Ch. 39

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Assis sur la plage, face à la mer, sous un vent qui secoue leurs vêtements, les décoiffe et fait blanchir l’écume, Jules et Mathilde goûtent à la chaleur sensuelle de leurs corps serrés l’un contre l’autre, soudés par leurs deux mains aux doigts entrecroisés.

Le ciel gris, par intermittences, laisse filtrer un rayon de soleil.

De sa main libre, Mathilde écrit sur le sable. Son doigt peine à tracer les lettres d’un « Je t’aime », estompé par les bourrasques.

Un subit coup de Klaxon leur fait redresser la tête.

– On doit y aller, signale Mathilde.

En se levant, Jules, encore émoustillé, pose un baiser avec application sur les lèvres de sa belle.

Un nouveau coup de Klaxon les arrache à leur torpeur.

Ils doivent remonter la falaise.

Ils aperçoivent une Land Rover. Au volant, Garance Blay les presse de monter à l’arrière. Installé sur le fauteuil du passager avant, Clément se retourne pour les saluer.

– On va d’abord au restaurant de Nice, annonce Garance Blay, en remettant le contact. Jules se sent rassuré et réconforté par le soutien de la famille Blay. Sans eux, l’histoire de ce grand frère n’aurait sans doute pas plus d’épaisseur qu’une bulle de savon qui éclate sous le soleil. Jules ne sait plus trop s’il doit courir après des preuves de vie ou de mort. Il sait seulement qu’il lui faut, coûte que coûte, trouver les moyens d’ancrer dans un réel, le souvenir d’une merveilleuse complicité fraternelle. Nul doute que les Blay, en l’aidant à cela, allègent sa peine.

Clément repère l’enseigne : Le Plat d’Argent. Les trois enfants descendent de la Land Rover pour se rendre dans le restaurant.

Une voix clame, à la cantonade, dans les cuisines :

– On cherche Tommy ! Il y a du monde qui l’attend !

Tommy finit par apparaître derrière le va-et-vient d’une porte battante.

– Qu’est-ce que vous me voulez ?

– Tu me reconnais ?

– Oui. Tu as bien poussé.

– On n’a plus du tout de nouvelles d’Augustin depuis plus de trois ans, explique Clément.

– Moi non plus. Il a dû partir à l’étranger. Son père a des baraques en Polynésie, en Floride.

– Mais son petit frère n’a plus eu de nouvelles du jour au lendemain.

– Il a dû avoir de bonnes raisons…

– Mais pourquoi tu n’as pas essayé de le chercher ? se plaint Jules. Tu étais son ami !

– Son ami, oui… Enfin… comme on peut être ami avec quelqu’un qui est bourré d’oseille.

Sous l’effet de la stupeur, les trois ados se figent sur place.

– Bon, désolé, je vais devoir vous laisser, j’ai du boulot.

– Fais-toi plein d’amis ! lance Jules sur un ton plein d’acrimonie.

En quittant le restaurant, Mathilde entoure tendrement Jules entre ses bras.

Ils retournent dans la voiture, prennent la route de Monaco. Saisi d’un vague à l’âme, Jules colle sa tête contre la vitre et se laisse hypnotiser par les lignes du paysage fuyant. La Land Rover s’arrête devant une rangée de palmiers. Il redresse la tête, tente de se rappeler le paysage.

– Je vous dépose là, explique Garance Blay et vous m’appelez quand vous avez fini. Ce sera soit moi, soit le chauffeur, qui viendra vous rechercher. Surtout, vous ne traînez pas et on vous récupère avant la tombée de la nuit. Clément, je compte sur toi pour que tu aies toujours un œil sur Mathilde et Jules.

Jules reconnaît le hall spacieux et son ascenseur. Il indique la direction à ses amis.

Quand s’ouvre la porte, une grimace de dépréciation s’affiche sur le visage de Clément, au moment où il s’aperçoit qu’il devra se confronter au tohu-bohu d’une fête, notant déjà le vacarme d’une musique et les comportements déjantés de fêtards.

Plusieurs regards goguenards s’arrondissent à la vue des nouveaux venus.

– Ce n’est pas ici, qu’elle se fait, la rentrée des classes…

Des éclats de rires jaillissent.

– Nous recherchons des personnes qui ont connu Augustin Montvernier, le fils du proprio, se justifie Clément. Je suis un ami et avec moi, il y a son petit frère, Jules, qui est déjà venu.

S’ensuivent diverses vocalises exclamatives :

« Oh ! Mais oui, c’est Jules ! Le frérot d’Augustin. Comme il a changé ! »

Alors que tous trois s’avancent dans le premier espace de la galerie, Mathilde a un froncement de sourcil de dégoût, en remarquant l’embarrassante promiscuité entre des danseurs débraillés.

Elle se tourne vers Jules.

– Mais c’est à tes parents, ici ?

Il répond par un haussement d’épaules.

– On ne va pas trop s’attarder, régente Clément. Jules, il faut que tu me montres maintenant quelles sont les personnes qui connaissaient ton frère, que je les interroge.

Jules pointe un doigt en direction de différents visages. Parfois hésitant, il est obligé de s’approcher. Alors qu’il se dirige vers l’autre partie de la galerie, une vibration de son smartphone l’alerte d’un message. Il jette un coup d’œil discret à sa poche. L’instant d’après, il voit revenir Clément dans son dos.

– Non Jules, ce ne sont pas des personnes qui connaissaient Augustin. Elles le connaissaient juste de vue, du fait de la notoriété de ton père.

