Le bouc émissaire

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 Assise sur les marches de l’escalier qui menait aux chambres, la Pestilence l’écoutait, la tête dans les mains, exposant un mystérieux sourire. Il s’arrêta, à la fois surpris et effrayé. C’était la première fois depuis son arrivée que la Pestilence sortait de sa chambre.

 — C’est très beau, dit-elle alors d’une voix douce qui surprit l’aubergiste. S’il-te-plait, continue…

 Notre homme en avait le souffle coupé. Ainsi donc, l’inconnu ne lui avait pas menti. Il lui avait confié un instrument capable de faire réagir la Pestilence, la Colosse responsable de l’épidémie qui touchait son village. C’était une occasion à ne pas manquer. Obéissant à la demande de sa convive, il reprit sa douce mélodie là où il l’avait laissée.

 Tout en poursuivant la musique, l’aubergiste ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’œil vers la Pestilence. Elle semblait presque humaine, désormais, ainsi subjuguée par sa mélopée. Il ouvrit alors la porte en se servant de son pied et fit mine de sortir du bâtiment. Aussitôt, elle se releva et se rapprocha, comme pour le suivre. Enchanté du résultat, l’aubergiste fit quelques pas dehors et la vit sortir à sa suite, presque les yeux fermés, comme si elle s’abandonnait à la musique.

 Ainsi, l’aubergiste se dirigeait-il vers la sortie de la ville, tout en continuant de jouer de son instrument de marbre vert. Au fur et à mesure qu’ils marchaient, il lui semblait voir que l’aura sombre qu’il avait aperçue la première fois revenait à la Pestilence, comme un essaim de mouches qui, la sentant partir, revenaient vers leur Reine pour l’accompagner. Se sentant pousser des ailes, sûr de lui, l’aubergiste persista dans la musique et sortit du village sous les regards ébahis des plus courageux qui l’observaient, lui qui éloignait la Pestilence loin d’eux.

 Il marcha de longues minutes avant de s’arrêter, épuisé d’avoir soufflé si longtemps dans son instrument. Il s’assit sur une grande pierre qui dépassait du sable et soupira. La Pestilence était toujours là, à quelques mètres de lui, et l’observait avec le même sourire qu’elle avait gardé tout au long de sa mélodie. Il eut un rire nerveux. Il avait réussi à éloigner la Maladie de Nopila. Peut-être avait-il sauvé de nombreuses vies. Il respira longuement pour reprendre son souffle puis se releva. Observant la Pestilence, l’aubergiste était désormais un peu embêté. Allait-elle encore le suivre, maintenant ? Il décida de repartir vers le village, en prenant soin de la contourner. Mais, si elle ne le quitta pas du regard une seule seconde, elle ne bougea pas pour autant, comme si ses pieds étaient désormais coincés là, dans le sable de l’Assyr.

 L’aubergiste se retourna à plusieurs reprises pour s’assurer que la Pestilence ne le suivait pas. Ce ne fut que lorsqu’il ne la vit plus à l’horizon qu’il accéléra le rythme, pressé de revenir vers les siens. Il allait surement être accueilli en héros, et on ferait une grande fête dans son auberge pour célébrer le départ de la Maladie.

 Quelle naïveté. Lorsqu’il arriva aux remparts de la ville, ceux-ci étaient fermés, alors que les portes avaient été grandes ouvertes lors de son départ et que personne ne les surveillaient plus alors. Il cria pour qu’on vienne lui ouvrir, et trois villageois, dont le second aubergiste, vinrent lui répondre depuis le haut des remparts.

 — Tu ne rentreras pas ! crièrent-ils. Tous les malades ont été jetés dehors, qu’ils se débrouillent ! Nous ne voulons pas que la maladie se répande !

 — Mais mes amis, s’offusqua l’aubergiste. J’ai fait partir la Pestilence ! Il n’y a plus de raison de s’inquiéter !

 — Tu étais surement son complice ! s’écria l’autre aubergiste. Nous t’avons vu la guider avec ta flûte ! C’est peut-être même toi qui l’a faite venir parmi nous ! Et si ce n’est pas le cas, tu ne peux pas être resté si proche d’elle et ne pas être tombé malade à ton tour !

 Le pauvre homme n’en croyait pas ses oreilles. Alors qu’il pensait qu’il allait être accueilli en héros, le voilà qui était accusé d’être responsable autant que la Pestilence des malheurs de Nopila. Il resta proche des remparts à essayer de convaincre ses amis de le faire rentrer. Mais ces derniers, effrayés et convaincus par son rival, ne voulurent rien entendre. Ce n’est qu’au bout de plusieurs heures que l’aubergiste se rendit à l’évidence.

 Désespéré, il commença à marcher au hasard dans le désert de l’Assyr. Mais ses pas le guidèrent là où il s’était déjà rendu, puisque, en relevant la tête après un long moment, il aperçut la Pestilence, toujours debout là où il l’avait laissée. À la différence que son aura, de nouveau, semblait avoir complétement disparu.

 — Tu es donc revenu ? demanda-t-elle de sa douce voix.

 — Ils m’ont chassé de chez moi…, répondit-il, déprimé, en s’asseyant par terre. Je n’ai plus nulle part où aller… Je n’ai plus personne…

 — Quelle coïncidence, répondit la Pestilence avec un rire gêné. C’est exactement ce que j’ai toujours ressenti. Mais tu n’es peut-être pas si seul…

 — Comment ça ? demanda l’homme en relevant la tête.

 — Tu m’as, moi, répondit la Pestilence avec son mystérieux sourire. Et moi, je t’ai, toi. C’est la première fois depuis bien longtemps que je peux avoir de la compagnie.

 L’aubergiste soupira. C’était à cause d’elle que tout s’était produit, que des villageois étaient morts et qu’il avait été chassé de chez lui par ceux qu’il considérait jusque peu comme ses amis. Mais, à force d’y réfléchir, elle n’avait peut-être pas tout-à-fait tort. Au moins, il n’était pas totalement seul. Il se releva donc et voulut s’approcher d’elle, mais elle recula soudainement, le mettant en garde.

 — Surtout, ne me touche jamais ! Je peux affaiblir mon pouvoir pour éviter qu’il te contamine, comme je l’ai fait jusqu’à présent, mais si tu rentres en contact avec moi, je ne pourrais pas empêcher la Maladie de t’envahir.

 — Bien…, répondit l’aubergiste après avoir dégluti. Dans ce cas, je vais éviter…

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