Ch. 41

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Allongé sur le divan du salon Agora, Jules oriente un œil alangui vers Pauline et Angèle, qui ont réquisitionné un fauteuil pour une séance de coiffure, Pauline étant la coiffeuse et Angèle la coiffée. Soudain saisi par une idée qui pourrait le sauver de l’ennui, il se redresse. Cherchant autour de lui, il repère la télécommande. Le panneau coulissant libère l’écran de sa cachette.

– On n’a pas le droit ! sermonne Pauline qui, s’étant retournée vers Jules, le fixe avec un regard accusateur.

Il ne l’écoute pas, appuie sur le bouton d’allumage, tombe sur des images d’actualité de manifestants en colère qui saccagent du mobilier urbain.

Il zappe, échoue, cette fois, sur un débat de société :

« Les médias sont indispensables au processus démocratique. On n’achète pas une chaîne de télé comme on achète un yacht. »

Un nouveau zapping le fait arriver sur un feuilleton à l’eau de rose.

Aussitôt, il voit Pauline et Angèle se jeter sur le canapé.

– On n’a pas le droit.

Il éteint l’écran, refait coulisser le panneau, puis quitte le salon pour retourner dans sa chambre. Il passe devant l’horloge du compte à rebours, note qu’il reste presque 2500 jours. En récupérant son smartphone derrière la table de nuit, il a un sursaut en apercevant le message sur l’écran :

« Urgent ! Rappelle. »

Il recontacte aussitôt Davy.

« Tu es en danger, lui signale aussitôt le policier. Il va falloir t’exfiltrer. »

– Pourquoi ?

« On a eu l’idée d’une vérification, tout à coup, Rose-Marie et moi. C’est le genre de précaution qu’on n’a pas, en principe. Mais là, on a réalisé que c’était une erreur, qu’on aurait dû vérifier bien avant. »

– Vérifier quoi ?

« Ni ton frère, ni toi, vous n’êtes inscrits sur un registre d’état civil. »

– Qu’est-ce que ça veut dire ?

« Ça veut dire que ni votre père, ni votre mère, ne vous ont déclarés à la naissance. Civilement, vous n’avez jamais existé et vous n’avez jamais été les enfants, ni les héritiers de vos parents. C’est très dangereux, parce que cela peut signifier que tes parents se donnent un droit de vie et de mort sur leurs propres enfants. »

– Mais ils ont le droit de ne pas nous déclarer ?

« Non. C’est normalement puni par la loi. Mais comme vos parents ne vous ont pas abandonnés et qu’ils ne vous ont pas, non plus, lésés sur le plan financier, pénalement, ils ne risquent pas grand-chose. »

– Mais je ne veux pas quitter Courcy Montvernier.

« Tu ne vas pas avoir le choix. »

– Si ! Parce que j'ai appris que j’avais aussi une sœur. Je suis obligé de rester pour la retrouver. Si moi, je suis en danger, alors ça veut dire qu’elle est en danger, elle aussi.

« Jules… »

– Quoi ?

« Tu as vu les difficultés qu’on a eues, avec ton frère, pour réussir à le faire exister. Il faut que tu comprennes une chose : même si des tas de gens peuvent certifier qu’ils t’ont connu, il reste très compliqué, pour la justice, de prouver ton existence, tant que tu n’apparais nulle part sur des papiers officiels. Car il faut obligatoirement des preuves écrites ! »

– Mais il y a les résultats du laboratoire.

« C’est vrai. Mais tes parents ne se doutent pas que l’on a ce genre de preuve. En revanche, nous, on sait que ton père a des soupçons à ton sujet. C’est pour cette raison qu’il est resté à Courcy. Il a l’intention de te coincer. »

– Il ne me fait plus peur. Ce qui me fait peur, c’est de répéter mon erreur. Je n’aurais jamais dû accepter de quitter Augustin à Roquebrune-Cap-Martin. Mais je suis rentré dans l’avion, comme un animal bien dressé qui retourne dans sa cage… Ma sœur, elle, je ne la quitterai pas.

