Les belles sœurs de Cendra

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 C’est alors qu’un jour, on annonça que la famille impériale tiendrait un grand bal, auquel était convié tout le gratin de la capitale. L’héritier serait présent, et il n’avait échappé à personne qu’il était arrivé à l’âge de se marier, sans pourtant qu’aucune conquête ne lui soit connue.

 L’occasion était trop belle, et l’Évêque prit en main d’habiller ses filles pour les embellir au possible. Elle passa des jours à les exercer à bien se tenir, à faire des révérences et à mettre en valeur leurs atouts. Bien trop bonne, Cendra l’aida sans dire mot, coiffant ses demi-sœurs sans broncher et cousant de belles robes pour elles. Mais à force d’entendre parler de ce fameux bal, l’envie commença à germer dans son cœur. Comme elle aurait voulu participer aux festivités, et danser avec le prince ! Aussi, s’armant de courage, elle se risqua à demander si, par hasard, il serait possible de se joindre à elles en cette fameuse soirée.

 — Comment, Cendra la pouilleuse, danser devant le prince ! s’écria l’ainée de ses belles-sœurs.

 — Mais regarde tes cheveux ! poursuivit la cadette. Regarde tes vêtements !

 — On se moquerait de toi, et de nous aussi, si tu nous accompagnais là-bas !

 La pauvre Cendra baissa la tête, sans oser répondre, sachant pertinemment qu’elles avaient raison. Elles n’allaient pas risquer leurs chances, aussi piètres soient-elles, en l’emmenant avec elles ! L’Évêque, qui s’affairait dans les cheveux de son aînée, ouvrit la bouche pour répliquer à son tour, mais c’est alors qu’elle posa le regard sur la belle-fille, chose qu’elle n’avait plus fait avec attention depuis des lustres. Étonnement, aucun son, aucune moquerie, n’en sortit. Elle se contenta de l’examiner, interrompant sa tâche, comme si elle voyait un bijou qu’elle avait longtemps perdu.

 — Allons, mes enfants, ne soyez pas si catégoriques, dit-elle soudain après un instant de silence, faisant sursauter ses filles. Cendra a autant le droit de venir, à condition, évidemment, qu’elle soit présentable.

 — Vraiment ? demanda la belle Cendra en relevant la tête, les yeux plein d’espoir.

 — Vraiment, mère ? s’écrièrent les deux autres en cœur, stupéfaites.

 — Vraiment, confirma l’Évêque en reprenant sa tâche. Évidemment, pas question de nous embarrasser d’un souillon, et si elle ne s’apprête pas correctement, elle restera ici. Mais dans le cas contraire, je n’aurai pas d’objection.

 Si ses deux filles semblaient outrées de cet élan soudain de considération envers leur demi-sœur, Cendra, elle, dut se retenir pour ne pas se jeter sur sa marâtre pour la serrer contre elle. C’était la première fois qu’elle faisait preuve d’égard envers elle, mais elle n’aurait pu choisir meilleur moment. Seulement, comme elle avait peur de la tâcher des cendres qui recouvraient ses vêtements, elle se priva de ce geste d’affection.

 Une fois qu’elles eurent terminé de coiffer les deux sœurs, sa marâtre donna la permission à Cendra d’aller s’apprêter. Elle avait fort à faire, car elle n’avait pas de beaux vêtements à se mettre, et elle allait avoir besoin d’un bon bain pour se refaire une beauté. Heureusement, elle avait encore assez de temps devant elle, et elle était assez douée en couture pour confectionner en dernière minute une robe qui lui siérait à merveille.

 Cendra s’attela donc à la tâche, redoublant d’effort pour se faire la plus belle possible. Sans rien dire, sa marâtre vint l’observer, en buvant une tasse de thé noir. Elle ne l’aida pas, et se contenta de la regarder se donner corps et âme pour le bal, avec un mystérieux sourire en coin.

 Plus motivée que jamais, pleine d’allégresse, la jeune Cendra fit de son mieux pour la conception de sa robe de bal. N’ayant que les restes de celles de ses demi-sœurs, le résultat n’était pas aussi majestueux qu’elle l’aurait souhaité, mais c’était mieux que rien. La soie et des couleurs vives mettraient en valeur ses cheveux d’or qui ne tarderaient pas de retrouver leur splendeur après un bon bain.

 Mais hélas, alors qu’elle se plongeait dans la baignoire de cuivre, qu’elle n’avait plus pu approcher depuis des lustres, ses deux demi-sœurs la rejoignirent. La cadette ne se fit pas prier et jeta sur la pauvre Cendra un sac rempli de cendres, qui vinrent noircir l’eau dans laquelle elle baignait. Sortant au plus vite, la pauvre fille constata avec horreur que la robe qu’elle avait tant travaillée avait été déchirée en divers endroits. L’ainée tenait toujours sa paire de ciseaux, et riait comme une truie alors que la cadette, en retrait, ricanait plus discrètement. Cendra, recouverte de ces fichues cendres, prit sa pauvre tenue dans les bras avant d’exploser de chagrin.

 Lorsque sa marâtre pénétra dans la pièce, elle posa sur Cendra, toujours en pleine crise de larmes et recouverte de cendres, un regard de dégoût. Sans rien lui dire, elle commanda à ses filles de la rejoindre pour partir vers le palais. L’ainée se hâta, tandis que la cadette adressait un regard de pitié à la pauvre Cendra. Mais elle ne fit rien de plus et la laissa seule à se morfondre.

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