La petite plante en pot

4 minutes de lecture

 La célébration de la petite Ida se poursuivit jusque bien tard. On traita la princesse mieux encore que si elle avait été l’Impératrice de Safranie. Des artistes triés sur le volet se relayaient pour ne pas tomber de fatigue et amuser l’enfant. On servit mille victuailles délicieuses et raffinées, et on écoula de nombreux compliments à l’encontre de l’héritière d’Autric. On répondit au moindre de ses caprices, fussent-ils ridicules ou insultants, et chacun dut donner de sa personne pour égayer la princesse.

 Mais au moment de se coucher, alors que la fatigue venait enfin clore cette soirée au grand soulagement des convives, la Princesse Ida était d’une humeur massacrante. Non pas qu’elle désirait poursuivre la soirée, au contraire. Elle avait hâte d’en finir car, malgré tous les efforts de son père et de son peuple pour la satisfaire, elle ne l’était pas.

 Certes, elle avait eu tout ce qu’elle voulait. Mais en quoi cela changeait-il des jours d’avant ? Elle n’avait jamais qu’à claquer des doigts pour avoir ce qu’elle désirait dans les plus brefs délais. La petite Princesse Ida aurait souhaité être surprise par son peuple, mais elle l’avait été dans le mauvais sens du terme. Personne n’avait été capable de lui trouver le moindre cadeau satisfaisant. Pire, on s’était même moqué d’elle !

 La rage l’empêcha de bien dormir cette nuit-là, et c’est surement pourquoi elle se réveilla plus tôt que d’habitude. Elle qui se levait toujours quand elle le désirait en profitait souvent pour rester au lit. Mais cette fois-ci, elle en sortit immédiatement, dans le but de retrouver les cadeaux de son peuple. Elle hurla pour faire venir deux gardes mal réveillés qui l’escortèrent jusqu’aux nombreux présents qui avaient été entassés et abandonnés après son départ. Elle attrapa un premier objet, un petit cheval de bois sculpté main, puis le jeta par terre avant de cracher dessus.

 Elle exigea qu’on fasse un grand feu afin de se débarrasser des ordures que ces paysans avaient laissées devant leur palais. Mais une fois le feu partit, elle exigea de jeter elle-même les présents dans le feu, jugeant qu’un soldat risquait de lui voler SES cadeaux, ce à quoi elle se refusait. Elle préférait de loin les détruire dans les flammes plutôt que de les donner à quelqu’un à qui cela plairait. Pour être sûr qu’aucun larcin ne se produise, et pour la première fois depuis longtemps, elle exigea ainsi d’être seule dans la grande cour. Les soldats la laissèrent donc et partirent surveiller le périmètre, obéissant docilement.

 Elle commença ainsi à jeter de nombreux objets dans le feu, s’amusant de voir l’aspect de certains changer sous l’effet de la chaleur. Robes, bijoux de métal, broche, éventails, jouets de bois, sucreries, osselets, elle jeta tout dans le bûcher improvisé comme s’il s’agissait de vulgaires brindilles dédiées à raviver les flammes. Tous les efforts des villageois pour lui faire plaisir étaient ainsi réduits en cendres sans qu’ils le sachent.

 Mais lorsqu’elle attrapa une petite poterie sans même la regarder, prête à la fracasser contre une autre qu’elle n’avait pas réussi à briser la première fois, un grand cri horrifié la fit sursauter. Elle gonfla d’abord ses joues, fâchée. Ces imbéciles de soldats n’avaient pas été capables d’empêcher quelqu’un d’entrer dans la cour. Mais comme elle regardait autour d’elle, elle ne vit personne.

 — S’il-te-plait, ne me jette pas dans le feu ! s’écria la voix.

 La petite princesse tourna la tête et écarquilla les yeux. Dans la poterie offerte par l’homme qui s’était moqué d’elle la veille, la fleur aux pétales blancs exposait deux touts petits yeux et une minuscule bouche là où se trouvait d’ordinaire le pistil des fleurs. Deux feuilles opposées sur la tige se dressaient vers elle comme un homme dresserait les bras pour lui supplier quelque chose.

 — Ne me tue pas ! répéta la fleur d’un ton paniqué.

 — Tu parles …, marmonna la princesse, plus pour elle-même que pour la plante.

 — Oui, confirma la fleur. De grâce, ne me tue pas…

 La petite Princesse Ida ne répondit pas. Elle était subjuguée par cette fleur. Non pas qu’elle était particulièrement belle, mais elle n’avait jamais vu de plante qui parle auparavant. Elle avait conscience de tenir entre les mains quelque chose de tout à fait extraordinaire, et cela la réjouissait particulièrement. Enfin, elle avait eu un cadeau potable pour son anniversaire !

 — Comment tu t’appelles ? demanda la princesse en rapprochant le pot près d’elle pour mieux l’observer.

 — Je n’ai pas de nom, répondit la fleur. Nous, les plantes, nous ne nous nommons pas.

 — C’est idiot, répondit la princesse. Moi, je suis la Princesse Ida, et je suis ta propriétaire, maintenant.

 — Ça m’étonnerait, princesse, répondit la fleur, l’air un peu gêné. Nous, les plantes, n’avons pas de propriétaire.

 — Comment ça ?! répliqua l’enfant, fâchée. Mon père est le seigneur d’Autric ! Toutes les plantes du territoire lui appartiennent, et à moi aussi !

 — Sauf tous mes respects, princesse, vous ignorez tout du véritable royaume des plantes de ce pays, répondit la fleur en posant ses feuilles derrière sa tige, comme un enfant pris en faute.

 — Un royaume des plantes ? répéta l’enfant, médusée. Je ne savais pas que les plantes avaient un royaume …

 — Bien sûr, puisque nous ne nous intéressons pas à ce que font les humains, les humains ne s’intéressent que peu à ce que nous faisons de notre côté.

 — Montre-moi ! exigea l’enfant. Je veux voir ce royaume !

 La fleur resta silencieuse un instant, observant la Princesse Ida avec malaise. Puis, quand elle tourna son regard vers les flammes du bûcher qu’elle avait évitées de justesse, elle sembla déglutir avant de répondre.

 — Bien, je vais te le faire visiter. Mais à toi seulement !

 La Princesse Ida acquiesça. Elle n’avait de toute manière pas envie de partager son cadeau avec quiconque, pas même avec son père. Elle abandonna donc le reste de ses jouets et partit, le pot de fleur dans les bras, suivant les instructions de la plante. Quand elle croisa un de ses soldats, elle lui ordonna de ne pas la suivre et poursuivit son chemin.

Annotations

Vous aimez lire C.Lewis Rave ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0