puis s’y installa. Elle n’avait pas l’habitude d’un tel confort. Pourtant, elle n’arriva pas à fermer l’œil.

 Toute sa journée repassait dans sa tête. Elle se mit soudain à pleurnicher. Maintenant qu’elle avait tourné le dos à son père, elle était seule. Elle l’avait toujours été, mais l'absence du tortionnaire laissait tout de même un bien étrange vide. Finalement, elle quitta sa couche et courut dans la grande salle. Sur place, elle craqua une dernière allumette.

 La seule chose qu’elle avait souhaitée était apparue, aussi soudainement que le Vendeur de bougies. Sa grand-mère se tenait devant elle, lui souriant paisiblement. La petite se pressa d’allumer l’ultime bougie et se précipita vers elle pour la serrer contre son petit torse. Mais elle lui passa littéralement au travers. La vieille dame n’était pas un être de chair et de sang. On ne pouvait faire revenir quelqu’un à la vie. La petite paniqua d’abord, mais le fantôme lui sourit tendrement et lui proposa de l’accompagner jusqu’à sa chambrée.

 Là-bas, la vieille dame la borda. Si elle était incapable de toucher sa petite fille, il en était autrement des objets. Elle ne pouvait pas parler non plus. Mais sa simple présence était ce qui manquait à la jeune fille. Désormais, l’Eydolon[1] serait toujours là pour veiller sur elle, et ce, à jamais.

 Cette histoire, contée aujourd’hui dans tous les Continents de la Terre des Murmures, s’arrête souvent ici. C’est ainsi que le clament les optimistes et les personnes naïves qui pensent que le bonheur triomphe parfois. Mais laissez-moi vous raconter ce que la plupart des bardes et des ménestrels font exprès d’omettre, pour préserver, soi-disant, les jeunes enfants d’une vérité plus cruelle. Ne saviez-vous pas que Blanche-Neige tuait sa belle-mère dans la plus horrible des souffrances, et que les belles-sœurs de Cendrillon avaient eu les yeux percés par ses amis oiseaux ? Si, toutefois, vous l’acceptez, alors veuillez tourner la page… Mais soyez bien conscients que, de retour en arrière, il ne sera dès lors plus question !

[1] Un Eydolon, en Terre des Murmures, est comparable à un fantôme. Ils obéissent néanmoins à certaines lois bien spécifiques, comme l’incapacité à toucher les vivants ou parler. Il existe plusieurs variantes, mais ce n’est pas le sujet dans ce recueil…

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