« Je crois que tu n’as pas bien compris, s’emporte le policier. Tu n’as aucune chance de t’en sortir ! Tu veux que je te rappelle qui est ton père ? »

– Alors, tant pis. Il fera comme d’habitude. Il reprendra ce qu’il m’a donné.

« Non, tu ne peux pas parler comme ça… (Jules remarque que la voix du commissaire fléchit.) Là, mon garçon, c’est de ta vie dont on parle ! Ta vie t’appartient à toi, pas à ton père. Ce n’est pas parce qu’il te l’a donnée qu’il a le droit de la reprendre. »

– Augustin s’est sacrifié pour moi. Alors moi, peut-être que je dois aussi me sacrifier pour ma sœur. Si jamais je disparais, mes parents, cette fois, iront en prison et tout s’arrangera, pour vous.

« Ce n’est pas de cette façon qu’on procède. »

Jules se rend compte que le commissaire peine à poursuivre la discussion, comme si lui-même capitulait.

– En plus, ajoute Jules d’une voix étranglée, je ne peux même plus parler avec Mathilde.

« Écoute-moi, bonhomme… (Il reconnaît la voix de Rose-Marie qui a pris le relais.) Je sais que la situation est dure pour toi, mais il ne faut pas que tu abandonnes. Voilà, ce que je te propose. Ok, tu restes à Courcy Montvernier, mais on s’arrange très rapidement pour te rencontrer juste dix minutes. C’est le temps qu’il nous faudra pour te donner les moyens d’assurer ta sécurité, si tu tiens à rester sur place. Est-ce que tu es d’accord avec mon idée ? »

– Oui.

Une onde de soulagement se répand à l’autre bout du fil.

Rose-Marie lui explique la procédure : Jules devra se rendre derrière l’hélicoptère et attendre l’arrivée d’un camion médical destiné au don du sang. Davy et Rose-Marie seront à l’intérieur du camion.

Caché par la carlingue de l’hélicoptère, Jules grimpe dans le camion, aidé par plusieurs bras. Trois laborantins, en blouses blanches, accompagnent Davy et Rose-Marie. Jules est aussitôt assis dans un fauteuil médical. Un laborantin, armé d’un Coton-Tige lui demande expressément d’ouvrir la bouche. Tandis que le Coton-Tige lui badigeonne l’intérieur d’une joue, il sent qu’on remonte une de ses manches, puis un garrot est fixé à son bras et une aiguille s’y plante, pour une prise de sang.

L’instant d’après, il lui faut se lever, se tenir droit, sans sourire ni grimacer, d’abord de face, puis de profil, pendant que l’objectif d’un appareil photo le mitraille.

– Pourquoi il faut tout ça ?

– Pour te fabriquer une preuve d’identité, explique Rose-Marie, qui, ensuite, conduit Jules vers une balance, puis vers une toise.

– Passe-moi ton smartphone, demande Davy.

– Pourquoi ?

– Parce que tu vas devoir en changer.

– Mais c’est celui d’Augustin.

– Ne t’en fais pas. On te le garde précieusement. (Le commissaire lui présente son nouveau smartphone.) Celui-ci te donne plus de sécurité. Il a un émetteur qui nous permet de détecter avec précision l’endroit où tu te trouves, et il fait aussi micro. Il te suffit de parler pour qu’on t’entende. (Dépité, Jules saisit le nouvel appareil.) Tu y retrouveras tous tes anciens contacts. Je vais aussi t’offrir un stylo un peu spécial. (Il montre le stylo.) Au bout, il a un bouton de téléassistance. Tu appuies sur ce bouton, seulement dans un cas d’urgence et lorsque tu n’as plus la possibilité d’utiliser le téléphone. Essaye de ne jamais l’avoir trop loin de toi, et fais attention que les deux filles ne jouent pas avec. Il faut maintenant qu’on t’explique certaines choses. Ton père va essayer de savoir ce que tu sais. Surtout, même s’il te piège, ne lui raconte jamais tout. Tant qu’il ne peut pas tout obtenir de ce que tu sais, il ne cherchera pas à te nuire. Si jamais il devient vraiment une menace, pour toi, on dispose de possibilités d’intervention. Mais il y a quand même une condition, c’est que ton père n’active pas son système de brouilleur d’ondes. S’il l’active, on n’est plus du tout en communication avec toi, et on ne sait pas ce qui peut t’arriver. C’est pourquoi, ne néglige pas l’option de nous appeler pour nous demander de t’exfiltrer. Elle reste valable.