– Non… Il avait aussi des amis !

Jules craint que Clément bâcle l’enquête, simplement parce qu’il est irrité de se retrouver dans un endroit aussi infréquentable. Il se tourne vers Mathilde.

– S’il te plaît, dis à ton frère, qu’il doit encore chercher.

– Mais ils répondent tous que tu étais avec lui, la dernière fois qu’ils l’ont vu, appuie Mathilde.

– Il y a plein d’autres personnes que j’ai pas encore retrouvées, et il y avait une fille, Laura, amoureuse de lui et qu’il avait revue après. Je suis sûr ! Il me l’a montrée, avec son téléphone, sur le Zephira.

– Ok, consent Clément. On ne va pas faire toutes les pièces, mais je vais demander à ceux qui sont là de nous aider à retrouver les personnes qu’il a fréquentées, et notamment cette Laura. (Il voit Jules s’éloigner.) Eh ! Où tu vas ?

– Je reviens vite.

– Non. Tu ne dois pas t’éloigner de moi.

– Mais j’ai envie d’aller aux toilettes.

À court d’arguments, Clément laisse Jules disparaître dans une pièce voisine.

Jules reconnaît l’escalier qui mène d’abord à la discothèque, puis au roof top. Il arrive sur la terrasse. Des tables, des chaises et des banquettes ont remplacé les transats. La piscine ronde a été bâchée. Il resserre son col et s’approche de Rose-Marie, qu’il a repérée, assise sur une banquette, devant une table basse.

Il s’assoit à côté d’elle.

Rose-Marie observe les quelques mouvements de personnes, autour d’eux, avant de s’adresser à Jules.

– On avance. On peut même dire qu’on a pris un sacré tournant. Augustin et toi, vous étiez bien frères avec les deux mêmes parents. (Jules se redresse, électrisé par la nouvelle.) On a retrouvé les deux résultats de laboratoire, le sien et le tien. Le tien, toutefois affiche seulement une fiabilité à 70 % parce que, apparemment, il n’a pas été fait selon le protocole en vigueur. Donc ils ont envisagé un risque de pollution. Malgré tout, ça reste des preuves imparables.

– J’en étais déjà sûr… répond Jules, qui peine à articuler, sous l’effet de l’émotion.

– Ça veut dire aussi que, maintenant, on envisage très sérieusement une nouvelle piste : celle d’une condamnation pour homicide, qui pourrait, en même temps, faire capoter le projet de ton père et de ses associés.

Jules pose sa tête contre l’épaule de Rose-Marie pour l’enserrer entre ses bras.

– Merci. (Il se redresse, essuie une larme, ravale une boule d’émotion.) Mes parents, ils vont devoir s’expliquer.

– Surtout, pour l’instant, tu te tais. On sait, d’après les bornages téléphoniques, que le dernier appel de ton frère a eu lieu à Monaco, sur le port.

– C’était quand il a dû m’appeler, moi.

– Non, c’était le lendemain matin, très tôt, pour laisser un message à votre père. Il a dû passer la nuit dans le yacht. Le fait que ça soit à l’extérieur complique un peu notre affaire. Mais on sait aussi que quand il t’a téléphoné, il avait déjà reçu les résultats de ton prélèvement.

– Alors… Il a su.

– Oui. Et je pense qu’il n’était pas peu fier d’avoir un petit frère comme toi. Il n’a peut-être pas voulu te le dire tout de suite, parce que le moment n’était pas opportun. Puis il s’était peut-être déjà disputé, à ce sujet, avec votre père. Est-ce que toi, tu as obtenu des résultats de ton côté ?

– Non.

– Je vais te passer de la doc, annonce Rose-Marie en sortant le contenu d’une enveloppe. Ce sont les coordonnées d’Ambre et la photo de deux jeunes que ton frère a fréquenté. On ne sait rien de plus à leur sujet. Quand tu interroges, essaye d’avoir les identités et il faut aussi que tu laisses ton numéro, pour qu’on puisse te rappeler, si jamais il y a du nouveau.

– D’accord. Je peux pas rester plus. Clément me surveille.

– Je comprends.

Rose-Marie se charge elle-même de glisser les documents dans la poche de la veste de Jules.

Rapidement, il descend l’escalier, fait vibrer l’armature métallique.

– Pas trop tôt ! maugrée Clément.

Il lui montre la photo et les coordonnées d’Ambre.

– Ah… je me doutais bien que tu n’étais pas parti aux toilettes. Nous, on a pu avoir les coordonnées de Laura.

Plusieurs têtes dodelinantes se penchent au-dessus du cliché.

– C’est quoi ça ? C’est une photo de flic ?

– Mais non ! Tu vois bien qu’elle est au frère d’Augustin.

– Oui, on les connaît, ce sont deux frangins : Armando et Enzo. On sait où ils habitent. Leurs parents ont une imprimerie. Mais ils risquent de se méfier s’ils vous voient débarquer.

– Pourquoi ? interroge Clément. Ils font un trafic pas très légal ?

– Au niveau de l’imprimerie, oui.

– Ils ne fabriquent quand même pas des faux billets ?

– Non, quand même pas. Par contre, pour le reste…

– Le reste, c’est-à-dire ?

– Faux papiers pour les migrants, faux diplômes, faux permis…

– La vache ! Et Augustin était leur ami ?

– Le mieux, si vous voulez leur parler, c’est qu’on vous emmène, en voiture. Sinon, ils ne lâcheront rien.

Clément fixe le visage suppliant de Jules.

– Bon… Ok.

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