La malice de la Marâtre

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 La cadette était ainsi alitée, condamnée à boiter toute sa vie, quand on célébra le mariage de Cendra et du prince. Elle était loin des festivités, n’ayant aucune envie de participer, puisque, de toute manière, sa présence n’était pas désirée. Elle regrettait d’avoir traité Cendra de manière si horrible maintenant qu’elle était, à son tour, victime de la situation. Mais plus encore, elle ne pouvait comprendre comment l’Évêque sa mère pouvait à ce point préférer sa belle-fille à ses propres enfants. Elle avait laissé sa sœur se ridiculiser en public, et l’avait laissée elle presque mourante en bas des escaliers sans même broncher.

 Aussi, profitant de son absence, la cadette s’introduit dans le bureau de sa mère, une pièce privée où nul n’avait le droit de pénétrer. Elle ne savait pas trop quoi y trouver, si ce n’est des réponses à ses questions. Elle dénicha moult parchemins et intrigants objets dont elle ignorait l’utilité et tout un tas de correspondances qui lui firent froid dans le dos. Puis elle trouva, près d’une tasse de thé vide, un journal rempli de notes manuscrites, de l’écriture de sa mère.

 Ce qu’elle y découvrit l’horrifia. Sa mère décrivait un rituel cultique ancien et secret, capable d’intervertir les corps de deux personnes. Et, selon ses notes, elle désirait ni plus ni moins que voler le corps de la belle Cendra, pour devenir ainsi l’Impératrice de la Cobaltique, abandonnant sa belle-fille à son propre corps, vieux et fatigué. Et elle comptait passer à l’acte le soir même.

 Ne pouvant laisser sa mère qui l’avait rejetée à son propre profit l’emporter, et voulant racheter sa dette envers Cendra pour les années passées à l’exploiter, la cadette fit de son mieux pour se trainer jusqu’au palais. Se présentant de la famille de la mariée, on la laissa entrer à contrecœur. Elle constata alors, épouvantée, que Cendra et l’Évêque venaient justement de s’isoler dans une haute tour du palais, à l’abri des regards, soi-disant pour lui conférer les derniers conseils qu’on pouvait donner à une jeune mariée.

 Elle dut faire un effort considérable pour monter toutes les marches. Elle avait bien essayé d’alerter les gardes, mais on semblait la prendre pour une folle, tant ses propos étaient incohérents. Cependant, quand elle entra dans la pièce, elle vit la pauvre Cendra en pleurs alors que sa marâtre lui criait dessus. N’écoutant que son courage, la cadette attrapa un tabouret et, profitant de ne pas avoir été remarquée, l’abattit sur l’Évêque sa mère. Celle-ci cria de douleur et se retourna en vociférant des insultes à son encontre, mais sa fille la saisit par les épaules et la poussa vers une fenêtre. Surprise, elle ne commença à se débattre que trop tard, et, malgré son infirmité, sa cadette la fit basculer par-dessus.

 L’Évêque hurla dans sa chute avant de s’écraser en plein milieu des invités au mariage, morte. La cadette, elle, était essoufflée et souffrait à la jambe, mais elle était aussi satisfaite d’elle-même. Cendra se jeta à son cou pour l’étreindre, la complimentant et la remerciant pour son aide.

 Mais pourtant, lorsque des gardes, le prince et l’Empereur vinrent voir ce qu’il s’était passé, son attitude changea du tout au tout. Cendra désigna sa belle-sœur comme responsable de la mort de sa marâtre, et celle-ci en eut le souffle coupé. On lui demanda si cela était vrai, ce qu’elle ne pouvait nier. On l’emmena ainsi aux cachots, alors qu’elle criait de nouveaux propos pour tenter de se défendre. Mais personne n’écoutait ce laideron boiteux.

 Trois jours plus tard, la cadette de l’Évêque était attachée à un pieu de bois, au milieu d’un bûcher. Sur ordres de la nouvelle Impératrice, puisque l’ancien Empereur était mort empoisonné le soir de leur mariage, on l’avait bâillonnée pour qu’on ne l’entende pas hurler. La pauvre fille observait, sidérée, le corps de Cendra l’observer sans rien dire, avec un sourire en coin et une tasse de thé noir à la main, lorsque le bourreau mit le feu au bois sous ses pieds. Et, ironiquement, après quelques heures de crémation, il ne resta plus que des cendres de la cadette de l’Évêque.

 Ainsi se termine l’histoire malheureuse de quelques jeunes filles, victimes, comme tant d’autres avant elles, de l’ambition et de la soif de cet être qui souhaite régner en secret sur la Terre des Murmures. Ce conte n’était qu’une bribe de sa propre épopée, que vous aurez peut-être, un jour, la chance ou le malheur de connaitre.

 Ils sont nombreux ceux qui, comme notre marâtre, perçoivent dans les autres du potentiel et l’exploitent à leur propre profit jusqu’à la dernière goute. Méfiez-vous de l’attention qu’on vous porte, car il n’est point difficile de s’accaparer des succès ou de donner un coup de poignard dans le dos de son protégé, tant qu’on y trouve un quelconque profit.

 Derrière chaque bonne action, derrière chaque coup de pouce à autrui, il y a des intentions cachées, et celles-ci ne sont pas toujours louables. L’ambition est une chose merveilleuse, mais drapées de tant de mauvais aspects que nombreux sont les dégâts collatéraux.

 Notez aussi comme l’attention est une arme à double tranchant. Si l’ainée de ses demi-sœurs a fait une grave erreur en croyant que celle-ci ne pouvait être que bonne, c’est la pauvre Cendra qui se condamna d’une autre manière en la monopolisant.

 Aussi, gardez en tête l’histoire de cette marâtre, qui pervertit et manipula ces enfants. Et si, un jour, vous pouviez tirer la couverture à votre avantage, ne vous laissez pas emporter dans une trop vive excitation ! Car, peut-être, notre marâtre a-t-elle trouvé un nouveau visage depuis tout ce temps… ?

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