– Mais ça ne peut plus être des sorties comme avant ?

– Non. Parce que la situation se complique sérieusement pour nous. Nos marges de manœuvre ne cessent de se réduire. Il n’y a pas que chez nous. Toutes les structures démocratiques sont en difficulté.

– Vous allez continuer à rechercher mon frère ?

– En ce moment, on est sur la piste d’autres frères ou sœurs qui auraient pu disparaître, comme Augustin, explique Rose-Marie. Mais c’est encore trop tôt pour te donner des résultats. De plus, on n’a pas le temps de discuter de ça, car tu dois disparaître des radars de ton père le moins longtemps possible.

– Ton père, actuellement, est très méfiant donc fais gaffe, insiste Davy.

Jules promet de faire attention. En quittant le camion, il rejoint d’un pas tranquille l’intérieur du château.

En même temps, il s’interroge. Qu’est-ce qui a bien pu rendre suspicieux son père ? Cela vient-il de son dernier séjour à Roquebrune-Cap-Martin ? Soudain saisi par un doute et emporté par les ailes de la précipitation, il se rue dans sa chambre, inspecte la cachette, songeant à cet instant qu’il a été imprudent de garder trois ouvrages papier. Mais ils étaient ses livres préférés et avaient pour particularité de commencer par la lettre « M », comme Mathilde. Jules devient exsangue en s’apercevant que les trois livres ne sont plus à leur place. Est-ce une femme de ménage qui les aurait trouvés ? Peut-être Odette. Ou bien est-ce son père qui a demandé à ce que l’on fouille sa chambre ? Il n’en sait rien, mais le pire dans cette disparition, ce ne sont pas les livres eux-mêmes, mais la carte de visite de l’inspectrice d’académie, fripée et écornée, qui lui servait de marque-page. Comment justifier sa présence dans sa chambre ?

Il saisit son nouveau téléphone et appelle Rosalie. Elle est la seule qui peut lui assurer une justification. Après un coup d’œil derrière sa porte, pour s’assurer de ne pas être écouté, il constate que son père, installé dans son salon privé, ne se tient pas loin. N’est-il pas prêt à surgir, dans l’instant qui vient, pour le coincer dans son piège mûrement élaboré ?

Avant tout, Jules doit éviter de s’agiter comme un insecte, qui voit son espace rétrécir. Il lui faut savoir afficher un calme et une décontraction, ce qui l’aidera à minimiser l’incident. S’éloignant du mur du couloir, il se dirige vers une fenêtre de sa chambre, compose le numéro de Rosalie.

« Non, se désole Rosalie, je ne peux pas dire que c’est moi. Il m’a déjà appelé pour me poser la question et j’ai répondu que ça n’était pas moi. Je ne pouvais pas répondre autre chose. »

Jules raccroche et s’adosse contre le mur. Quel autre recours a-t-il ? Doit-il demander conseil à Davy ? Il lui faut se rendre à l’implacable évidence : seule Rosalie peut le sortir de cette panade. Il la rappelle, songeant qu’elle n’a qu’à revenir sur son ancienne version, mais tombe sur son répondeur. Alors, il laisse un message explicatif.

Par précaution, il prend le stylo alarme confié par Davy et, sur la pointe des pieds, part cacher son smartphone dans la salle de jeux bleue, trouvant derrière l’écran du home cinema, un abri sûr. Avec la même discrétion, il part dans la salle de jeux violette, retrouve son robot avec lequel il peut réviser ses leçons d’anglais. Mais il s’interroge. Qu’attend son père pour passer à l’offensive ?

Lassé par son robot, Jules songe rejoindre Pauline et Angèle, vu qu’il est, en plus, bientôt l’heure de déjeuner.

Mais alors qu’il s’apprête à prendre l’escalier, il entend la voix de son père, dans son dos, qui le raidit, comme un coup de feu.

– Tu peux venir dans mon salon ?

Jules se retourne. Son père le fixe, au milieu du couloir, campé sur ses deux jambes, droit comme la tour Eiffel. Il le rejoint, le suit jusqu’à son salon privé. Didier Montvernier s’assoit dans son fauteuil africain en cuir. Jules s’installe, face à lui, sur la méridienne.

Son père attrape un cigare posé sur le cendrier d’un guéridon et l’allume avec son briquet en or.

– Je peux savoir ce que tu fais, tout seul, à l’étage ?

– Ça dépend. Là, j’apprends l’anglais avec le robot. Parfois, je joue aux jeux vidéos. Parfois je lis…

– Quand tu lis, de quels livres, il s’agit ?

– Ce sont ceux qui sont dans ma tablette.

– Pas de livres papier ?

– Je fais comment pour les acheter ?

– Les livres, ça se prête ; ça se donne ; ça s’échange.

– Rosalie m’en avait passé.

– Et qui d’autre ? (Jules sonde le regard ombrageux de son père.) J’attends.

– Personne.

– Tu es sûr de ne pas oublier ?

– Oui.

Didier Montvernier quitte un instant son fauteuil en direction d’une étagère et revient s’asseoir en tenant trois livres à la main. Il les pose un à un sur le guéridon.

Les Misérables de Victor Hugo, les Métamorphoses d’Ovide et Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Tu les reconnais ?

– Oui.

Jules voit son père taper le guéridon du plat de la main.

– Et tu as le toupet de me dire que ces livres étaient à Rosalie ! À dix ans, Rosalie ne peut pas avoir lu ces livres-là !

– Je n’ai pas dit ça.

– Alors qu’est-ce que tu as dit ?

– Elle me les a passés, peut-être parce que d’autres lui avaient donné et qu’elle n’en voulait pas.

Didier Montvernier se lève et d’une poigne énergique, saisit le bras de son fils pour le conduire debout, devant le guéridon.

– Ces livres t’ont été donnés par quelqu’un qui cherche à changer ta façon de penser. Alors, dis-moi qui c’est !

Immobile et muet, Jules sent bouillir sa colère. Il songe, un moment, tout lui dévoiler, lui parler d’Augustin, de sa naissance non déclarée, de la vidéo porno de l’espace détente. Rien que de voir son père se décomposer devant lui, lui procurerait une intense satisfaction. Mais il se ravise.

– Qu’est-ce qu’ils ont ces livres ? Ils ne sont pas interdits aux mineurs ?

– Qu’est-ce qu’ils ont ces livres ? À toi de me répondre. Tu les avais cachés.

– Pourquoi vous ne demandez pas à Rosalie ?

– C’est déjà fait. Elle ne te les a pas donnés.

– Ça ne m’étonne pas qu’elle ne veuille rien dire. C’est parce que vous lui faites peur.

– Tu persistes ? (Il se lève et se dirige vers l’interphone du bureau.) Pouvez-vous demander à Madame Tasmane de monter

Il revient s’asseoir et, cette fois, saisit la carte de visite qui fait office de marque-page dans le dernier livre.

– Ah… désolé. Je viens de te faire perdre ta page. Tu pourras la retrouver, n’est-ce pas ? (Silence de Jules.) Ceci est bien ton marque-page ?

– Oui. Parce que je n’ai pas de vrai marque-page.

Didier Montvernier tient la carte de visite du bout des doigts, sur ses deux côtés, et la place devant le visage du garçon.

– As-tu déjà appelé cette personne ?

– Avec quel téléphone ?

– Même ici, un téléphone, ça se trouve. Ne me fais pas croire que tu n’as jamais essayé. Alors ?

– Je l’ai trouvée dans les livres.

– Si cette carte est ici, de deux choses l’une : soit c’est la fille Tasmane qui l’utilisait déjà comme marque-page, soit c’est l’inspectrice qui te l’a donnée. (On frappe.) Tiens ! Voilà Justement la mère. Entrez ! (La porte s’ouvre.) Approchez, Madame Tasmane. (La gouvernante avance vers le guéridon avec une certaine réserve. Didier Montvernier écrase son cigare.) Est-ce que vous reconnaissez ces livres qui sont ici ?

Odette jette un œil en direction de Jules et comprend qu’elle doit user de diplomatie. Puis elle pose son regard sur les couvertures des trois livres que lui présentent Didier Montvernier.

– Ces livres ne me disent rien.

– Est-ce qu’ils ont appartenu à votre fille ?

– Je ne crois pas.

– Est-ce que vous avez, chez vous, des livres de cette sorte, que votre fille aurait pu passer à Jules ?

– Je suis désolée de vous l’apprendre, Monsieur Montvernier, mais ma fille me cache, parfois, certaines choses. Sinon, en principe, nous n’avons pas ce genre de livres.

Jules remarque que son père l’observe d’un regard carnassier, comme s’il usait de son instinct de chasseur pour le prendre en tenaille.

Il décide d’intervenir :

– Si ! Vous savez bien qu’il y a les livres d’école, rangés dans un cartable… Ces livres, elle me les a passés.

– Oui, en effet, confirme la gouvernante. Je lui avais acheté des livres scolaires, pour qu’elle continue le programme de l’année dans le château, au moment où il était question qu’elle quitte l’école.

– Vous avez votre portable sur vous, Madame Tasmane ?

– Oui.

– Mettez le haut-parleur et passez-le à Jules. (Il fixe son fils.) À toi, Rosalie raconte tout. Tu vas l’appeler devant nous. (Jules hésite à prendre le téléphone.) Allez !

Il appuie sur la touche qui renvoie au numéro de Rosalie.

– Bonjour Rosalie, c’est moi. Pourquoi tu n’as pas dit à mon père que tu m’avais donné trois livres ?

S’ensuit un silence tendu.

« C’est parce que mon papi et ma mamie m’avaient dit de ne pas répéter qu’ils me passaient les livres. Mais si ça te pose un problème avec ton père, il peut appeler mes grands-parents. »

D’un signe de la main, Didier Montvernier demande à ce que l’on stoppe la communication.

– Merci Rosalie, ajoute Jules avant de raccrocher.

Il libère un sourire de jubilation au moment où son regard fixe, à nouveau, celui de son père.

– C’est bon. (Il regarde la gouvernante.) On va pouvoir déjeuner ?

– C’est quand vous le souhaitez.

– Vous pouvez disposer. (Alors qu’Odette sort, Didier Montvernier se lève.) Je ne vais pas te censurer. Reprends tes livres… Si tu veux vraiment croire qu’ils sont capables de nous proposer… un monde meilleur. Si tu en veux d’autres, songe dorénavant, que tu peux t’adresser à moi. Tu sais qu’il y a une bibliothèque ici. (Il saisit la carte de visite.) Ça, par contre, je garde.

– D’accord. Je vous demanderai.

Alors qu’il se penche pour reprendre ses livres, il sent encore le regard de son père peser dans son dos.

– Jules. Ce qui compte désormais, pour moi, c’est le projet que je mène avec mes associés. Je mange, je dors, je vis et ne respire uniquement que pour l’aboutissement de ce projet. Aussi, tu dois bien comprendre que je ne laisserai jamais le moindre interstice d’incertitude qui pourrait le faire échouer. Voilà pourquoi ma vigilance. Allons déjeuner.

Justine Montvernier étant absente du domaine de Courcy – sans doute pour éviter la confrontation entre le père et le fils – il est convenu que Didier Montvernier déjeune avec les trois enfants.

À la fin du repas, en voyant son père regagner le salon Forum pour travailler, Jules s’interroge. N’est-il toujours pas décidé à repartir ? Les policiers ont pourtant été formels lorsqu’ils l’ont averti : Didier Montvernier prolonge son séjour uniquement parce qu’il se méfie de lui. Jules songe qu’il doit, dès lors, tout entreprendre pour l’amadouer.

Il retrouve son père dans le salon Forum. Celui-ci lève un instant la tête.

– Approche.

Jules le rejoint et en profite pour jeter un œil sur son écran.

– Pourquoi tu ne vas pas t’amuser avec tes deux petites amies ?

– Elles ont des jeux entre elles et puis… (Il chuchote.) Je pense encore à Mathilde.

– Ah… C’est ça…

Avec audace, Jules pose son coude sur l’épaule de son père pour lui parler sur le ton de la confidence.

– Ça serait possible que j’utilise votre téléphone pour l’appeler ?

– Je vais faire mieux que ça. Je vais te passer provisoirement un téléphone. Tu pourras le garder tant que je suis ici. N’en parle pas aux deux filles. Je vais demander à ce qu’on te le dépose dans ta chambre.

– Super… Merci. Vous partez quand ?

– Je ne sais pas encore…

Rendu guilleret par l’évolution de la situation, Jules monte les marches de l’escalier qui mène à sa chambre.

Il retrouve, sur son bureau, l’Iphone laissé par son père. « Je vais bientôt pouvoir parler à Mathilde, se dit-il. À moins qu’elle se méfie aussi du téléphone de mon père. » Alors qu’il saisit le smartphone pour appeler son amie, Jules se fige, en proie à un doute soudain. Une parole de Davy lui revient en mémoire : « Ton père, actuellement, est très méfiant, donc fais gaffe. » Son œil sonde le nouvel appareil. Et s’il était doté des mêmes fonctionnalités que le téléphone des policiers ? L’instant d’après, ce qui est un doute, pour Jules, se transforme en une évidence : l’autorisation accordée par son père, n’est en réalité qu’un subterfuge pour mieux l’espionner à l’aide de cet appareil. Un chagrin de déception l’envahit : il ne peut pas parler directement à Mathilde. La seconde suivante, il réalise qu’il est, dès lors, obligé de la contacter pour ne pas éveiller de nouveaux soupçons chez son père. Il lui reste la solution d’un SMS, mais il doit avertir Mathilde que le téléphone est celui de son père, pour éviter qu’elle gaffe. En envoyant le SMS, Jules a un sentiment mitigé. D’un côté, Mathilde va recevoir son message. De l’autre, il devine qu’elle ne lui répondra pas.

Il se dirige vers son orgue, dès lors branché dans la salle de jeux violette. Posant l’Iphone sur l’orgue, il se met à jouer.

Trois jours plus tard, son père vient le retrouver dans sa chambre. Il souhaite récupérer le téléphone.

– Il y a aussi une nouvelle que je dois t’annoncer. Tu te souviens de Maximilien, avec qui tu as dîné ? Cet été, à Londres, il se marie. Il épouse Lindsay, la fille d’un associé. La cérémonie sera très importante et sera médiatisée. Tu es invité, toi aussi.

– Pauline et Angèle vont également venir ?

– Oui. Bien sûr.

– Et les Blay ?

– Eux non. Ce sont juste nos amis à nous.

Peu après, Jules entend rugir le moteur de l’hélicoptère. C’est son père, qui s’en va.

Traversant le couloir, il se rend dans la salle de jeux pour récupérer le smartphone des policiers. Il constate qu’on lui a laissé un message. Il le lit : « Bien joué ! ».

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